Il m’a dit qu’il était peintre aussi, mais qu’il ne savait pas où placer ses œuvres, pour le moment, et qu’il cherchait du travail. Depuis, il voulait être présenté à M. d’Averny. Je le lui ai promis.
– Vous l’avez vu souvent ?
– Quatre ou cinq fois.
– Quelle est son adresse ?
– Il habite Paris. Je n’en sais pas davantage.
Le jeune homme avait recouvré son aplomb à tel point que le juge d’instruction murmura :
– Tout cela est fort plausible.
Mais Goussot ne lâchait pas prise.
– Donc, vous l’avez vu hier ?
– Oui, près du pavillon que j’habite. Je croyais alors que M. d’Averny serait de retour, et Simon Lorient lui eût été présenté.
– Et, plus tard, depuis le moment où j’ai fait évacuer le jardin ?
– Je ne l’ai pas revu.
– Cependant, il a continué de rôder, lui, autour des maisons qui bordent l’étang. Il a été dîner dans un caboulot voisin, et on est à peu près sûr de l’avoir aperçu hier soir, tout à côté d’ici. Il se dissimulait dans l’ombre.
– Je n’en sais rien.
– Que faisiez-vous, de votre côté ?
– J’ai dîné dans mon pavillon, servi, comme chaque jour, par le concierge de M. d’Averny.
– Ensuite ?
– Ensuite, j’ai lu, et je me suis couché.
– À quelle heure ?
– Vers onze heures.
– Et vous n’êtes pas ressorti ?
– Non.
– Vous en êtes certain ?
– Certain.
L’inspecteur Goussot se tourna vers un groupe de quatre personnes qu’il avait déjà interrogées. L’une de ces personnes, un monsieur d’un certain âge, s’avança.
Goussot lui dit :
– Vous habitez, n’est-ce pas, une des villas voisines ?
– Oui, au-delà du potager de M. Philippe Gaverel.
– Cette villa est longée, d’un côté, par un passage public qui permet à tout le monde d’atteindre l’étang ?
– Oui.
– Or, vous m’avez déclaré que, vers minuit trois quarts, comme vous étiez à prendre l’air à votre fenêtre, vous avez vu quelqu’un qui ramait sur l’étang et qui est venu atterrir au bout du passage. Ce quelqu’un a rapproché la barque de votre propriété et l’y a attachée à son poteau habituel. C’était la vôtre dont il s’était servi. Vous avez reconnu le promeneur, n’est-ce pas ?
– Oui. Il y avait quelques nuages qui se sont écartés. La lune l’a frappé en plein visage. Alors, il s’est jeté dans la partie obscure. C’était M. Félicien Charles. Il est resté dans le passage un assez long moment.
– Ensuite ?
– Ensuite, je ne sais pas. Je me suis couché et endormi.
Vous affirmez que c’était M. Félicien Charles, ici présent ?
– Je crois pouvoir l’affirmer, sans crainte d’erreur.
L’inspecteur Goussot dit à Félicien :
– Par conséquent, vous avez passé la nuit dehors et non dans votre lit ?
Félicien répliqua fermement :
– Je n’ai pas quitté ma chambre.
– Si vous n’avez pas quitté votre chambre, comment se peut-il qu’on vous ait vu descendre de barque et vous poster dans l’impasse, et ensuite que M. Helmas ait cru discerner que son agresseur venait de cette impasse ?
– Je n’ai pas quitté ma chambre, répéta Félicien.
M. Rousselain avait gardé le silence, un peu gêné d’avoir pris un repas à la même table que ce jeune homme qui se défendait si mal. Il regarda Raoul d’Averny, lequel avait écouté sans mot dire non plus, et tout en étudiant Félicien.
Raoul intervint aussitôt :
– En attendant, monsieur l’inspecteur, que l’enquête vérifie tous ces racontars et leur attribue leur véritable signification, puis-je savoir où vous voulez en venir à l’égard de Félicien Charles ?
Goussot riposta :
– Je n’ai d’autre but que de réunir les éléments de la vérité.
– Monsieur l’inspecteur, on réunit toujours ces éléments selon l’idée générale d’une vérité que l’on croit déjà pressentir.
– Je n’ai aucune idée.
– Si. Dans le cas actuel, il résulterait de votre interrogatoire : 1° que vous vous occupez surtout du second drame, c’est-à-dire du vol des billets de banque et des deux agressions nocturnes ; 2° que, Félicien étant dehors, cette nuit, s’est servi de la barque pour pénétrer dans le jardin de l’Orangerie et chercher le sac de toile grise contenant les billets, et ensuite que, vers une heure du matin, tapi dans l’ombre, il a pu suivre un instant plus tard le fiancé de la victime, M. Jérôme Helmas, et l’attaquer, cela pour on ne sait quelles raisons. Et, au fond de vous, il est clair que vous vous demandez s’il ne fut pas aussi l’agresseur de l’autre blessé, Simon Lorient.
– Je ne me demande rien, monsieur, dit Goussot sèchement, et je n’ai pas l’habitude qu’on me questionne.
– Je me permets seulement de remarquer, continua Raoul d’Averny, que vos soupçons semblent associer Félicien Charles et Simon Lorient. En ce cas, s’ils étaient de connivence, comment Félicien Charles pourrait-il être à la fois le complice et l’agresseur de Simon Lorient ?
Goussot ne répondit pas. Raoul haussa les épaules.
– De telles présomptions ne tiennent pas debout.
Mais le silence de l’inspecteur mettait fin à la scène. Debout sur le perron, très belle dans ses vêtements de deuil, Rolande avait écouté.
Elle saisit le bras de son oncle. Ils allaient à la clinique auprès de Jérôme Helmas.
Raoul n’insista pas. Au bout d’un moment, il dit à Félicien :
– Rentrons.
Et il salua le juge d’instruction.
En route, Raoul d’Averny demeura taciturne. Arrivé devant sa villa, il conduisit le jeune homme dans un petit cabinet de travail qui s’ouvrait en arrière des salons, sur un coin de jardin isolé par des haies.
Là, il le fit asseoir et lui dit :
– Vous ne m’avez jamais demandé pourquoi je vous avais écrit de venir me voir.
– Je n’ai pas osé, monsieur.
– Par conséquent, vous ne savez pas pourquoi je vous ai offert de décorer cette villa et d’y habiter ?
– Non.
– Vous n’êtes pas curieux ?
– J’ai craint d’être indiscret. Vous ne m’interrogiez pas.
– Si. Je vous ai questionné sur votre passé. Vous m’avez dit que vos parents étaient morts depuis des années et que la vie était dure pour vous. Mais j’ai senti une telle réserve, un tel désir de ne rien révéler sur vous-même que je n’ai pas insisté.
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