Elle cherchait d’une main fébrile, une main dont il apercevait la blancheur et la finesse.
Elle trouva. Autant qu’il en put juger, c’était une photographie de grandeur intermédiaire, une treize-dix-huit. Elle la contempla longtemps, puis retourna le carton, lut l’inscription, et poussa un soupir.
Elle était si absorbée que Raoul résolut d’en profiter. Sans qu’elle entendît et sans qu’elle pût voir, il s’approcha du commutateur, observa la silhouette penchée, et d’un coup alluma. Puis, en hâte, il courut vers la femme qui avait jeté un cri d’effroi et qui s’enfuyait.
« Ne te sauve pas, la belle. Je ne te ferai aucun mal. »
Il la rejoignit, la saisit par le bras, puis, brusquement, et malgré sa résistance, lui tourna la tête.
« Antonine ! » murmura-t-il stupéfait, en reconnaissant sa visiteuse involontaire de l’après-midi.
Pas une seconde il n’avait soupçonné la vérité. Antonine, la petite provinciale dont l’air ingénu et les yeux candides l’avaient conquis ! Elle demeurait en face de lui, éperdue, le visage crispé. Et ce dénouement imprévu le troubla si vivement qu’il se mit à ricaner.
« Voilà donc la raison de votre démarche auprès du marquis, tantôt ! Vous étiez venue en reconnaissance… Et puis, ce soir… »
Elle semblait ne pas comprendre, et elle balbutia :
« Je n’ai pas volé… Je n’ai pas touché aux billets…
– Moi non plus… Tout de même nous ne sommes pas venus là pour prier la Sainte Vierge. »
Il lui serrait le bras. Elle tâcha de se dégager, tout en gémissant :
« Qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas… »
Il éclata de rire.
« Ah ! ça ce n’est pas gentil. Comment ! après notre entrevue d’aujourd’hui dans mon petit entresol, vous me demandez qui je suis ? Quel manque de mémoire ! Et moi qui croyais avoir fait sur vous tant d’impression, jolie Antonine ! »
Âprement, elle répliqua :
« Je ne m’appelle pas Antonine.
– Parbleu ! je ne m’appelle pas non plus Raoul. On a des noms par douzaines dans notre métier.
– Quel métier ?
– La cambriole ! »
Elle se révolta :
« Non ! non ! moi, une cambrioleuse !
– Dame ! que vous chipiez une photographie plutôt que de l’argent, ça prouve que cette photographie a pour vous de la valeur, et que vous ne pourriez vous la procurer qu’en opérant à la façon d’une souris d’hôtel… Montrez-la-moi, cette photo précieuse que vous avez empochée en me voyant. »
Il essayait de la contraindre. Elle se débattait dans ces bras puissants qui la pressaient, et, s’excitant à la lutte, il l’eût embrassée si, par un sursaut d’énergie, elle n’eût réussi à s’échapper.
« Bigre ! dit-il, on fait sa mijaurée. Qui aurait supposé tant de pudeur chez la maîtresse du grand Paul ? »
Elle parut bouleversée et chuchota :
« Hein ? Qu’est-ce que vous dites ?… Le grand Paul… Qui est-ce ?… Je ne sais pas ce que vous voulez dire.
– Mais si, fit-il en la tutoyant, tu le sais très bien, ma jolie Clara. »
Elle répéta, de plus en plus troublée :
« Clara… Clara… Qui est-ce ?
– Rappelle-toi… Clara la Blonde ?
– Clara la Blonde ?
– Quand Gorgeret a failli mettre la main sur toi, tantôt, tu n’étais pas si émue. Allons redresse-toi, Antonine ou Clara. Si je t’ai tirée deux fois cet après-midi des griffes de la police, c’est que je ne suis pas ton ennemi… Un sourire, jolie blonde… il est si enivrant, ton sourire !… »
Une crise de faiblesse la déprimait. Des larmes coulaient sur ses joues pâles, et elle n’avait plus la force de repousser Raoul qui lui avait repris les mains et les caressait avec une douceur amicale dont la jeune femme ne pouvait pas s’effaroucher.
« Calme-toi, Antonine… Oui, Antonine… j’aime mieux ce nom-là. Si tu as été Clara pour le grand Paul, pour moi, reste celle que j’ai vue arriver sous le nom d’Antonine et sous son aspect de petite provinciale. Combien je te préfère ainsi ! Mais ne pleure pas… tout s’arrangera ! Le grand Paul te persécute, sans doute, n’est-ce pas ? et te recherche ?… et tu as peur ? N’aie pas peur… je suis là… Seulement il faut tout me raconter… »
Elle murmura, toute défaillante :
« Je n’ai rien à raconter… je ne peux rien raconter…
– Parle, ma petite…
– Non… je ne vous connais pas.
– Tu ne me connais pas, et cependant tu as confiance en moi, avoue-le.
– Peut-être… Je ne sais pas pourquoi… Il me semble…
– Il te semble que je puis te protéger, n’est-ce pas ? te faire du bien ? Mais pour cela il faudrait m’aider. Comment as-tu connu le grand Paul ? Pourquoi es-tu ici ? Pourquoi as-tu cherché ce portrait ? »
Elle dit d’une voix très basse :
« Je vous en supplie, ne m’interrogez pas… Un jour ou l’autre, je vous dirai.
– Mais c’est tout de suite qu’il faut parler… Un jour perdu… une heure… c’est beaucoup. »
Il continuait à la caresser sans qu’elle y prît garde. Cependant, comme il lui embrassait la main et que ses lèvres remontaient le long du bras, elle l’implora avec tant de lassitude qu’il n’insista pas et qu’il cessa de la tutoyer :
« Promettez-moi, dit-il…
– De vous revoir ? Je vous le promets.
– Et de vous confier à moi ?
– Oui.
– En attendant, puis-je vous être utile ?
– Oui, oui, fit-elle vivement. Accompagnez-moi.
– Vous craignez quelque chose ?… »
Il la sentait qui tremblait, et elle dit sourdement :
« En entrant, ce soir, j’ai eu l’impression qu’on surveillait la maison.
– La police ?
– Non.
– Qui ?
– Le grand Paul… les amis du grand Paul… »
Elle prononçait ce nom avec terreur.
« Êtes-vous certaine ?
– Non… mais il m’a semblé le reconnaître… assez loin… contre le parapet du quai… J’ai reconnu aussi son principal complice, qu’on appelle l’Arabe.
– Depuis combien de temps ne l’avez-vous pas vu, le grand Paul ?
– Depuis plusieurs semaines.
– Il ne pouvait donc pas savoir que vous veniez aujourd’hui ?
– Non.
– Alors, que faisait-il là ?
– Lui aussi, il rôde autour de la maison.
– C’est-à-dire autour du marquis ?… Et pour les mêmes raisons que vous ?
– Je ne sais pas… une fois, il a dit devant moi qu’il lui en voulait à mort.
– Pourquoi ?
– Je ne sais pas.
– Vous connaissez ses complices ?
– L’Arabe, seulement.
– Où le retrouve-t-il ?
– Je l’ignore. Peut-être bien dans un bar de Montmartre dont j’ai entendu, un jour, qu’il donnait le nom, tout bas…
– Vous vous rappelez ?
– Oui… les Écrevisses. »
Il n’en demanda pas davantage. Il avait l’intuition qu’elle ne répondrait plus, ce jour-là.
Chapitre VI – Premier choc
« Partons, dit-il. Et quoi qu’il arrive, n’ayez pas la moindre peur. Je réponds de tout. »
Il examina si tout était bien en ordre. Puis il éteignit l’électricité, et, prenant la main d’Antonine, afin de la conduire dans l’obscurité, il se dirigea vers l’entrée, referma doucement la porte sur eux et descendit l’escalier avec elle.
Il avait hâte d’être dehors et redoutait que la jeune femme ne se fût trompée, tellement il désirait lutter et s’attaquer à ceux qui la poursuivaient. Cependant cette petite main qu’il tenait était si froide qu’il s’arrêta et la pressa entre les deux siennes.
« Si vous me connaissiez davantage, vous sauriez que le danger n’existe pas quand on est près de moi. Ne bougez pas. Lorsque votre main sera toute chaude, vous verrez comme vous serez tranquille et pleine de courage. »
Ils demeurèrent ainsi, immobiles, et les mains jointes. Après quelques minutes de silence, elle dit, rassérénée :
« Allons-nous-en. »
Il heurta la porte de la concierge et demanda qu’on lui ouvrît.
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