Le vent ploya son aile.
Sur le plus haut sommet où l'on pouvait monter
La vague énorme enfin venait de s'arrêter,
Car l'élément connaît son mystère et sa règle.
Le dernier flot avait noyé le dernier aigle.
On n'apercevait plus dans l'espace aplani
Que l'eau qui se taisait dans l'ombre, ayant fini.
Le silence emplissait la lugubre étendue.
La terre, sphère d'eau dans le ciel suspendue,
Sans cri, sans mouvement, sans voix, sans jour, sans bruit,
N'était plus qu'une larme immense dans la nuit.
III
Dans ce moment-là, tout étant dans l'insondable,
Un fantôme apparut sur l'onde formidable.
Ce géant était trombe, ouragan et torrent.
Des hydres se tordaient dans son oeil transparent;
Il semblait encor plein de la tempête enfuie;
Sa face d'eau tremblait sous ses cheveux de pluie;
Et voici ce que l'ombre effarée entendit:
Le géant se tourna vers le gouffre maudit,
Fit trois pas, et cria: - Chaos, reprends ce monde!
Une tête sortit de la brume profonde;
Aveugle, énorme, horrible, à l'autre bout des cieux;
Ayant deux gouffres noirs à la place des yeux;
Se dressa, pâle, et dit: - Je ne veux pas, déluge!
IV
LE DELUGE.
Reprends-le.
LE CHAOS.
Non.
LE DELUGE.
Il est rejeté.
LE CHAOS.
Par quel juge?
LE DELUGE.
Par Lui.
LE CHAOS.
Pourquoi?
LE DELUGE.
Le ver s'est glissé dans le fruit.
Le condamné d'en bas a soufflé dans la nuit
Le mal au cœur de l'homme à travers la nature;
L'homme, ouvert à l'erreur, au piège, à l'imposture,
Jusqu'au crime de vice en vice descendu,
Est devenu vipère, et sa bouche a mordu;
Le talon du Seigneur a senti la piqûre;
Et voilà ce qu'a fait, du fond de l'ombre obscure,
L'être qui vit sous terre au Dieu qui vit au ciel.
Ce monde était méchant et noir, l'être éternel
Le laisse tomber, monstre, et tu peux le reprendre.
LE CHAOS.
Pourquoi me l'a-t-il pris, si c'est pour me le rendre?
LE DELUGE.
J'ai roulé sur les monts le flot sombre et tonnant.
Tout est mort. J'ai fini; c'est à toi maintenant.
Reçois ce monde au fond de l'abîme où nous sommes.
LE CHAOS.
J'ai déjà les dragons, je ne veux pas des hommes.
V
L'éclair cria: - Silence aux pieds d'Adonaï! -
Et le chaos se tut dans le gouffre ébloui.
Et l'archange qui veille entre deux pilastres
Du seuil mystérieux plein d'yeux qui sont les astres,
Se courba sous l'azur sans oser faire un pas
Et dit au Dieu vivant: Le chaos n'en veut pas.
Et Dieu dit: Je consens que ce monde revive.
2. II. LA SORTIE DE L'OMBRE
I
L'eau baissa, comme un flux qui s'en va d'une rive,
Et les flots monstrueux, décroissant par degrés,
Descendirent du haut des monts démesurés.
Au-dessus de la terre une voix dit: Clémence!
Le crâne décharné de la noyée immense
Apparut, et l'horreur éclaira sous les cieux
Ce cadavre sans souffle et sans forme et sans yeux,
Les rochers, les vallons, et les forêts mouillées
Qui pendaient à son front de marbre, échevelées.
L'antre, où les noirs arrêts dans l'ombre étaient écrits,
Semblait la bouche ouverte encor pleine de cris;
Les monts sortaient de l'eau comme une épaule nue.
Comme l'onde qui bout dans l'airain diminue,
L'océan s'en allait, laissant des lacs amers.
Ces quelques flaques d'eau sont aujourd'hui nos mers.
Tout ce que le flot perd, la nature le gagne.
L'île s'élargissant se changeait en montagne;
Les archipels grandis devenaient continents.
De son dos monstrueux poussant leurs gonds tournants,
Le déluge fermait ses invisibles portes.
Les ténèbres dormaient sur les profondeurs mortes,
Et laissaient distinguer à peine l'ossement
Du monde, que les eaux découvraient lentement.
Soudain, réverbérée au vague front des cimes,
Une lueur de sang glissa sur les abîmes;
On vit à l'horizon lugubrement vermeil
Poindre une lune rouge, et c'était le soleil.
Pendant quarante jours et quarante nuits sombres,
La mer, laissant à nu d'effroyables décombres,
Recula, posant l'arche aux monts près d'Henocha,
Puis ce lion, rentré dans l'antre, se coucha.
II
Dieu permit au soleil de jeter l'étincelle.
Alors un bruit sortit de l'ombre universelle,
Le jour se leva, prit son flambeau qui blêmit,
Et vint; le vent, clairon de l'aube, se remit
A souffler; un frisson courut de plaine en plaine;
L'immensité frémit de sentir une haleine,
La montagne sourit, l'espace s'éveilla,
Et le brin d'herbe au bord des eaux, dit: Me voilà!
Mais tout était hagard, morne et sinistre encore,
Et c'est dans un tombeau que se levait l'aurore.
III
Derrière ces grands monts où plus tard l'aube a lui
Et que nous appelons les Alpes aujourd'hui,
Un marais descendait vers l'océan sans borne.
Dans ce désert vaste, âpre, impénétrable et morne,
Comme un ver qui se glisse à travers les roseaux,
Un fleuve, né d'hier, traînait ses pâles eaux,
Et découpait une île au pied d'un coteau sombre,
Sans savoir qu'en ces joncs, pleins de souffles sans nombre,
Germait, foetus géant, la plus grande des Tyrs.
Le coteau, qui plus tard fut le mont des martyrs,
Lugubre, se dressait sur l'île et sur le fleuve.
L'oiseau, l'être qui va, la bête qui s'abreuve,
Etaient absents; l'espace était vide et muet,
Et le vent dans les cieux lentement remuait
Les sombres profondeurs par les rayons trouées.
Dans la fange expiraient des hydres échouées.
C'est dans cet endroit-là, tout étant mort, pendant
Que les nuages gris croulaient sur l'occident
Comme de grands vaisseaux qui dans la nuit chavirent,
C'est là que les forêts et les collines virent
Soudain, tout se taisant dans l'univers détruit,
Un voile blanc marcher droit dans l'ombre et sans bruit;
Et l'ombre eut peur; et l'arbre, et la vague, et l'étoile,
Et les joncs, frissonnaient de voir passer ce voile.
Il allait, comme si quelqu'un était dessous.
Les êtres du passé, dans la vase dissous,
Semblaient, cherchant encore à tordre leurs vertèbres,
Rouvrir quand il passait leurs yeux pleins de ténèbres.
Le ciel qui s'entr'ouvrait referma son azur.
Tout à coup une voix sortit du voile obscur;
Le flot, qui sous le vent redevenait sonore,
Se tut, et quatre fois cette voix vers l'aurore,
Vers le sud, vers le triste occident, vers le nord,
Cria: Je suis Isis, l'âme du monde mort!
IV
Un long frisson émut le cadavre; la fange,
Pleine de monstres morts, fit une plainte étrange;
Et le spectre se mit à parler dans les vents:
Il a pu noyer l'homme et les êtres vivants,
Mais il n'a pu tuer l'airain, le bois, la pierre.
Or, nature qui viens de fermer la paupière,
Ecoute, écoutez-moi, flots, rochers, vents du ciel,
Car, ô témoins pensifs du deuil universel,
Il faut que vous sachiez ces sombres aventures:
Lorsque Caïn, l'aïeul des noires créatures,
Eut terrassé son frère, Abel au front serein,
Il le frappa d'abord avec un clou d'airain,
Puis avec un bâton, puis avec une pierre;
Puis il cacha ses trois complices sous la terre
Où ma main qui s'ouvrait dans l'ombre les a pris.
Je les ai. Sachez donc ceci, vents, flots, esprits,
Tant qu'il me restera dans les mains ces trois armes,
Je vaincrai Dieu; matin, tu verseras des larmes!
L'être qui vit sous terre et moi, nous lutterons.
Si Dieu veut sous les eaux engloutir les affronts,
Les haines, les forfaits, le meurtre, la démence,
Les fureurs, il faudra toujours qu'il recommence.
Oui, les déluges noirs, pareils aux chiens grondants
Qui veulent qu'on les lâche et qui montrent les dents,
Tant que le vieux Caïn vivra sous ces trois formes,
Pourront à l'horizon gonfler leurs flots énormes.
V
Le voile en s'écartant laissa voir dans deux mains
Un bâton, une pierre arrachée aux chemins,
Puis un long clou, semblable au verrou d'une porte;
Et si, dans ce tombeau de la nature morte,
Quelque oeil vivant eût pu rester dans l'ombre ouvert,
Sur le clou, sur le bois noueux et jadis vert,
Et sur l'affreux caillou pareil aux crânes vides,
Cet oeil eût distingué trois souillures livides;
Et le spectre montra ces trois taches au ciel,
Et cria: Cieux profonds! Voici du sang d'Abel!
Alors une lueur sortit, sinistre et sombre,
De ces trois noirs témoins des temps qui sont dans l'ombre;
L'être toujours voilé, blanc et marchant sans bruit,
Se pencha vers la terre et cria dans la nuit,
Et comme s'il parlait à quelqu'un sous l'abîme:
- O père! J'ai sauvé les trois germes du crime!
Sous la terre profonde un bruit sourd répondit.
Il reprit: - Clou d'airain qui servis au bandit,
Tu t'appelleras Glaive et tu seras la guerre;
Toi, bois hideux, ton nom sera Gibet; toi, pierre,
Vis, creuse-toi, grandis, monte sur l'horizon,
Et le pâle avenir te nommera prison.
Chapitre 3
Livre premier : Le Glaive
1. STROPHE PREMIÈRE. NEMROD
I
De nouveaux jours brillaient; la terre était vivante;
Mais tout, comme autrefois, était plein d'épouvante.
L'ombre était sur Babel et l'horreur sur Endor.
On voyait le matin, quand l'aube au carquois d'or
Lance aux astres fuyants ses blanches javelines,
Des hommes monstrueux assis sur les collines;
On entendait parler de formidables voix,
Et les géants allaient et venaient dans les bois.
II
Nemrod, comme le chêne est plus haut que les ormes,
Etait le plus grand front parmi ces fronts énormes;
Il était fils de Chus, fils de Cham, qui vivait
En Judée et prenait le Sina pour chevet.
Son aïeul était Cham, le fils au rire infâme,
Dont Noë dans la nuit avait rejeté l'âme.
Cham, depuis lors, grondait comme un vase qui bout.
Cham assis dépassait les colosses debout,
Et debout il faisait prosterner les colosses.
Il avait deux lions d'Afrique pour molosses.
Atlas et le Liban lugubre au sommet noir
Tremblaient quand il jouait de la flûte le soir;
Parfois Cham, dans l'orage ouvrant ses mains fatales,
Tâchait de prendre au vol l'éclair aux angles pâles;
Arrachant la nuée, affreux, blême, ébloui,
Il bondissait de roche en roche, et devant lui,
Le tonnerre fuyait comme une sauterelle.
Si l'ouragan passait, Cham lui cherchait querelle.
Quand il fut vieux, Nemrod le laissa mourir seul.
Ayant ri comme fils, il pleura comme aïeul.
Donc Nemrod était fils de ces deux hommes sombres.
La terre était encore couverte de décombres
Quand était né, sous l'oeil fixe d'Adonaï,
Ce Nemrod qui portait tant de ruine en lui.
Etant jeune, et, chassant les lynx dans leur refuge,
Il avait, en fouillant les fanges du déluge,
Trouvé dans cette vase un clou d'airain, tordu,
Colossal, noir débris de l'univers perdu,
Et qu'on eût dit forgé par les géants du rêve;
Et de ce clou sinistre il avait fait son glaive.
Nemrod était profond comme l'eau Nagaïn;
Son arc avait été fait par Tubalcaïn
Et douze jougs de bœuf l'eussent pu tendre à peine;
Il entendait marcher la fourmi dans la plaine;
Chacune de ses mains, affreux poignets de fer,
Avait six doigts pareils à des gonds de l'enfer;
Ses cheveux se mêlaient aux nuages sublimes;
Son cor prodigieux qui sonnait sur les cimes
Etait fait d'une dent des antiques mammons,
Et ses flèches perçaient de part en part les monts.
III
Un jour, il vit un tigre et le saisit; la bête
Sauta, bondit, dressa son effroyable tête,
Et se mit à rugir dans les rocs effrayés
Comme la mer immense, et lui lécha les pieds;
Et quand il eut dompté le tigre, il dompta l'homme;
Et quand il eut pris l'homme, il prit Dan, Tyr, Sodome,
Suze, et tout l'univers du Caucase au delta,
Et quand il eut conquis le monde, il s'arrêta.
Alors il devint triste et dit: Que vais-je faire?
IV
Son glaive nu donnait le frisson à la terre.
Derrière ce glaive âpre, affreux, hideux, rouillé,
La Guerre, se dressant comme un pâtre éveillé,
Levait à l'horizon sa face de fantôme.
Et, tout tremblants, au fond des cités, sous le chaume,
Les hommes éperdus distinguaient dans la nuit,
Fronde en main, et soufflant dans des trompes épiques,
Cet effrayant berger du noir troupeau des piques.
Ce spectre était debout à droite de Nemrod.
Nemrod, foulant aux pieds la tiare et l'éphod,
Avait atteint, béni du scribe et de l'augure,
Le sommet sombre où l'homme en dieu se transfigure.
Il avait pour ministre un eunuque nommé
Zaïm, et vivait seul, dans sa tour enfermé.
L'eunuque lui montrait du doigt le mal à faire.
Et Nemrod regardait comme l'aigle en son aire;
Ses yeux fixes faisaient hurler le léopard.
Quand on disait son nom sur terre quelque part,
La momie ouvrait l'oeil dans la grande syringe,
Et les peuples velus à la face de singe
Qui vivent dans des trous à la surface du Nil
Tremblaient comme des chiens qui rentrent au chenil.
Les bêtes ne savaient s'il était homme ou bête.
Les hommes sous Nemrod comme sous la tempête
Se courbaient; il était l'effroi, la mort, l'affront;
Il avait le baiser de l'horreur sur le front;
Les prêtres lui disaient: O Roi, Dieu vous admire!
Ur lui brûlait l'encens, Tyr lui portait la myrrhe.
Autour du conquérant le jour était obscur.
Il en avait noirci des deux côtés l'azur;
A l'orient montait une sombre fumée
De cent villes brûlant dans la plaine enflammée;
Au couchant, plein de mort, d'ossements, de tombeaux,
S'abattait un essaim immense de corbeaux;
Et Nemrod contemplait, roi de l'horreur profonde,
Ces deux nuages noirs qu'il faisait sur le monde,
Et les montrait, disant: Nations, venez voir
Mon ombre en même temps sur l'aube et sur le soir.
2. STROPHE DEUXIÈME. CEUX QUI PARLAIENT
DANS LE BOIS
I
Pendant qu'on l'adorait, l'eunuque son ministre
Chantait d'une voix douce au fond du bois sinistre :
Mourez, vivants! Croulez, murs! Séchez-vous, sillons!
Tombez, mouches du soir, peuples, vains tourbillons!
Blanchissez, ossements! Pleurs, coulez! Incendies
Etendez sur les monts vos pourpres agrandies!
Cités, brûlez au vent! Cadavres, pourrissez!
Jamais l'eunuque noir ne dira : C'est assez!
Car ce banni rugit sur l'éden plein de flamme;
Car ce veuf de l'amour est en deuil de son âme;
Car il ne sera pas le père au front joyeux;
Car il ne verra point une femme aux doux yeux
Emplir, assise au seuil de la maison morose,
La bouche d'un enfant du bout de son sein rose!
Je suis du paradis le témoin torturé.
O vivants, je me venge, et le maître exécré,
C'est moi qui l'ai lâché sur la terre où nous sommes;
J'ai vu Nemrod errant dans la forêt des hommes;
J'ai fait un tigre avec ce lion qui passait.
Je jette ma pensée, invisible lacet,
Et je sens tressaillir dans ce filet le monde.
L'arbre est vert; j'applaudis la hache qui l'émonde;
Des hommes dévorés j'écoute les abois;
Chasse, ô Nemrod! - C'est moi qui au glaive : bois!
Et j'attise à genoux la guerre, moi l'envie.
Les autres êtres sont les vases de la vie,
Moi je suis l'urne horrible et vide du néant.
Je verse l'ombre. Nain, j'habite le géant;
Toutes ses actions composent ma victoire;
Il est le bras farouche et je suis l'âme noire.
La guerre est. Désormais, dans mille ans, ou demain,
Toute guerre sera parmi le genre humain
Une flèche de l'arc de Nemrod échappée.
O Nemrod, premier roi du règne de l'épée,
Va! c'est fait. L'âme humaine est allumée, et rien
Ne l'éteindra. L'indou, l'osque, l'assyrien,
Ont mordu dans la chair comme Eve dans la pomme.
La guerre maintenant ne peut s'arrêter, l'homme
Ayant bu du sang d'homme et l'ayant trouvé bon.
L'embrasement sans fin naîtra du vil charbon.
Mort! l'homme va crouler sur l'homme en avalanche.
Mort! l'humanité noire et l'humanité blanche,
Les grands et les petits, les tours et les fossés
Vont se heurter ainsi que des flots insensés.
Temps futurs! lutte, horreur, tas sanglants, foules viles!
Chaînes autour des camps, chaînes autour des villes,
Marches nocturnes, pas ténébreux, voix dans l'air;
Les tentes sur les monts, les voiles sur la mer!
O vision! chevaux aux croupes pommelées!
O tempêtes de chars et d'escadron! mêlées!
Nuages d'hommes, chocs, panaches, éperons!
Bouches ivres de bruit soufflant dans des clairons!
Les casques d'or; les tours sonnant des funérailles;
Des murailles sans fin; d'où sortez-vous, murailles?
Des champs dorés changés en gueules de l'enfer;
Les hydres légions aux écailles de fer;
Des glaives et des yeux tourbillonnant en trombes;
La semence des os faisant lever des tombes;
L'orgueil aveugle aux chants joyeux, chaque troupeau
Promenant son linceul qu'il appelle drapeau;
Des vaisseaux se mordant avec des becs difformes,
Si bien que la mer glauque et l'onde aux plis énormes,
Les gouffres, les écueils, verront l'homme hideux,
Et que Léviathan dira : Nous sommes deux!
O tumulte profond des siècles dans la haine!
Abrutissement fauve et fou! terreur! géhenne!
Obscurité! furie à toute heure, en tout lieu!
Sinistre cliquetis de l'homme contre Dieu!
Combattants! combattants! sortez des nuits profondes.
Les uns viendront avec des haches et des frondes;
Des bêtes de la mort faites par l'homme horrible.
Des couleuvres de bronze au cou long et terrible
Souffleront et feront s'envoler à grand bruit
Le cheval, la fanfare et l'homme dans la nuit.
On meurt! on meurt! hiboux, corbeaux, noires volées!
Villes prises d'assaut! ô femmes violées!
O vengeance! - tuez! pourquoi? pour rien. Allez.
Ils tueront. Ils tueront, de massacres essoufflés,
Le riche en son palais, les pauvres dans les bouges,
Et se proposeront, portant des urnes rouges,
D'emplir avec du sang le sépulcre sans fond.
Tuez. Ce que Dieu fit, les hommes le défont.
Bien. O guerre! ô dragon qui dans l'ombre me lèches!
Le grand ciel est rayé d'un ouragan de flèches!
Bien. Guerre, roule-toi sur les peuples agneaux;
Noue à l'humanité tes lugubres anneaux;
Guerre! L'homme content veux que tu l'extermines.
Détruis! fais fourmiller les légions vermines.
Mange! Mange les camps, les murs, les chars mouvants,
Mange les tours de pierre et les ventres vivants;
Mange les dieux et mange aussi les rois; travaille;
Mange le laboureur, le soc, l'épi, la paille,
Le champ; mange l'abeille et mange l'alcyon;
Sois le ver monstrueux du fruit création.
Dieu! Pourquoi créas-tu la mort? l'homme invente;
L'eunuque bat des mains, ébloui d'épouvante.
Tuez, tuez! - Au nord, au couchant, au midi,
Partout, cercle effroyable et sans cesse agrandi,
La bataille repaît mes yeux visionnaires.
Oh! le sombre avenir roule plein de tonnerres!
Oh! dans l'air à jamais je vois la mort sifflant!
Oh! je vois à jamais saigner la guerre au flanc
De l'humanité triste, affreuse et criminelle;
Et le mutilé rit à la plaie éternelle!
Les races sécheront comme un torrent d'été;
La vierge sera veuve avant d'avoir été;
La mère pleurera d'avoir été féconde,
O joie! - En ce moment Nemrod est seul au monde;
La terre est encor faible et n'en peut porter qu'un;
Mais le ciel germera sous le ciel importun,
Mais vous pullulerez, ô glaive, ô cimeterre;
Quel spectacle quand tout se mordra sur la terre,
Et quand tous les Nemrods se mangeront entr'eux!
Parfois je vais, au bord d'un fleuve ténébreux,
Regarder, sur le sable ou dans les joncs d'une île,
Le vautour disputer sa proie au crocodile;
Chacun veut être seul, chacun veut être roi,
Chacun veut tout; et moi, je ris des cris d'effroi
Que poussent les roseaux de l'Euphrate ou du Tigre
Quand le lézard brigand lutte avec l'oiseau tigre.
Ainsi, peuples, de loin, je savoure vos deuils.
Vous avez les berceaux, vivants! J'ai les cercueils.
J'aspire le parfum des corps sans sépulture.
Ah! pourquoi m'a-t-on pris ma part de la nature!
Vous m'avez arraché du sein qui m'échauffait,
Quand j'étais tout petit, moi qui n'avais rien fait!
Vous avez tué l'homme et laissé l'enfant vivre!
Soyez maudits! Je hais. Ma propre horreur m'enivre.
Malheur à ce qui vit! Malheur à ce qui luit!
Je suis le mal, je suis le deuil, je suis la nuit.
Malheur! Pendant qu'au bois le loup étreint la louve,
Pendant que l'ours ému cherche l'ourse et la trouve,
Que la femme est à l'homme, et le nid à l'oiseau,
Que l'air féconde l'eau tremblante, le ruisseau
L'herbe, et que le ramier s'accouple à la colombe,
Moi l'eunuque, j'ai pris pour épouse une tombe!
II
Et dans le même bois et de l'autre côté
Un lépreux s'écriait :
Nature!
immensité!
Etoiles! profondeurs! fleurs qu'en tremblant je nomme,
Ne maudissez pas que moi! soyez bonnes pour l'homme!
O Dieu, quand je suis né, vous ne regardiez pas.
La lèpre, rat hideux de la cave trépas,
Me ronge, et j'ai la chair toute déchiquetée.
Je suis la créature immonde et redoutée.
La terre ne m'a pris que pour me rejeter.
Les buissons ont pitié de me voir végéter;
Ce qu'ils ont en bourgeons sur moi croît en pustules.
Ma peau, quand je suis nu, fait peur aux tarentules.
De loin, au chevrier, au pâtre, au laboureur,
J'apparais, spectre, avec le masque de l'horreur.
La lèpre erre sur moi comme un lierre sur l'orme.
La sève qui, gonflant tout de son flot énorme,
Emplit de lionceaux les antres, les doux nids
De soupirs, de rameaux les arbres rajeunis,
La rose de parfums et l'espace de mondes,
Me fait manger vivant par des bêtes immondes!
Je suis le souffle peste et le toucher poison;
Je suis dans une plaie un esprit en prison,
Ame qui pleure au fond d'une fange qui saigne,
Je suis ce que le pied foule, écrase et dédaigne,
L'ordure, le rebut, le crapaud du chemin,
Le crachat de la vie au front du genre humain.
Je me tords, enviant la beauté des chenilles.
Mon reflet rend la source horrible; mes guenilles
Montrent ma chair, ma chair montre mes os; je suis
L'abjection du jour, l'infection des nuits.
Ainsi qu'un fruit pourri, la vie est dans ma bouche.
J'ai beau me retourner sur la cendre où je couche,
Je ressemble au remords qui ne peut pas dormir.
Quand je sors, ma maison a l'air de me vomir;
Quand je rentre, je sens me résister ma porte.
Seigneur! Seigneur! je suis importun au cloporte,
Le chien me fuit, l'oiseau craint mon front qui pâlit,
Et le porc monstrueux regarde mal mon lit.
Sous le ciel profond et bleu, mon âme est seule.
Ma bouche n'ose pas même baiser la gueule.
L'antre en me voyant gronde et devient soucieux.
Chaque jour rayonnant qui passe sous les cieux
Est un bourreau qui vient me traîner dans la claie.
Le tesson du bourbier, dont j'ai raclé ma plaie,
Va s'en plaindre à la fange et dit : il m'a sali.
Tout est votre pensée et je suis votre oubli,
Seigneur; le mal me tient sous sa griffe cruelle.
Des enfants en riant m'ont cassé mon écuelle;
Je n'ai plus que ma main lépreuse pour puiser
L'eau dans le creux du roc où l'air vient la verser,
De sorte qu'à présent je bois dans mon ulcère.
Seigneur! Seigneur! je suis dans le cachot misère.
La création voit ma face et dit : dehors!
La ville des vivants me repousse, et les morts
Ne veulent pas de moi, dégoût des catacombes.
Le ver des lèpres fait horreur au ver des tombes.
Dieu! je ne suis pas mort et ne suis pas vivant.
Je suis l'ombre qui souffre, et les hommes trouvant
Que pour l'être qui pleure et qui rampe et se traîne,
C'était trop peu du chancre, ont ajouté la haine.
Leur foule, ô Dieu, qui rit et qui chante, en passant
Me lapide saignant, expirant, innocent;
Ils vont marchant sur moi comme sur de la terre;
Je n'ai pas une plaie où ne tombe une pierre.
Eh bien! je suis content, Dieu, si je souffre seul!
Eh bien! je tire à moi tous les plis du linceul
Pour qu'il n'en flotte rien sur la tête des autres!
Eh bien! je ne sais pas quelles lois sont les vôtres,
Mais, dans mon anathème et mon accablement,
Je le dis, puisse, ô Dieu du profond firmament,
Du fond de ma nuit noire, en ce monde où nous sommes,
Mon malheur rayonner en bonheur sur les hommes!
Qu'ils vivent dans la joie et l'oubli, jamais las!
Ce qu'il vous doit, ô Dieu, l'homme l'ignore hélas!
Oh! que je sois celui qui pleure et qui rachète!
Laissez-moi vous payer leur rançon en cachette,
Dieu bon, par qui Noë connut le raisin mûr!
Femmes qui, si ma tête ose passer mon mur,
Si je tâche en passant de voir votre lumière,
Frémissantes, crachez sur ma pauvre chaumière,
Et qui vous enfuyez avec des cris d'effroi,
Que Dieu vous donne, hélas! L'amour qu'il m'ôte à moi!
Je vous bénis. Chantez dans cette vie amère.
Petit enfant qui tiens la robe de ta mère,
Et qui, si tu me vois songeant sous l'infini,
Dis : Mère, quel est donc ce monstre? sois béni.
Vous hommes, qui riez des pleurs de mes paupières,
O mes frères lointains qui me jetez des pierres,
Soyez bénis! bénis sur terre et dans les cieux!
Pères, dans vos enfants, et, fils, dans vos aïeux!
Car, puisque l'eau veut bien que ma lèvre la touche,
La bénédiction doit sortir de ma bouche,
Puisque mon bras peut prendre un fruit dans le chemin,
La bénédiction doit tomber de ma main,
Et, Ciel, puisque mon oeil voit ta face éternelle,
La bénédiction doit emplir ma prunelle!
Oui, j'ai le droit d'aimer! J'ai le droit de pencher
Mon cœur sur l'homme, l'arbre et l'onde et le rocher;
J'ai le droit de sacrer la terre vénérable
Etant le plus abject et le plus misérable!
Je dois bénir le plus étant le plus maudit.
Donc, terre, monts sacrés dont Adam descendit,
Fleuves, je vous bénis, et je vous bénis, plaines;
Vous tous, êtres! oiseaux, moutons aux blondes laines,
Fourmis des bois, pasteurs dans vos tentes de crin,
Toi, mer, qui resplendis comme un liquide airain,
Bêtes qui ressemblez à des branches horribles,
Fleurs dont les parfums sont des rayons invisibles,
Ciel qui nous dis tout bas dans l'ombre : je suis près;
Nocturnes profondeurs des muettes forêts,
Sources qui répandez vos murmures dans l'herbe,
Joncs frémissants qu'émeut le souffle, né du verbe,
Bœuf qui mugis, lion qui vas, chevreau qui pais,
Soyez dans la lumière et soyez dans la paix!
Moi je dois me cacher, l'homme n'est pas mon hôte;
J'ai la nuit. Pourquoi suis-je horrible? C'est ma faute.
Pardonnez-moi! pardon, ô femme! pardon, fleur!
Pardon, jour! - entrouvrant ses lèvres de douleur,
Mon ulcère, ô vivants, tâche de vous sourire.
Oui, vous avez bien fait, frères, de me proscrire
Puisque je souffrais tant que je vous faisais peur.
C'est de l'amour qui sort quand vous broyez mon cœur.
Le lépreux y consent, vivez, homme et nature!
Dans le ciel radieux je jette ma torture,
Ma nuit, ma soif, ma fièvre et mes os chassieux,
Et le pus de ma plaie et les pleurs de mes yeux,
Je les sème au sillon des splendeurs infinies,
Et sortez de mes maux, biens, vertus, harmonies!
Répands-toi sur la vie et la création,
Sur l'homme et sur l'enfant, lèpre! et deviens rayon!
Sur mes frères que l'ombre aveugle de ses voiles,
Pustules, ouvrez-vous et semez les étoiles!
O Dieu! dont ici-bas tout n'est que la vapeur,
O Dieu, rayonnement qu'adore ma stupeur,
O Dieu, qui portez l'astre et tenez le tonnerre,
Clarté que l'aigle montre aux aiglons dans son aire,
Ame! abîme! écoutez la prière du ver!
Faites devant l'été décroître l'âpre hiver,
La triste nuit devant l'aurore, les misères
Devant l'homme, les maux devant le bien, les serres
Devant le doux oiseau, les loups devant le daim!
Ramenez par la main le couple dans Eden.
Réconciliez l'être, ô père, avec les choses.
Arrachez doucement les épines des roses.
Faites que la brebis admire le lion.
Supprimez le combat, le choc, le talion;
Soufflez sur les fureurs et les horreurs humaines,
Et faites une fleur avec toutes ces haines!
Versez sur tous leurs fronts la sereine beauté.
O songeur de l'obscure et calme éternité,
Etre mystérieux dont les sphères débordent,
Dieu! faites se baiser les bouches qui se mordent;
Emplissez de bonheur les rameaux verts, mettez
La femme dans la grâce et l'homme à ses côtés;
Faites mûrir le fruit; faites lâcher la proie;
Faites des berceaux blancs sortir un bruit de joie,
Croître le lys, fleurir l'arbre, rire le jour,
Et sous l'immense azur chanter l'immense amour!
Et les astres voyaient dans les splendeurs profondes,
Pendant que, bénissant l'homme, les plaines blondes,
Les grands fleuves, les bois, les monts silencieux,
S'ouvrait et se dressait lentement vers les cieux,
La main du lépreux, noire, affreuse, triste et frêle,
La main de Jéhovah se lever derrière elle.
3. STROPHE TROISIÈME. SELON ORPHÉE ET
SELON MELCHISÉDECH
I
Dans son désœuvrement Nemrod, d'ombre chargé,
Ravagea de nouveau le monde ravagé,
Recommença, brûla deux fois les mêmes villes,
Rougit la vaste mer du flamboiement des îles,
Brûla Ségor, brûla Gergesus, brûla Tyr.
Puis, ayant tout détruit, il se mit à bâtir.
Il construisit Achad, il créa Babylone,
Il bâtit Gour dans l'ombre où le vent tourbillonne,
Resen dans les palmiers, Chalanné sur les monts;
Lieux qu'on ne nommait pas comme nous les nommons.
Il fit, pour abriter Pytiunte et Dioscure,
Un mur énorme au fond de la Tauride obscure;
Il habilla d'acier ses soldats triomphants;
Il fit trembler des tours au dos des éléphants;
Il troua le Caucase ébranlé sur son axe;
Il versa dans la mer le Cyrus et l'Araxe;
Mais rien n'emplit son âme; il disait: J'ai vécu.
Que faire? et, chaque jour, plus las et plus vaincu,
Morne, il sentait monter dans son cœur solitaire
L'immense ennui d'avoir conquis toute la terre.
II
L'an deux mille, Nemrod, passant les flots émus,
Vint jusqu'à Dodanim que nous nommons l'Hémus.
Là, dans un noir désert dont le lion est l'hôte,
Il entendit quelqu'un qui parlait à voix haute.
C'était Orphée. Orphée au front calme, écouté
Par la sombre nature émue à sa clarté,
Homme à qui se frottait le dos des bêtes fauves,
Racontait aux forêts, aux vents, aux vieux monts chauves,
La bataille où les dieux vainquirent les typhons.
Voici ce que disait Orphée aux bois profonds:
«Les géants n'avaient plus de montagnes. Leur fuite
«Commençait, et l'Europe était presque détruite.
«Ils avaient entassé Pinde, Ossa, Pélion,
«Rhodope, et ces monts noirs d'où fuyait le lion,
«Nus, renversés, fumaient d'éclairs et de brûlures,
«Et leurs torrents pendaient comme des chevelures.
«Et les géant s couraient vers les mers où fut Tyr.
«Ils voyaient les dieux vaincre, et Neptune engloutir
«Oromédon sous Cos, Polybe sous Nisyre.
«Thryx embrasé fondait comme un flambeau de cire.
«Porphyrion, levant ses mains vides, criait
«A la terre, rôdant au loin, spectre inquiet:
«Mais apporte-nous donc une montagne, mère!
«Crès, par la foudre étreint, lui jetait l'onde amère.
«Andès, frère d'Astrée et père de Thallo,
«S'en allait à grands pas au plus profond de l'eau,
«Et jusqu'à la ceinture avait la mer Egée;
«Zeus Jupiter vint, la main d'éclairs chargée,
«Et lui cria: Sois pierre, ô monstre! Et le géant
«Vit Zeus, devint roche et s'arrêta béant.
«Et Titan dit: Merci! tu nous donnes des armes!
«Et, pendant que tremblait la terre, aïeule en larmes,
«Il courut, et, prenant Andès par le milieu,
«Il jeta le géant à la tête du dieu.»
Et Nemrod rêveur dit: Titan est mon ancêtre.
Il revint vers les monts où l'on voit l'aube naître;
Il rentra dans Assur que la splendeur revêt.
Son glaive, d'où la guerre était sortie, avait
Une tache inconnue, empreinte indélébile,
Que Nemrod par moments contemplait immobile.
Un soir, dans un lieu sombre où marchait ce bandit,
Une voix qui parlait dans un rocher, lui dit:
- Passe, Dieu reste. - Et lui, cria: J'ai pour royaume
Le monde; toi, qu'es-tu? - La voix reprit: - Fantôme,
Je suis Melchisédech, je vivrai dans mille ans. -
Nemrod dit: - Qu'as-tu vu depuis que dans ses flancs
Ce roc t'enferme? - Et l'être enfoui sous la pierre
Dit: «- Je suis âme, et l'âme est un oeil sans paupière.
«Le monde a commencé par être horrible. Avant
«Que le front se dressât plein de l'esprit vivant,
«Avant que, dominant l'animal et la plante,
«La pensée habitât la prunelle parlante,
«Et qu'Adam, par la main tenant Eve, apparût,
«L'ébauche fourmillait dans la nature en rut,
«Le poulpe aux bras touffus, la torpille étoilée,
«D'immenses vers volants, dont l'aile était onglée,
«De hauts mammons velus, nés dans les noirs limons,
«Troublaient l'onde, ou levaient leurs trompes sur les monts.
«Sous l'enchevêtrement des forêts inondées
«Glissaient des mille-pieds, long de cinq cent coudées,
«Et de grands vibrions, des volvoces géants
«Se tordaient à travers les glauques océans.
«L'être était effrayant. La vie était difforme.
«Partout rampait l'impur, l'affreux, l'obscur, l'énorme.
«La vermine habitait le globe chevelu.
«Et l'homme était absent; Dieu n'ayant pas voulu
«Donner ce noir spectacle à voir à l'âme humaine.
«Satan, dans ce lugubre et féroce domaine,
«Passait, comme un chasseur qui souffle dans son cor;
«Mais, avant ce temps-là, c'était plus sombre encor.
«Tout l'univers n'était qu'une morne fumée.
«Ainsi que des oiseaux dans une main fermée,
«L'horreur tenait captifs le germe et l'élément.
«Un tout, qui n'était rien, vivait confusément.
«Des apparitions flottaient sur l'insondable.
«Au fond de cette brume étrange et formidable,
«Comme si, quoique rien ne fût encor puni,
«Le gouffre eût essayé d'engloutir l'infini,
«On voyait, aux lueur des visions funèbres,
«S'ouvrir et se fermer la gueule des ténèbres.
«Partout apparaissait, à l'oeil épouvanté,
«La face du néant, faite d'obscurité.
«A chaque instant, le fond redevenait la cîme;
«Et, comme une nuée au-dessus d'un abîme,
«Dans cette ombre où rampaient les larves des fléaux,
«Le monstre Nuit planait sur la bête Chaos.
«C'était ainsi quand Dieu se levant, dit à l'ombre:
«Je suis. Ce mot créa les étoiles sans nombre,
«Et Satan dit à Dieu: Tu ne seras pas seul.»
Nemrod pensif cria: - Satan est mon aïeul.
III
Il resta trente jours au fond des solitudes
Rêvant par les rocs aux sombres attitudes;
Quand il revint son oeil brillait comme un flambeau.
Son eunuque Zaïm, plus noir que le tombeau,
Se prosternant, lui dit: - Roi, vous avez la terre.
Vous êtes roi d'Assur, dont Tyr est tributaire.
Il a suffi qu'Assur vînt pour qu'il triomphât
Aux sources de Cadès qu'on nomme aussi Misphat.
Dieu règne moins que vous.
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