Rien ne compte plus pour moi qu’Antonine, dite Clara la Blonde. Il faut que tout cela marche rondement, que je sache ce que complote le sieur Valthex, en quoi consiste le secret du marquis, et pourquoi survient inopinément aujourd’hui la soi-disant maîtresse du grand Paul.

– La maîtresse ?…

– N’essaie pas de comprendre.

– Qu’est-ce que je dois essayer de comprendre ?

– La vérité sur le rôle exact que tu joues près de moi. »

Courville murmura :

« J’aimerais mieux ne pas savoir…

– La vérité ne doit jamais faire peur, dit Raoul sévèrement. Sais-tu qui je suis ?

– Non.

– Arsène Lupin, cambrioleur. »

Courville ne broncha pas. Peut-être pensa-t-il que M. Raoul eût dû lui épargner cette révélation, mais aucune révélation, si dure qu’elle fût pour sa probité, ne pouvait atténuer ses sentiments de reconnaissance, ni diminuer à ses yeux le prestige de M. Raoul.

Et Raoul poursuivit :

« Apprends donc que je me suis jeté dans l’aventure Erlemont comme toutes les fois… sans savoir où je vais, et sans rien connaître des événements, m’engageant sur un indice quelconque et, pour le reste, me fiant à ma bonne étoile et à mon flair. En l’occurrence, je savais par mon service de renseignements que la ruine d’un sieur d’Erlemont, qui vendait, un à un, ses châteaux et ses domaines de province, ainsi que quelques-uns des livres les plus précieux de sa bibliothèque, suscitait dans quelques milieux de la noblesse un certain étonnement. En effet, d’après mon enquête, le grand-père maternel du sieur Erlemont, voyageur acharné, sorte de conquistador intrépide, possesseur de domaines immenses aux Indes, ayant titre et rang de nabab, était revenu en France avec la réputation d’un multimillionnaire. Il mourait presque aussitôt, laissant ses richesses à sa fille, mère du marquis actuel.

« Qu’étaient devenues ces richesses ? On aurait pu supposer que Jean d’Erlemont les avait dissipées, bien que son train de maison eût été toujours fort raisonnable. Mais voilà que le hasard m’a livré un document qui semble donner une autre explication. C’est une lettre, aux trois quarts déchirée, pas très récente d’aspect, et où, parmi des détails secondaires, il est écrit, sous la signature du marquis :

« “La mission dont je vous ai chargé ne paraît pas sur le point d’aboutir. L’héritage de mon grand-père demeure toujours introuvable. Je vous rappelle les deux clauses de notre convention : discrétion absolue et une part de dix pour cent pour vous, avec maximum de un million… Mais, hélas ! j’ai fait appel à votre agence dans l’espoir d’un résultat rapide, et le temps passe…”

« Sur ce bout de lettre, aucune date, aucune adresse. Il s’agissait évidemment d’une agence de renseignements, mais quelle agence ? Je n’ai pas perdu à la rechercher un temps précieux, trouvant beaucoup plus efficace de collaborer avec le marquis et de t’installer sur place. »

Courville risqua :

« Ne pensez-vous pas, monsieur, qu’il eût été plus efficace encore, puisque vous aviez décidé cette collaboration, d’en parler au marquis, et de lui dire que, moyennant dix pour cent, vous vous faisiez fort ?… »

Raoul le foudroya du regard :

« Idiot ! Une affaire où l’on propose un million d’honoraires à une agence doit être d’un ordre de grandeur de vingt ou trente millions. À ce prix-là, je marche.

– Cependant, votre collaboration ?…

– Ma collaboration consiste à prendre tout.

– Mais le marquis ?…

– Il aura les dix pour cent. C’est une aubaine inespérée pour lui, célibataire et sans enfants. Seulement, il faut que je mette la main à la pâte moi-même. Conclusion : quand peux-tu m’introduire chez le marquis ? »

Courville fut troublé et objecta timidement :

« C’est bien grave. Ne croyez-vous pas, monsieur, qu’il y a là de ma part, vis-à-vis du marquis ?…

– Une trahison… je te l’accorde. Que veux-tu, mon vieux, le destin te place cruellement entre ton devoir et ta reconnaissance, entre le marquis et Arsène Lupin. Choisis. »

Courville ferma les yeux et répondit :

« Ce soir, le marquis dîne en ville et ne rentrera qu’à une heure du matin.

– Les domestiques ?

– Ils habitent l’étage supérieur, comme moi.

– Donne-moi ta clef. »

Nouveau débat de conscience. Jusque-là, Courville avait pu s’imaginer qu’il concourait à assurer la protection du marquis. Mais livrer la clef d’un appartement, faciliter un cambriolage, se prêter à une formidable escroquerie… l’âme délicate de Courville hésitait.

Raoul tendit la main. Courville donna la clef.

« Merci, fit Raoul qui se divertissait diaboliquement à jouer avec les scrupules de Courville. À dix heures, enferme-toi dans ta chambre. Au cas où il y aurait alerte chez les domestiques, tu descendrais me prévenir. Mais c’est bien peu probable. À demain. »

Courville parti, Raoul s’installa pour sortir et dîner avec la magnifique Olga. Mais il s’endormit et ne se réveilla qu’à dix heures et demie. Il bondit alors sur le téléphone et réclama le Trocadéro-Palace.

« Allô… allô… le Trocadéro-Palace ? Donnez-moi l’appartement de Sa Majesté… Allô… allô… Qui est-ce qui est au téléphone ?… La dactylographe ?… C’est toi, Julie ? Comment vas-tu, chérie ? Dis donc, la reine m’attend, hein ?… Passe-moi la reine… Ah ! dis donc, tu m’embêtes… Si je t’ai placée près de la reine, ce n’est pas pour rouspéter… Vite, préviens-la… (Un silence et Raoul reprend.) Allô… allô… C’est toi, Olga ?… Figure-toi, chérie, que mon rendez-vous s’est prolongé… D’ailleurs, je suis ravi, l’affaire est réglée. Mais non, ma chérrrie, ce n’est pas ma faute… Veux-tu qu’on déjeune ensemble vendrrredi ?… J’irrrai te prrrendre… Tu ne m’en veux pas, hein ? Tu sais que tu passes avant tout… Ah ma chèrrre Olga !… »

Chapitre V – Cambriolage

 

Pour ses expéditions nocturnes, Arsène Lupin ne revêt jamais de costume spécial, couleur sombre, couleur gris foncé. « J’y vais comme je suis, dit-il, les mains dans mes poches, sans armes, le cœur aussi paisible que si j’allais acheter des cigarettes, et la conscience aussi à l’aise que si j’allais accomplir une œuvre charitable. »

Tout au plus lui arrive-t-il d’exécuter quelques exercices d’assouplissement, de sautiller sur place sans faire de bruit, ou de marcher dans les ténèbres sans renverser d’objets.