Tu verras à notre retour. Nous vivrons tous libres et heureux. »
Miette l’entraîna doucement. Ils se remirent à marcher.
« Tu l’aimes bien ta République, dit l’enfant en essayant de plaisanter. M’aimes-tu autant qu’elle ? »
Elle riait, mais il y avait quelque amertume au fond de son rire. Peut-être se disait-elle que Silvère la quittait bien facilement pour courir les campagnes. Le jeune homme répondit d’un ton grave :
« Toi, tu es ma femme. Je t’ai donné tout mon cœur. J’aime la République, vois-tu, parce que je t’aime. Quand nous serons mariés, il nous faudra beaucoup de bonheur, et c’est pour une part de ce bonheur que je m’éloignerai demain matin… Tu ne me conseilles pas de rester chez moi ?
– Oh ! non, s’écria vivement la jeune fille. Un homme doit être fort. C’est beau, le courage !… Il faut me pardonner d’être jalouse. Je voudrais bien être aussi forte que toi. Tu m’aimerais encore davantage, n’est-ce pas ? »
Elle garda un instant le silence, puis elle ajouta avec une vivacité et une naïveté charmantes :
« Ah ! comme je t’embrasserai volontiers, quand tu reviendras. »
Ce cri d’un cœur aimant et courageux toucha profondément Silvère. Il prit Miette entre ses bras et lui mit plusieurs baisers sur les joues. L’enfant se défendit un peu en riant. Et elle avait des larmes d’émotion plein les yeux.
Autour des amoureux, la campagne continuait à dormir, dans l’immense paix du froid. Ils étaient arrivés au milieu de la côte. Là, à gauche, se trouvait un monticule assez élevé, au sommet duquel la lune blanchissait les ruines d’un moulin à vent ; la tour seule restait, tout écroulée d’un côté. C’était le but que les jeunes gens avaient assigné à leur promenade. Depuis le faubourg, ils allaient devant eux, sans donner un seul coup d’œil aux champs qu’ils traversaient. Quand il eut baisé Miette sur les joues, Silvère leva la tête. Il aperçut le moulin.
« Comme nous avons marché ! s’écria-t-il. Voici le moulin. Il doit être près de neuf heures et demie, il faut rentrer. »
Miette fit la moue.
« Marchons encore un peu, implora-t-elle, quelques pas seulement, jusqu’à la petite traverse… Vrai, rien que jusque-là. »
Silvère la reprit à la taille, en souriant. Ils se mirent de nouveau à descendre la côte. Ils ne craignaient plus les regards des curieux ; depuis les dernières maisons, ils n’avaient pas rencontré âme qui vive. Ils n’en restèrent pas moins enveloppés dans la grande pelisse. Cette pelisse, ce vêtement commun, était comme le nid naturel de leurs amours. Elle les avait cachés pendant tant de soirées heureuses ! S’ils s’étaient promenés côte à côte, ils se seraient crus tout petits et tout isolés dans la vaste campagne. Cela les rassurait, les grandissait, de ne former qu’un être.
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