Elle était petite et maigre, les cheveux encore très noirs, le visage agréable, gâté par un grand nez d’ambitieuse. D’un bond, le chien lui avait posé les pattes sur les épaules, pour l’embrasser ; et elle se fâchait.
– Voyons, Mathieu, veux-tu me lâcher ?... Grosse bête ! as-tu fini ?
Lazare, derrière le chien, traversait la cour. Il cria, pour demander :
– Pas de malheur, maman ?
–Non, non, répondit madame Chanteau.
– Mon Dieu ! nous étions d’une inquiétude ! dit le père qui avait suivi son fils, malgré le vent. Qu’est-il donc arrivé ?
– Oh ! des ennuis tout le temps, expliqua-t-elle. D’abord, les chemins sont si mauvais, qu’il a fallu près de deux heures pour venir de Bayeux. Puis, à Arromanches, voilà qu’un cheval de Malivoire se casse une patte ; et il n’a pu nous en donner un autre, j’ai vu le moment qu’il nous faudrait coucher chez lui... Enfin, le docteur a eu l’obligeance de nous prêter son cabriolet. Ce brave Martin nous a conduites...
Le cocher, un vieil homme à jambe de bois, un ancien matelot opéré autrefois par le chirurgien de marine Cazenove, et resté plus tard à son service, était en train d’attacher le cheval. Madame Chanteau s’était interrompue, pour lui dire :
– Martin, aidez donc la petite à descendre.
Personne n’avait encore songé à l’enfant. Comme la capote du cabriolet tombait très bas, on ne voyait que sa jupe de deuil et ses petites mains gantées de noir. Du reste, elle n’attendit pas que le cocher l’aidât, elle sauta légèrement à son tour. Une bourrasque soufflait, ses vêtements claquèrent, des mèches de cheveux bruns s’envolèrent, sous le crêpe de son chapeau.
Et elle avait l’air très fort pour ses dix ans, les lèvres grosses, la figure pleine et blanche, de cette blancheur des fillettes élevées dans les arrière-boutiques de Paris. Tous la regardaient. Véronique, qui arrivait pour saluer sa maîtresse, s’était arrêtée à l’écart, la face glacée et jalouse. Mais Mathieu n’imitait pas cette réserve, il s’élança entre les bras de l’enfant, et lui débarbouilla le visage d’un coup de langue.
– N’aie pas peur ! cria madame Chanteau, il n’est pas méchant.
– Oh ! je n’ai pas peur, répondit doucement Pauline. J’aime bien les chiens.
En effet, elle était toute tranquille, au milieu des rudes accolades de Mathieu. Sa petite figure grave s’éclaira d’un sourire, dans son deuil ; puis, elle posa un gros baiser sur le museau du terre-neuve.
– Et les gens, tu ne les embrasses pas ? reprit madame Chanteau. Tiens ! voici ton oncle, puisque tu m’appelles ta tante... Et voici ton cousin alors, un grand galopin qui est moins sage que toi.
L’enfant n’éprouvait aucune gêne. Elle embrassa tout le monde, elle trouva un mot pour chacun, avec une grâce de petite Parisienne, déjà rompue aux politesses.
– Mon oncle, je vous remercie bien de me prendre chez vous... Vous verrez, mon cousin, nous ferons bon ménage...
– Mais elle est très gentille ! s’écria Chanteau ravi.
Lazare la regardait avec surprise, car il se l’était imaginée plus petite, d’une niaiserie effarouchée de gamine.
– Oui, oui, très gentille, répétait la vieille dame. Et brave, vous n’avez pas idée !... Le vent nous prenait de face, dans cette voiture, et nous aveuglait de poussière d’eau. Vingt fois j’ai cru que la capote, qui craquait comme une voile, allait se fendre. Eh bien ! elle s’amusait, elle trouvait ça drôle... Mais qu’est-ce que nous faisons là ? Il est inutile de nous mouiller davantage, voici la pluie qui recommence.
Elle se tournait, cherchant Véronique. Lorsqu’elle l’aperçut à l’écart, la mine revêche, elle lui dit ironiquement :
– Bonjour, ma fille, comment te portes-tu ?... En attendant que tu me demandes de mes nouvelles, tu vas monter une bouteille pour Martin, n’est-ce pas ?... Nous n’avons pu prendre nos malles, Malivoire les apportera demain de bonne heure...
Elle s’interrompit, elle retourna vers la voiture, bouleversée.
– Et mon sac !...
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