C’était à toute heure ce drame profondément tragique, et qui a lieu dans toutes les familles lorsqu’on craint, à chaque respiration trop forte d’une malade adorée, que ce ne soit la dernière. Le cinquième jour de cette fatale semaine, le médecin proscrivit les fleurs. Les illusions de la vie s’en allaient une à une.
Depuis ce jour, Marie et son frère trouvèrent du feu sous leurs lèvres quand ils venaient baiser leur mère au front. Enfin le samedi soir, madame Willemsens ne pouvant supporter aucun bruit, il fallut laisser sa chambre en désordre. Ce défaut de soin fut un commencement d’agonie pour cette femme élégante, amoureuse de grâce. Louis ne voulut plus quitter sa mère. Pendant la nuit du dimanche, à la clarté d’une lampe et au milieu du silence le plus profond, Louis, qui croyait sa mère assoupie, lui vit écarter le rideau d’une main blanche et moite.
― Mon fils, dit-elle.
L’accent de la mourante eut quelque chose de si solennel que son pouvoir venu d’une âme agitée réagit violemment sur l’enfant, il sentit une chaleur exorbitante dans la moelle de ses os.
― Que veux-tu, ma mère ?
― Écoute-moi. Demain, tout sera fini pour moi. Nous ne nous verrons plus. Demain, tu seras un homme, mon enfant. Je suis donc obligée de faire quelques dispositions qui soient un secret entre nous deux. Prends la clef de ma petite table. Bien ! Ouvre le tiroir. Tu trouveras à gauche deux papiers cachetés. Sur l’un, il y a : ― LOUIS. Sur l’autre : ― MARIE.
― Les voici, ma mère.
― Mon fils chéri, c’est vos deux actes de naissance ; ils vous seront nécessaires. Tu les donneras à garder à ma pauvre vieille Annette, qui vous les rendra quand vous en aurez besoin.
― Maintenant, reprit-elle, n’y a-t-il pas au même endroit un papier sur lequel j’ai écrit quelques lignes ?
― Oui, ma mère.
Et Louis commençant à lire : ― Marie Willemsens, née à...
― Assez, dit-elle vivement. Ne continue pas. Quand je serai morte, mon fils, tu remettras encore ce papier à Annette, et tu lui diras de le donner à la mairie de Saint-Cyr, où il doit servir à faire dresser exactement mon acte de décès. Prends ce qu’il faut pour écrire une lettre que je vais te dicter.
Quand elle vit son fils prêt, et qu’il se tourna vers elle comme pour l’écouter, elle dit d’une voix calme : Monsieur le comte, votre femme lady Brandon est morte à Saint-Cyr, près de Tours, département d’Indre-et-Loire. Elle vous a pardonné.
― Signe...
Elle s’arrêta, indécise, agitée.
― Souffrez-vous davantage ? demanda Louis.
― Signe : Louis-Gaston !
Elle soupira, puis reprit : ― Cachète la lettre, et écris l’adresse suivante : à lord Brandon. Brandon-Square. Hyde-Park, Londres. Angleterre.
― Bien, reprit-elle. Le jour de ma mort tu feras affranchir cette lettre à Tours.
― Maintenant, dit-elle après une pause, prends le petit portefeuille que tu connais, et viens près de moi, mon cher enfant.
― Il y a là, dit-elle, quand Louis eut repris sa place, douze mille francs. Ils sont bien à vous, hélas ! Vous eussiez été plus riches, si votre père...
― Mon père, s’écria l’enfant, où est-il ?
― Mort, dit-elle en mettant un doigt sur ses lèvres, mort pour me sauver l’honneur et la vie.
Elle leva les yeux au ciel. Elle eût pleuré, si elle avait encore eu des larmes pour les douleurs.
― Louis, reprit-elle, jurez-moi là, sur ce chevet, d’oublier ce que vous avez écrit et ce que je vous ai dit.
― Oui, ma mère.
― Embrasse-moi, cher ange.
Elle fit une longue pause, comme pour puiser du courage en Dieu et mesurer ses paroles aux forces qui lui restaient.
― Écoute. Ces douze mille francs sont toute votre fortune ; il faut que tu les gardes sur toi, parce que quand je serai morte il viendra des gens de justice qui fermeront tout ici. Rien ne vous y appartiendra, pas même votre mère ! Et vous n’aurez plus, pauvres orphelins, qu’à vous en aller, Dieu sait où. J’ai assuré le sort d’Annette.
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