La foire aux vanités, Tome I








LA FOIRE AUX VANITÉS

OUVRAGES DU MÊME AUTEUR QUI SE VENDENT A LA MÊME LIBRAIRIE

Œuvres de Thackeray, traduites de l'anglais. 9 vol.

Henry Esmond, traduit par Léon de Wailly. 2 vol.

Histoire de Pendennis, traduit par Ed. Scheffter. 3 vol.

Le livre des Snobs, traduit par F. Guiffrey. 1 vol.

Mémoires de Barry Lyndon, traduits par Léon de Wailly. 1 vol.

M. W. THACKERAY

LA FOIRE AUX VANITÉS

ROMAN ANGLAIS

Traduit avec l'autorisation de l'auteur

PAR GEORGES GUIFFREY

TOME PREMIER

PARIS

LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie

79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

1884

PRÉFACE DU TRADUCTEUR.

Tout le monde connaît ces rendez-vous en plein air, ces réjouissances annuelles et ambulantes qui appellent les amateurs de bruit, de poussière et de plaisir. La Foire aux Vanités est l'idéal du genre. On y trouve même cohue, même tumulte, mêmes éclats de rire; toutefois, à la différence de ces fêtes populaires qui n'ont lieu qu'à des intervalles éloignés, la Foire aux Vanités se tient en permanence; elle a commencé avec le monde, elle ne finira qu'avec lui: c'est une parade universelle où chacun a son rôle à jouer, où chacun tour à tour rit du prochain et le fait rire à ses dépens.

Mais, tandis que la plupart des acteurs de cette comédie humaine disparaissent dans le tourbillon général sans laisser trace de leur passage, quelques-uns sortent de la foule, fondent leur réputation et s'élèvent aux yeux de la postérité au rang de chefs d'emploi et de créateurs du genre. C'est ainsi que l'on peut nommer parmi tant d'autres et Panurge, et Macette, et Tartufe, et Basile. À cette galerie déjà peuplée de personnages si célèbres, M. Thackeray a ajouté un type qui n'est ni moins expressif ni moins vrai que les précédents. C'est celui d'une jeune fille sans famille, sans fortune et sans cœur, mais aventurière ambitieuse, qui s'obstine à trouver un mari avec les seules ressources d'une imagination précoce: c'est qu'un mari équivaut pour elle à une position sociale, c'est qu'un mari est le passe-port nécessaire sans lequel aucune femme ne saurait circuler dans le monde honnête. Puis après le mariage vient la manière de s'en servir.

Mais nous ne voulons point retarder le lecteur au début de cette excursion piquante et instructive, à laquelle le convie M. Thackeray. Déjà les personnages s'agitent, les événements se pressent et l'intrigue se noue. Qu'il nous suffise d'un dernier mot: on verra dans ce roman que les baronnes d'Ange ne sont pas nées d'hier, qu'elles existent dans tous les pays, et que l'Angleterre a aussi son Demi-Monde.

G. G.

LA FOIRE AUX VANITÉS.

CHAPITRE PREMIER.

Chiswick Mall.

Notre siècle marchait sur ses quinze ans.... Par une brillante matinée de juin, une large voiture bourgeoise se dirigeait, avec une vitesse de quatre milles à l'heure, vers la lourde grille du pensionnat de jeunes demoiselles tenu par miss Pinkerton, à Chiswick Mall. La voiture était attelée de deux chevaux bien nourris, aux harnais étincelants et conduits par un cocher non moins bien nourri, et ombragé d'un chapeau à trois cornes et d'une perruque. Sur le siége, à coté du cocher, se trouvait un domestique noir, qui déplia ses jambes recourbées au moment où la voiture s'arrêtait devant la porte de miss Pinkerton. Au bruit de la cloche qu'il agita, une douzaine au moins de jeunes têtes apparurent aux étroites croisées de ce vieux et majestueux manoir bâti en brique. Un observateur attentif eût pu même reconnaître le nez rouge et effilé de cette bonne miss Pinkerton, se dressant au-dessus d'une touffe de géraniums qui ornaient la fenêtre du salon.

«C'est la voiture de M. Sedley, ma sœur, dit miss Jemima; c'est Sambo, le domestique noir, qui vient de sonner, et le cocher a un habit rouge tout neuf.

—Avez-vous terminé tous les préparatifs nécessaires pour le départ de miss Sedley, miss Jemima?» demanda miss Pinkerton.

C'était une bien majestueuse personne que miss Pinkerton, la Sémiramis d'Hammersmith, l'amie du docteur Johnson et la correspondante de mistress Chapone.

«Ces demoiselles sont à emballer leurs chiffons depuis quatre heures du matin, ma sœur, répliqua miss Jemima, et nous leur avons préparé une brassée de fleurs.

—Dites un bouquet, ma sœur Jemima; cela est de meilleur ton.

—Eh bien! soit, un bouquet qui était bien gros comme une botte de foin. J'ai mis de plus deux bouteilles d'eau de giroflée pour miss Sedley et la recette pour en faire, le tout dans la malle d'Amélia.

—Et je pense, miss Jemima, que vous avez copié la note de miss Sedley. La voici, n'est-ce pas?... C'est très-bien: quatre-vingt-treize livres quatre schellings.