Je voulais aussi la remercier par écrit des quelques jours pendant lesquels j’avais occupé la chambre, passé le terme. La certitude d’être sauvé pour un temps assez long me pénétrait à tel point que je promis même à mon hôtesse de lui apporter cinq couronnes en passant par là un de ces jours. Je voulais lui démontrer surabondamment l’honnêteté de la personne qu’elle avait abritée sous son toit.

Je laissai le billet sur la table.

Je m’arrêtai encore une fois à la porte et me retournai. Ce sentiment rayonnant d’être remis à flot me transportait. J’étais plein de reconnaissance envers Dieu et l’Univers. Je m’agenouillai près du lit et à haute voix je remerciai Dieu de sa grande bonté pour moi, ce matin. Je le savais, oh ! je le savais bien : cet accès d’inspiration que je venais de vivre et de coucher par écrit était dû à l’action merveilleuse du Ciel sur mon esprit ; c’était une réponse à mon cri de détresse d’hier. C’est Dieu ! C’est Dieu ! me criai-je à moi-même, et je pleurai d’enthousiasme à mes propres paroles. De temps à autre j’étais forcé de m’arrêter pour écouter s’il ne venait personne dans l’escalier. Enfin je me levai et partis. Je me glissai sans bruit le long de tous ces étages et gagnai la porte sans être vu.

Les rues étaient luisantes de la pluie qui était tombée le matin. Un ciel froid et mouillé pendait sur la ville et nulle part on n’apercevait un rayon de soleil. Quelle heure pouvait-il bien être ? J’allais comme d’habitude dans la direction du dépôt. Je vis qu’il était huit heures et demie. J’avais donc une couple d’heures devant moi. Cela ne servait à rien d’arriver au journal avant dix heures, peut-être onze. Je n’avais qu’à flâner en attendant et, entre-temps, réfléchir à un expédient pour déjeuner tant soit peu. Du reste, je n’avais pas à craindre de me coucher à jeûne ce jour-là. Grâce à Dieu, ces temps étaient passés ! C’était une période révolue, un mauvais rêve. À partir de maintenant, je remontais la pente !

Cependant, cette couverture verte m’embarrassait. D’autre part il n’était pas de ma dignité de porter sous le bras un pareil paquet, à la vue de tout le monde. Que penserait-on de moi ? Et j’allais, cherchant dans ma pensée un endroit où je pourrais le mettre en garde jusqu’à nouvel ordre. L’idée me vint que je pourrais entrer chez Semb et faire envelopper ma couverture dans du papier. Mon paquet aurait tout de suite meilleur air et il n’y aurait plus de honte à le porter. J’entrai dans la boutique et exposai mon affaire à l’un des employés.

Il regarda d’abord la couverture, puis ma personne. J’eus l’impression qu’il haussait les épaules à la dérobée, avec un léger mépris, en prenant le paquet. Cela me froissa.

« Sacrebleu ! faites un peu attention ! criai-je. Il y a là-dedans deux vases de prix. Le paquet est pour Smyrne. »

Cela fit son effet, un effet grandiose ! Chacun des mouvements de l’homme me demandait pardon de n’avoir pas immédiatement deviné la présence d’objets de valeur à l’intérieur de la couverture. Quand il eut terminé son emballage, je le remerciai du service rendu, avec la mine d’un homme qui avait déjà expédié d’autres choses précieuses à Smyrne, et, quand je partis, il alla m’ouvrir la porte.

Je me mis à me promener parmi les gens sur la place du Grand-Marché en me tenant de préférence dans le voisinage des femmes qui vendaient des fleurs en pots.