Je vis venir mon hôtesse, grosse femme réjouie, de belle humeur, qui avait manqué sa vocation ; c’était une Flamande qui aurait dû naître dans un tableau de Teniers. ― Eh ! bien, monsieur ? me dit-elle. Monsieur Regnault vous a sans doute rabâché son histoire de la Grande Bretèche. ― Oui, mère Lepas. ― Que vous a-t-il dit ? Je lui répétai en peu de mots la ténébreuse et froide histoire de madame Merret. À chaque phrase, mon hôtesse tendait le cou, en me regardant avec une perspicacité d’aubergiste, espèce de juste milieu entre l’instinct du gendarme, l’astuce de l’espion et la ruse du commerçant. ― Ma chère dame Lepas ! ajoutai-je en terminant, vous paraissez en savoir davantage. Hein ? Autrement, pourquoi seriez-vous montée chez moi ? ― Ah ! foi d’honnête femme, et aussi vrai que je m’appelle Lepas... ― Ne jurez pas, vos yeux sont gros d’un secret. Vous avez connu monsieur de Merret. Quel homme était-ce ? ― Dame, monsieur de Merret, voyez-vous, était un bel homme qu’on ne finissait pas de voir, tant il était long ! un digne gentilhomme venu de Picardie, et qui avait, comme nous disons ici, la tête près du bonnet. Il payait tout comptant pour n’avoir de difficulté avec personne. Voyez-vous, il était vif. Nos dames le trouvaient toutes fort aimable. ― Parce qu’il était vif ! dis-je à mon hôtesse. ― Peut-être bien, dit-elle. Vous pensez bien, monsieur, qu’il fallait avoir eu quelque chose devant soi, comme on dit, pour épouser madame de Merret qui, sans vouloir nuire aux autres, était la plus belle et la plus riche personne du Vendômois. Elle avait aux environs de vingt mille livres de rente. Toute la ville assistait à sa noce. La mariée était mignonne et avenante, un vrai bijou de femme. Ah ! ils ont fait un beau couple dans le temps ! ― Ont-ils été heureux en ménage ? ― Heu, heu ! oui et non, autant qu’on peut le présumer, car vous pensez bien que, nous autres, nous ne vivions pas à pot et à rôt avec eux ! Madame de Merret était une bonne femme, bien gentille, qui avait peut-être bien à souffrir quelquefois des vivacités de son mari ; mais quoiqu’un peu fier, nous l’aimions. Bah ! c’était son état à lui d’être comme ça ! Quand on est noble, voyez-vous... ― Cependant il a bien fallu quelque catastrophe pour que monsieur et madame de Merret se séparassent violemment ? ― Je n’ai point dit qu’il y ait eu de catastrophe, monsieur. Je n’en sais rien. ― Bien. Je suis sûr maintenant que vous savez tout. ― Eh ! bien, monsieur, je vais tout vous dire. En voyant monter chez vous monsieur Regnault, j’ai bien pensé qu’il vous parlerait de madame de Merret, à propos de la Grande Bretèche. Ça m’a donné l’idée de consulter monsieur, qui me paraît un homme de bon conseil et incapable de trahir une pauvre femme comme moi qui n’ai jamais fait de mal à personne, et qui se trouve cependant tourmentée par sa conscience. Jusqu’à présent, je n’ai point osé m’ouvrir aux gens de ce pays-ci, ce sont tous des bavards à langues d’acier.