Et maintenant, attention, Monsieur Bondy : le trente juillet : c’est souligné ici… Sergeant a tué un petit requin avec le couteau. Poids : soixante-dix livres. Nous y voilà, Monsieur Bondy, déclara solennellement le capitaine Van Toch. C’est écrit ici, noir sur blanc. C’est là, ce grand jour, mon gars !
Le capitaine referma son calepin :
— Je vous le dis sans honte, Monsieur Bondy : je me suis mis à genoux sur la plage de Devil Bay et j’en ai pleuré de joie. Je savais maintenant que mes tapa-boys ne se laisseraient pas faire. Et le Sergeant a reçu un beau harpon tout neuf – un harpon, c’est ce qu’il y a de mieux, mon gars, si tu veux faire la pêche au requin – et moi je lui dis, be a man, Sergeant, et montre-leur, à ces tapa-boys, qu’ils peuvent se défendre. Mon vieux, cria le capitaine qui, dans son enthousiasme, sauta de sa chaise et frappa à grands coups sur la table, sais-tu que trois jours plus tard j’ai vu flotter un énorme requin crevé, full of gashes, comment tu dis ça ?
— Plein de blessures ?
— Ja, tout troué au harpon.
Le capitaine but si fort qu’il fit entendre un gargouillement :
— Oui, c’est bien ainsi, Monsieur Bondy. C’est seulement que j’ai fait… comme une espèce de contrat avec les tapa-boys. C’est-à-dire que je leur ai donné ma parole que s’ils apportent les coquillages à perles, moi je leur donne les harpoens et knives, les couteaux, je veux dire, pour qu’ils puissent se défendre, see ? C’est du business honnête, Monsieur. Faut dire ce qui est, faut être honnête même avec les bêtes. Et je leur ai aussi donné un peu de bois. Et deux wheelbarrows en fer.
— Des brouettes.
— Oui, des espèces de brouettes. Pour qu’ils puissent amener des pierres à leur jetée. Parce que les pauvres, ils devaient tout traîner dans leurs menottes, tu comprends ? Ben, je leur en ai donné, des choses. Je ne voulais pas les rouler, ça vraiment, non. Attends, mon gars, je m’en vais te montrer quelque chose.
D’une main, le capitaine Van Toch releva son ventre, de l’autre il tira de sa poche un petit sac de toile :
— Ben, c’est ça, dit-il en vidant son contenu sur la table.
Il y avait là un millier de perles de toutes les tailles : minuscules comme des grains de blé, puis des plus grosses, grosses comme des pois et certaines comme des cerises ; des perles parfaites en forme de goutte, des perles bosselées et baroques, des perles argentées, bleues, couleur de chair, jaunâtres, avec des teintes rouges et roses. G. H. Bondy était stupéfait. Il ne put s’empêcher de fouiller dans le tas, de rouler les perles entre les bouts de ses doigts, de les couvrir des deux mains.
— Magnifique, souffla-t-il, bouleversé. Capitaine, c’est un rêve.
— Ja, fit le capitaine, imperturbable. C’est pas mal. Et des requins, j’en ai tué une trentaine pendant l’année que je suis resté avec eux. C’est tout marqué ici, dit-il, en tapant sur sa poche intérieure. Mais aussi, tous les couteaux que je leur ai donnés et cinq de ces espèces de harpons. Moi, les couteaux me reviennent presque à deux dollars américains a piece, oui, c’est-à-dire la pièce. De très bons couteaux, mon gars, de cet espèce d’acier qui ne prend pas le rust.
— La rouille.
— Ja. Parce que c’est des couteaux pour aller dans l’eau, dans la mer, je veux dire. Et ces Bataks m’ont coûté un argent fou.
— Quels Bataks ?
— Ben, les indigènes, sur cette île. Ils ont une croyance comme quoi les tapa-boys sont des diables et ils en ont terriblement peur. Et quand ils m’ont vu que je parlais avec leurs diables, ils ont voulu me tuer raide. Toute la nuit, ils ont tapé sur des espèces de cloches pour chasser les diables de leur kampong. Ils faisaient un raffut terrible, Monsieur.
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