Aussi, lorsque j’ai été si lâchement trompé par le baron, car entre vieux drôles comme nous, les maîtresses de nos amis devraient être sacrées, me suis-je juré de lui prendre sa femme. C’est justice. Le baron n’aurait rien à dire, et l’impunité nous est acquise. Vous m’avez mis à la porte comme un chien galeux aux premiers mots que je vous ai touchés de l’état de mon cœur ; vous avez redoublé par là mon amour, mon entêtement, si vous voulez, et vous serez à moi.
— Et comment ?
— Je ne sais pas, mais ce sera. Voyez-vous, madame, un imbécile de parfumeur (retiré !) qui n’a qu’une idée en tête, est plus fort qu’un homme d’esprit qui en a des milliers. Je suis toqué de vous, et vous êtes ma vengeance ! c’est comme si j’aimais deux fois. Je vous parle à cœur ouvert, en homme résolu. De même que vous me dites : « je ne serai pas à vous, » je cause froidement avec vous. Enfin, selon le proverbe, je joue cartes sur table. Oui, vous serez à moi, dans un temps donné... Oh ! vous auriez cinquante ans, vous seriez encore ma maîtresse. Et ce sera, car moi j’attends tout de votre mari...
Madame Hulot jeta sur ce bourgeois calculateur un regard si fixe de terreur, qu’il la crut devenue folle, et il s’arrêta.
— Vous l’avez voulu, vous m’avez couvert de votre mépris, vous m’avez défié, j’ai parlé ! dit-il en éprouvant le besoin de justifier la sauvagerie de ses dernières paroles.
— Oh ! ma fille, ma fille ! s’écria la baronne d’une voix de mourante.
— Ah ! je ne connais plus rien ! reprit Crevel. Le jour où Josépha m’a été prise, j’étais comme une tigresse à qui l’on a enlevé ses petits... Enfin, j’étais comme je vous vois en ce moment. Votre fille ! c’est, pour moi, le moyen de vous obtenir. Oui, j’ai fait manquer le mariage de votre fille !... et vous ne la marierez point sans mon secours ! Quelque belle que soit mademoiselle Hortense, il lui faut une dot...
— Hélas ! oui ! dit la baronne en s’essuyant les yeux.
— Eh bien ! essayez de demander dix mille francs au baron, reprit Crevel qui se remit en position.
Il attendit pendant un moment, comme un acteur qui marque un temps.
— S’il les avait, il les donnerait à celle qui remplacera Josépha ! dit-il en forçant son medium. Dans la voie où il est, s’arrête-t-on ? Il aime d’abord trop les femmes ! (Il y a en tout un juste milieu, comme a dit notre Roi.) Et puis la vanité s’en mêle ! C’est un bel homme ! Il vous mettra tous sur la paille pour son plaisir. Vous êtes déjà d’ailleurs sur le chemin de l’hôpital. Tenez, depuis que je n’ai mis les pieds chez vous, vous n’avez pas pu renouveler le meuble de votre salon. Le mot gêne est vomi par toutes les lézardes de ces étoffes. Quel est le gendre qui ne sortira pas épouvanté des preuves mal déguisées de la plus horrible des misères, celle des gens comme il faut ? J’ai été boutiquier, je m’y connais. Il n’y a rien de tel que le coup d’œil du marchand de Paris pour savoir découvrir la richesse réelle et la richesse apparente.... Vous êtes sans le sou, dit-il à voix basse. Cela se voit en tout, même sur l’habit de votre domestique. Voulez-vous que je vous révèle d’affreux mystères qui vous sont cachés ?...
— Monsieur, dit madame Hulot qui pleurait à mouiller son mouchoir, assez ! assez !
— Eh bien ! mon gendre donne de l’argent à son père, et voilà ce que je voulais vous dire, en débutant, sur le train de votre fils. Mais je veille aux intérêts de ma fille... soyez tranquille.
— Oh ! marier ma fille et mourir !... dit la malheureuse femme qui perdit la tête.
— Eh bien ! en voici le moyen ? reprit Crevel.
Madame Hulot regarda Crevel avec un air d’espérance qui changea si rapidement sa physionomie, que ce seul mouvement aurait dû attendrir Crevel et lui faire abandonner son projet ridicule.
— Vous serez belle encore dix ans, reprit Crevel en position, ayez des bontés pour moi, et mademoiselle Hortense est mariée. Hulot m’a donné le droit, comme je vous disais, de poser le marché, tout crûment, et il ne se fâchera pas.
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