Si je ne décroche pas le premier prix, je me brûle la cervelle. Monsieur d’Enneris, pour qui votez-vous ?

Pour la plus belle, répondit-il, en s’inclinant.

– Parlons de la robe…

– La robe m’est indifférente. C’est la beauté du visage et le charme du corps qui importent.

– Eh bien, dit Régine, la beauté et le charme, admirez-les donc chez la jeune personne qu’on applaudit en ce moment. C’est un mannequin de la maison Chernitz, dont les journaux ont parlé, qui a composé sa toilette elle-même et en a confié l’exécution à ses camarades. Elle est délicieuse, cette enfant. »

La jeune fille, en effet, fine, souple, harmonieuse de gestes et d’attitudes, donnait l’impression de la grâce même, et, sur son corps onduleux, sa robe, très simple cependant mais d’une ligne infiniment pure, révélait un goût parfait et une imagination originale.

« Arlette Mazolle, n’est-ce pas ? dit Jean d’Enneris en consultant le programme.

– Oui », fit Régine.

Et elle ajouta, sans aigreur ni envie :

« Si j’étais du jury, je n’hésiterais pas à placer Arlette Mazolle en tête de ce classement. »

Van Houben fut indigné.

« Et votre tunique, Régine ? Que vaut l’accoutrement de ce mannequin à côté de votre tunique ?

– Le prix n’a rien à voir…

– Le prix compte par-dessus tout, Régine.

Et c’est pourquoi je vous conjure de faire attention.

– À quoi ?

– Aux pickpockets. Rappelez-vous que votre tunique n’est pas tissée avec des noyaux de pêche. »

Il éclata de rire. Mais Jean d’Enneris l’approuva.

« Van Houben a raison, et nous devrions vous accompagner.

– Jamais de la vie, protesta Régine. Je tiens à ce que vous me disiez l’effet que je produis d’ici, et si je n’ai pas l’air trop godiche sur la scène de l’Opéra.

– Et puis, dit Van Houben, le brigadier de la sûreté Béchoux répond de tout.

– Vous connaissez donc Béchoux ? fit d’Enneris d’un air intéressé… Béchoux, le policier qui s’est rendu célèbre par sa collaboration avec le mystérieux Jim Barnett, de l’agence Jim Barnett et Cie ?…

– Ah ! il ne faut pas lui en parler, de ce maudit Barnett. Ça le rend malade. Il paraît que Barnett lui en a fait voir de toutes les couleurs !

– Oui, j’ai entendu parler de cela… L’histoire de l’homme aux dents d’or ? et les douze Africaines de Béchoux{1} ? Alors c’est Béchoux qui a organisé la défense de vos diamants ?

– Oui, il partait en voyage pour une dizaine de jours. Mais il m’a engagé à prix d’or trois anciens policiers, des gaillards qui veillent à la porte. »

D’Enneris observa :

« Vous auriez engagé un régiment que cela ne suffirait pas pour déjouer certaines ruses… »

Régine s’en était allée et, flanquée de ses détectives, sortait de la salle et pénétrait dans les coulisses. Comme elle passait au onzième tour et qu’il y avait un léger intervalle après la dixième concurrente, une attente presque solennelle précéda son entrée. Le silence s’établit. Les attitudes se fixèrent. Et soudain une formidable acclamation : Régine s’avançait.

Il y a dans la réunion de la beauté parfaite et de la suprême élégance un prestige qui émeut les foules. Entre l’admirable Régine Aubry et le luxe raffiné de sa toilette existait une harmonie dont on recevait l’impression avant d’en saisir la cause. Mais surtout l’éclat des joyaux fixait les regards. Au-dessus de la jupe, une tunique lamée d’argent était serrée à la taille par une ceinture de pierreries et emprisonnait la poitrine dans un corselet qui semblait fait uniquement de diamants. Ils éblouissaient. Ils entrecroisaient leurs scintillements jusqu’à ne former autour du buste qu’une flamme légère, multicolore et frissonnante.

« Crebleu ! dit Van Houben, c’est encore plus beau que je ne croyais, ces sacrés cailloux ! Et ce qu’elle les porte bien, la mâtine ! En a-t-elle de la race ? Une impératrice ! »

Il modula un petit ricanement.

« D’Enneris, je vais vous confier un secret. Savez-vous pourquoi j’ai paré Régine de tous ces cailloux ? Eh bien, d’abord pour lui en faire cadeau le jour où elle m’accorderait sa main… sa main gauche, bien entendu (il pouffa de rire) et ensuite parce que cela me permet de la gratifier d’une garde d’honneur qui me renseigne un peu sur ses faits et gestes. Ce n’est pas que je redoute les amoureux… mais je suis de ceux qui ouvrent l’œil… et le bon ! »

Il tapotait l’épaule de son compagnon en ayant l’air de lui dire : « Toi, mon petit, ne t’y frotte pas. » D’Enneris le rassura.

« De mon côté, Van Houben, vous pouvez être tranquille. Je ne fais jamais la cour aux femmes ou aux amies de mes amis. »

Van Houben fit la grimace. Jean d’Enneris lui avait parlé, comme à l’ordinaire, sur un petit ton de persiflage qui pouvait prendre dans l’occurrence une signification assez injurieuse. Il résolut d’en avoir le cœur net et se pencha sur d’Enneris.

« Reste à savoir si vous me comptez comme un de vos amis ? »

D’Enneris, à son tour, lui saisit le bras.

« Taisez-vous…

– Hein ? Quoi ? Vous avez une façon…

– Taisez-vous.

– Qu’y a-t-il ?

– Quelque chose d’anormal.

– Par où ?

– Dans les coulisses.

– À propos de quoi ?

– À propos de vos diamants. »

Van Houben sauta sur place.

« Eh bien ?

– Écoutez. »

Van Houben prêta l’oreille.

« Je n’entends rien.

– Peut-être me suis-je trompé, avoua d’Enneris. Cependant il m’avait paru… »

Il n’acheva pas. Les premiers rangs de l’orchestre et les premières places dans les loges de scène s’agitaient, et l’on regardait comme s’il se produisait, aux profondeurs des coulisses, ce quelque chose qui avait éveillé l’attention de d’Enneris. Des gens, même, se levèrent, avec des signes d’effroi. Deux messieurs en habit coururent à travers la scène. Et soudain des clameurs retentirent.