On fit venir de Paris un jeune policier, ambitieux et tenace, Gorgeret, qui avait déjà réussi des coups de maître. Peines perdues. Investigations sans résultat. L’affaire fut classée, au grand ennui de Gorgeret, qui se promit bien de ne jamais l’abandonner.

Effarés par ce drame, M. et Mme de Jouvelle quittèrent Volnic en annonçant leur volonté formelle de n’y jamais revenir. Le château fut à vendre, tout meublé, tel qu’il était.

Quelqu’un l’acheta, six mois plus tard. On ne sut pas qui, maître Audigat, le notaire, ayant négocié la vente en grand secret.

Tous les domestiques, les fermiers, les jardiniers, reçurent leur congé. Seule la grosse tour, sous laquelle passait la voûte cochère, fut habitée par un individu d’un certain âge qui s’y installa avec sa femme : Lebardon, ancien gendarme. Mis à la retraite, il avait accepté ce poste de confiance.

Les gens du village essayèrent vainement de le faire parler : leur curiosité fut déjouée. Il montait la garde âprement. Tout au plus remarqua-t-on que, à diverses reprises, peut-être une fois par an, et à des époques différentes, un monsieur arrivait le soir en automobile, couchait au château, et repartait le lendemain dans la nuit. Le propriétaire, sans doute, qui venait s’entretenir avec Lebardon. Mais aucune certitude. On n’en sut pas davantage de ce côté.

 

Onze ans plus tard, le gendarme Lebardon mourait.

Sa femme demeura seule dans la tour d’entrée. Aussi peu bavarde que son mari, elle ne dit rien de ce qui se passait dans le château. Mais s’y passait-il quelque chose ?

Et quatre ans encore s’écoulèrent.

Chapitre II – Clara la blonde

 

Gare Saint-Lazare. Entre les grilles qui défendent l’accès des quais et les issues qui conduisent au grand hall des Pas-Perdus, le flot des voyageurs allait et venait, se divisait en courants de départs et d’arrivées, tourbillonnait en remous éperdus, s’écoulait précipitamment vers les portes et vers les passages. Des disques, munis d’aiguilles immobiles, indiquaient des points de destination. Des employés vérifiaient et poinçonnaient les tickets.

Deux hommes, qui ne semblaient pas participer à cette hâte fiévreuse, déambulaient entre les groupes, de l’air distrait de deux promeneurs dont les préoccupations étaient absolument étrangères aux bousculades de la foule. L’un, gros et puissant, de visage peu sympathique, d’expression dure ; l’autre frêle, étriqué ; tous deux coiffés de chapeaux melons, la figure barrée de moustaches.

Ils s’arrêtèrent auprès d’une issue où le disque ne signalait rien et où quatre employés attendaient. Le plus maigre des deux hommes s’approcha et demanda poliment :

« À quelle heure arrive le train de 15h47 ? »

L’employé répondit d’un ton narquois :

« À 15h47. »

Le gros monsieur haussa les épaules comme s’il déplorait la bêtise de son compagnon, et à son tour questionna :

« C’est bien le train de Lisieux, n’est-ce pas ?

– Le train 368, en effet, lui fut-il répondu. Il sera là dans dix minutes.

– Pas de retard ?

– Pas de retard. »

Les deux promeneurs s’éloignèrent et s’appuyèrent contre un pilier.

Il s’écoula trois, puis quatre, puis cinq minutes.

« C’est embêtant, dit le gros monsieur, je ne vois pas le type qu’on doit nous envoyer de la Préfecture.

– Vous avez donc besoin de lui ?

– Parbleu ! S’il n’apporte pas le mandat d’amener, comment veux-tu qu’on agisse avec la voyageuse ?

– Peut-être qu’il nous cherche ? Peut-être qu’il ne nous connaît pas ?

– Idiot ! Qu’il ne te connaisse pas, toi, Flamant, tout naturel… Mais, moi, Gorgeret, l’inspecteur principal Gorgeret, qui, depuis l’affaire du château de Volnic, est toujours sur la brèche ! »

Le nommé Flamant, vexé, insinua :

« L’affaire du château de Volnic, c’est vieux. Quinze ans !

– Et le cambriolage de la rue Saint-Honoré ? Et la souricière où j’ai pris le grand Paul, est-ce que ça remonte aux Croisades ? Pas même deux mois !

– Vous l’avez pris… vous l’avez pris… n’empêche qu’il court toujours, le grand Paul…

– N’empêche que j’avais si bien combiné mon truc que c’est encore moi qu’on mobilise. Tiens, regarde si l’ordre de service ne me désigne pas nommément ? »

Il tira de son portefeuille un papier qu’il déplia et qu’ils lurent ensemble.

Préfecture de Police

4 juin.

Ordre de Service

(Urgent)

La maîtresse du grand Paul, la dénommée Clara la Blonde, a été vue dans le train 368, arrivant de Lisieux à 15h47. Envoyer immédiatement l’inspecteur principal Gorgeret. Un mandat d’amener lui sera transmis gare Saint-Lazare, avant arrivée train.

Signalement de la demoiselle : bandeaux blonds ondulés, yeux bleus. Entre 20 et 25 ans. Jolie. Vêtue simplement. Tournure élégante.

« Tu vois… mon nom est inscrit. Comme c’est moi qui me suis toujours occupé du grand Paul, alors on m’a chargé de sa bonne amie.

– Vous la connaissez ?

– Mal.