La Bourse

La Bourse
Honoré de Balzac
Publication: 1832
Catégorie(s): Fiction, Nouvelles
Source: http://ebooksgratuits.com
A Propos Balzac:
Honoré de Balzac (May 20, 1799 – August 18, 1850), born Honoré
Balzac, was a nineteenth-century French novelist and playwright.
His work, much of which is a sequence (or Roman-fleuve) of almost
100 novels and plays collectively entitled La Comédie humaine, is a
broad, often satirical panorama of French society, particularly the
petite bourgeoisie, in the years after the fall of Napoléon
Bonaparte in 1815—namely the period of the Restoration (1815–1830)
and the July Monarchy (1830–1848). Along with Gustave Flaubert
(whose work he influenced), Balzac is generally regarded as a
founding father of realism in European literature. Balzac's novels,
most of which are farcical comedies, feature a large cast of
well-defined characters, and descriptions in exquisite detail of
the scene of action. He also presented particular characters in
different novels repeatedly, sometimes as main protagonists and
sometimes in the background, in order to create the effect of a
consistent 'real' world across his novelistic output. He is the
pioneer of this style. Source: Wikipedia
Disponible sur Feedbooks Balzac:
Le Père
Goriot (1834)
La Peau de
chagrin (1831)
Eugénie
Grandet (1833)
Illusions
perdues (1843)
Le Lys dans la
vallée (1835)
Le Chef-d’œuvre
inconnu (1845)
La Cousine
Bette (1847)
La Femme de trente
ans (1832)
L’Enfant
maudit (1831)
Le Colonel
Chabert (1832)
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À SOFKA.
N’avez-vous pas remarqué, Mademoiselle, qu’en mettant deux
figures en adoration aux côtés d’une belle sainte, les peintres ou
les sculpteurs ne manquaient jamais de leur imprimer une
ressemblance filiale ? En voyant votre nom parmi ceux qui me
sont chers et sous la protection desquels je place mes œuvres,
souvenez-vous de cette touchante harmonie, et vous trouverez ici
moins un hommage que l’expression de l’affection fraternelle que
vous a vouée
Votre
serviteur,
DE BALZAC.
Il est pour les âmes faciles à s’épanouir une heure délicieuse
qui survient au moment où la nuit n’est pas encore et où le jour
n’est plus. La lueur crépusculaire jette alors ses teintes molles
ou ses reflets bizarres sur tous les objets, et favorise une
rêverie qui se marie vaguement aux jeux de la lumière et de
l’ombre. Le silence qui règne presque toujours en cet instant le
rend plus particulièrement cher aux artistes qui se recueillent, se
mettent à quelques pas de leurs œuvres auxquelles ils ne peuvent
plus travailler, et ils les jugent en s’enivrant du sujet dont le
sens intime éclate alors aux yeux intérieurs du génie. Celui qui
n’est pas demeuré pensif près d’un ami, pendant ce moment de songes
poétiques, en comprendra difficilement les indicibles bénéfices. À
la faveur du clair-obscur, les ruses matérielles employées par
l’art pour faire croire à des réalités disparaissent entièrement.
S’il s’agit d’un tableau, les personnages qu’il représente semblent
et parler et marcher : l’ombre devient ombre, le jour est
jour, la chair est vivante, les yeux remuent, le sang coule dans
les veines, et les étoffes chatoient. L’imagination aide au naturel
de chaque détail et ne voit plus que les beautés de l’œuvre. À
cette heure, l’illusion règne despotiquement : peut-être se
lève-t-elle avec la nuit ? l’illusion n’est-elle pas pour la
pensée une espèce de nuit que nous meublons de songes ?
L’illusion déploie alors ses ailes, elle emporte l’âme dans le
monde des fantaisies, monde fertile en voluptueux caprices et où
l’artiste oublie le monde positif, la veille et le lendemain,
l’avenir, tout jusqu’à ses misères, les bonnes comme les mauvaises.
À cette heure de magie, un jeune peintre, homme de talent, et qui
dans l’art ne voyait que l’art même, était monté sur la double
échelle qui lui servait à peindre une grande, une haute toile
presque terminée. Là, se critiquant, s’admirant avec bonne foi,
nageant au cours de ses pensées, il s’abîmait dans une de ces
méditations qui ravissent l’âme et la grandissent, la caressent et
la consolent. Sa rêverie dura long-temps sans doute. La nuit vint.
Soit qu’il voulût descendre de son échelle, soit qu’il eût fait un
mouvement imprudent en se croyant sur le plancher, l’événement ne
lui permit pas d’avoir un souvenir exact des causes de son
accident, il tomba, sa tête porta sur un tabouret, il perdit
connaissance et resta sans mouvement pendant un laps de temps dont
la durée lui fut inconnue. Une douce voix le tira de l’espèce
d’engourdissement dans lequel il était plongé. Lorsqu’il ouvrit les
yeux, la vue d’une vive lumière les lui fit refermer
promptement ; mais à travers le voile qui enveloppait ses
sens, il entendit le chuchotement de deux femmes, et sentit deux
jeunes, deux timides mains entre lesquelles reposait sa tête. Il
reprit bientôt connaissance et put apercevoir, à la lueur d’une de
ces vieilles lampes dites à double courant d’air, la
plus délicieuse tête de jeune fille qu’il eût jamais vue, une de
ces têtes qui souvent passent pour un caprice du pinceau ;
mais qui tout à coup réalisa pour lui les théories de ce beau idéal
que se crée chaque artiste et d’où procède son talent. Le visage de
l’inconnue appartenait, pour ainsi dire, au type fin et délicat de
l’école de Prudhon, et possédait aussi cette poésie que Girodet
donnait à ses figures fantastiques. La fraîcheur des tempes, la
régularité des sourcils, la pureté des lignes, la virginité
fortement empreinte dans tous les traits de cette physionomie
faisaient de la jeune fille une création accomplie. La taille était
souple et mince, les formes étaient frêles. Ses vêtements, quoique
simples et propres, n’annonçaient ni fortune ni misère. En
reprenant possession de lui-même, le peintre exprima son admiration
par un regard de surprise, et balbutia de confus remercîments Il
trouva son front pressé par un mouchoir, et reconnut, malgré
l’odeur particulière aux ateliers, la senteur forte de l’éther,
sans doute employé pour le tirer de son évanouissement. Puis, il
finit par voir une vieille femme, qui ressemblait aux marquises de
l’ancien régime, et qui tenait la lampe en donnant des conseils à
la jeune inconnue.
– Monsieur, répondit la jeune fille à l’une des demandes
faites par le peintre pendant le moment où il était encore en proie
à tout le vague que la chute avait produit dans ses idées, ma mère
et moi, nous avons entendu le bruit de votre corps sur le plancher,
nous avons cru distinguer un gémissement. Le silence qui a succédé
à la chute nous a effrayées, et nous nous sommes empressées de
monter. En trouvant la clef sur la porte, nous nous sommes
heureusement permis d’entrer, et nous vous avons aperçu étendu par
terre, sans mouvement. Ma mère a été chercher tout ce qu’il fallait
pour faire une compresse et vous ranimer. Vous êtes blessé au
front, là, sentez-vous .
– Oui, maintenant, dit-il.
– Oh ! cela ne sera rien, reprit la vieille mère.
Votre tête a, par bonheur, porté sur ce mannequin.
– Je me sens infiniment mieux, répondit le peintre, je n’ai
plus besoin que d’une voiture pour retourner chez moi. La portière
ira m’en chercher une.
Il voulut réitérer ses remercîments aux deux inconnues ;
mais, à chaque phrase, la vieille dame l’interrompait en
disant : – Demain, monsieur, ayez bien soin de mettre des
sangsues ou de vous faire saigner, buvez quelques tasses de
vulnéraire, soignez-vous, les chutes sont dangereuses.
La jeune fille regardait à la dérobée le peintre et les tableaux
de l’atelier. Sa contenance et ses regards révélaient une décence
parfaite ; sa curiosité ressemblait à de la distraction, et
ses yeux paraissaient exprimer cet intérêt que les femmes portent,
avec une spontanéité pleine de grâce, à tout ce qui est malheur en
nous.
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