La ligue des rouquins / Les aventures de Sherlock Holmes
La ligue des rouquins / Les aventures de Sherlock Holmes
Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits »
Arthur Conan Doyle
1859-1930
LA LIGUE DES ROUQUINS
Les aventures de Sherlock Holmes
(août 1891)
Table des matières
La Ligue des Rouquins.......................................................... 3
Toutes les aventures de Sherlock Holmes.......................... 43
À propos de cette édition électronique............................... 46
La Ligue des Rouquins
Un jour de l’automne dernier, je m’étais rendu chez mon ami
Sherlock Holmes. Je l’avais trouvé en conversation sérieuse avec
un gentleman d’un certain âge, de forte corpulence, rubicond, et
pourvu d’une chevelure d’un rouge flamboyant. Je m’excusai de
mon intrusion et j’allais me retirer, lorsque Holmes me tira avec
vivacité dans la pièce et referma la porte derrière moi.
« Vous ne pouviez pas choisir un moment plus propice pour
venir me voir, mon cher Watson ! dit-il avec une grande
cordialité.
– Je craignais de vous déranger en affaires.
– Je suis en affaires. Très en affaires.
– Alors je vous attendrai à côté…
– Pas du tout… Ce gentleman, monsieur Wilson, a été mon
associé et il m’a aidé à résoudre beaucoup de problèmes. Sans
aucun doute il me sera d’une incontestable utilité pour celui que
vous me soumettez. »
Le gentleman corpulent se souleva de son fauteuil et me
gratifia d’un bref salut ; une interrogation rapide brilla dans ses
petits yeux cernés de graisse.
« Essayez mon canapé, fit Holmes en se laissant retomber
dans son fauteuil. (Il rassembla les extrémités de ses dix doigts
comme il le faisait fréquemment lorsqu’il avait l’humeur
enquêteuse.) Je sais, mon cher Watson, que vous partagez la
passion que je porte à ce qui est bizarre et nous entraîne au-delà
des conventions ou de la routine quotidienne. Je n’en veux pour
preuve que votre enthousiasme à tenir la chronique de mes
petites aventures… en les embellissant parfois, ne vous en
déplaise !
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– Les affaires où vous avez été mêlé m’ont beaucoup
intéressé, c’est vrai !
– Vous rappelez-vous ce que je remarquais l’autre jour ?
C’était juste avant de nous plonger dans le très simple problème
de Mlle Mary Sutherland… Je disais que la vie elle-même, bien
plus audacieuse que n’importe quelle imagination, nous pourvoit
de combinaisons extraordinaires et de faits très étranges. Il faut
toujours revenir à la vie !
– Proposition, que je me suis permis de contester…
– Vous l’avez discutée, docteur ; mais vous devrez néanmoins
vous ranger à mon point de vue ! Sinon j’entasserai les preuves
sous votre nez jusqu’à ce que votre raison vacille et que vous vous
rendiez à mes arguments… Cela dit, M. Jabez Wilson ici présent a
été assez bon pour passer chez moi : il a commencé un récit qui
promet d’être l’un des plus sensationnels que j’aie entendus ces
derniers temps. Ne m’avez-vous pas entendu dire que les choses
les plus étranges et pour ainsi dire uniques étaient très souvent
mêlées non à de grands crimes, mais à de petits crimes ? Et,
quelquefois, là où le doute était possible si aucun crime n’avait été
positivement commis ? Jusqu’ici je suis incapable de préciser si
l’affaire en question annonce, ou non, un crime ; pourtant les
circonstances sont certainement exceptionnelles. Peut-être
M. Wilson aura-t-il la grande obligeance de recommencer son
récit ?… Je ne vous le demande pas uniquement parce que mon
ami le docteur Watson n’a pas entendu le début : mais la nature
particulière de cette histoire me fait désirer avoir de votre bouche
un maximum de détails. En règle générale, lorsque m’est donnée
une légère indication sur le cours des événements, je puis me
guider ensuite par moi-même : des milliers de cas semblables me
reviennent en mémoire. Mais je suis forcé de convenir en toute
franchise qu’aujourd’hui je me trouve devant un cas très à part. »
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Le client corpulent bomba le torse avec une fierté visible,
avant de tirer de la poche intérieure de son pardessus un journal
sale et chiffonné. Tandis qu’il cherchait au bas de la colonne des
petites annonces, sa tête s’était inclinée en avant, et je pus le
regarder attentivement : tentant d’opérer selon la manière de
mon compagnon, je m’efforçai de réunir quelques remarques sur
le personnage d’après sa mise et son allure.
Mon inspection ne me procura pas beaucoup de
renseignements. Notre visiteur présentait tous les signes
extérieurs d’un commerçant britannique moyen : il était obèse, il
pontifiait, il avait l’esprit lent. Il portait un pantalon à carreaux
qui aurait fait les délices d’un berger (gris et terriblement ample),
une redingote noire pas trop propre et déboutonnée sur le devant,
un gilet d’un brun douteux traversé d’une lourde chaîne cuivrée,
et un carré de métal troué qui trimballait comme un pendentif.
De plus, un haut-de-forme effiloché et un manteau jadis marron
présentement pourvu d’un col de velours gisaient sur une chaise.
En résumé, à le regarder comme je le fis, cet homme n’avait rien
de remarquable, si ce n’étaient sa chevelure extra rouge et
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l’expression de chagrin et de mécontentement qui se lisait sur ses
traits.
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