Ils ont été timides un moment, et puis, ils m’ont laissé prendre les coquillages. Pour dire vrai, c’étaient pas tous des coquillages avec des perles mais toutes sortes de saletés, des huîtres sauvages et tout ça. Mais je les jetais dans l’eau et je disais : « Pas ça, mes enfants » ça ne vaut rien, ça, je ne vais pas vous les ouvrir avec mon couteau. » Mais quand c’était un coquillage à perles, alors, je l’ouvrais avec mon couteau et je tâtais pour voir s’il y avait une perle. Et je leur donnais le coquillage à gober. Et à ce moment-là, j’en avais déjà plusieurs centaines de ces lézards assis tout autour de moi pour regarder comme je les ouvrais. Et il y en avait qui essayaient tout seuls comment défaire ce coquillage avec un bout de coquillage qui se trouvait par là. Ben, ça m’a fait drôle, mon gars. Aucune bête ne sait se servir des instruments ; faut dire ce qui est, une bête, hein, c’est seulement la nature. Vrai, à Buitenzorg, j’ai vu un singe avec un couteau qui ouvrait des espèces de tins, cette boîte avec conserve, mais le singe c’est pas une vraie bête, Monsieur. Vrai, ça m’a fait tout drôle.
Le capitaine but encore :
— Cette nuit-là, Monsieur Bondy, j’ai peut-être trouvé dix-huit perles, dans ces shells. Il y en avait des petites et des plus grosses et trois comme un noyau, Monsieur Bondy.
Le capitaine Van Toch hocha gravement la tête :
— Quand je suis revenu sur mon bateau, le matin, je me disais, Captain Van Toch, tu as dû rêver, Sir, tu étais soûlé, Monsieur, et tout ça ; mais faut dire ce qui est, j’avais les dix-huit perles dans la poche. Ja.
— C’est la meilleure histoire que j’aie jamais entendue, soupira M. Bondy.
— Eh bien, tu vois, mon gars, dit le capitaine, flatté. Pendant la journée, j’ai fait travailler ma tête. Ces lézards, je m’en vais les… apprivoiser, non ? ja, apprivoiser et leur apprendre des choses et ils vont m’apporter ces pearl-shells. Il doit y en avoir des tas, de ces coquillages, dans ce Devil Bay. Alors, le soir, j’y suis encore allé, mais un peu plus tôt. Quand le soleil commence à se coucher, alors ces lézards sortent leurs bobines de l’eau, là et puis là, jusqu’à ce qu’il y en ait partout. Et moi, je reste assis sur la plage et je fais « ts, ts, ts… ». Et qu’est-ce que je vois tout à coup, un requin, il n’y a que sa nageoire qui sort de l’eau. Puis, ça a fait un claquement sur l’eau et voilà un lézard de parti. J’en ai compté douze de ces requins qui nageaient vers Devil Bay au coucher du soleil. Monsieur Bondy, en un soir, ces monstres-là m’ont dévoré plus de vingt lézards, s’exclama le capitaine en se mouchant avec fureur. Ja, plus de vingt ! Ça tombe sous le sens, une espèce de lézard tout nu avec ses petites pattes, il ne peut pas se défendre. J’aurais pleuré de voir ça. Tu aurais dû les voir, mon gars.
Le capitaine resta un instant songeur :
— Parce que moi, j’aime beaucoup les bêtes, mon vieux, dit-il enfin en levant vers G. H. Bondy ses yeux couleur d’azur. Je ne sais pas ce que vous pensez de tout ça, Captain Bondy.,.
Monsieur Bondy hocha la tête en signe d’assentiment.
— Alors, c’est bien, ça, se réjouit le capitaine Van Toch. Ils sont très intelligents, ces tapa-boys. Quand on leur parle, ils écoutent, comme un chien qui écoute son maître. Et surtout, leurs menottes d’enfant… tu sais, mon gars, je suis un vieux garçon, je n’ai pas de famille… Ja, on est très seul quand on est vieux, grommela le capitaine en s’efforçant de maîtriser son émotion. Ils sont très gentils, ces lézards, faut dire ce qui est. Si seulement, ils ne se faisaient pas manger par les requins. Quand je leur ai lancé des pierres, aux requins, je veux dire, alors ils en ont jeté aussi, les tapa-boys.
1 comment