La mort de Lucrèce
Project BookishMall.com's La mort de Lucrèce, by William Shakespeare, 1564-1616
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Title: La mort de Lucrèce
Author: William Shakespeare, 1564-1616
Translator: François Pierre Guillaume Guizot, 1787-1874
Release Date: October 3, 2008 [EBook #26757]
Language: French
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Note du transcripteur.
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Ce document est tiré de:
OEUVRES COMPLÈTES DE
SHAKSPEARE
TRADUCTION DE
M. GUIZOT
NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE
AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE
DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES.
Volume 8
La vie et la mort du roi Richard III
Le roi Henri VIII.--Titus Andronicus
POEMES ET SONNETS:
Vénus et Adonis.--La mort de Lucrèce
La plainte d'une amante
Le Pèlerin amoureux.--Sonnets.
PARIS
A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
35, QUAI DES AUGUSTINS
1863
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LA MORT DE LUCRÈCE 1
POËME.
Note 1:(retour) The Rape of Lucrece, le Viol de Lucrèce.
AU TRÈS-HONORABLE HENRY WRIOTHESLY,
COMTE DE SOUTHAMPTON ET BARON DE TICHFIELD.
Très-honorable seigneur,
L'affection que je voue à Votre Seigneurie est sans fin. Cet écrit, sans commencement, n'en est qu'une partie superflue: La confiance. que j'ai en votre honorable caractère, et non le mérite de mes vers imparfaits, me fait espérer qu'ils seront agréés. Ce que j'ai fait vous appartient, ce que je ferai vous appartient encore, comme partie du tout que je vous ai consacré. Si mon mérite était plus grand, mon zèle se montrerait davantage: en attendant, tel qu'il est, il est dû à Votre Seigneurie, à qui je souhaite de longs jours, embellis par toutes sortes de félicités.
De Votre Seigneurie le dévoué serviteur,
W. SHAKSPEARE.
ARGUMENT
Lucius Tarquinius (surnommé le Superbe, à cause de son orgueil excessif), après avoir été cause du meurtre cruel de son beau-père Servius Tullius, et s'être emparé du trône, contre les lois et les coutumes de Rome, sans demander ni attendre les suffrages du peuple, alla mettre le siége devant Ardéa, accompagné de ses fils et des nobles romains.
Pendant le siége, les principaux officiers de l'armée, réunis un soir dans la tente de Sextus Tarquinius, le fils du roi, et s'entretenant après le souper, se mirent à vanter la vertu de leurs femmes; entre autres, Collatin vanta l'incomparable chasteté de son épouse Lucrèce. Dans cette joyeuse humeur, ils partirent tous pour Rome avec l'intention, par une arrivée soudaine et imprévue, de vérifier ce que chacun avait avancé; le seul Collatin trouva sa femme (quoique ce fût tard dans la nuit) occupée à filer parmi ses suivantes, tandis que les autres dames étaient à danser ou livrées à d'autres distractions. Là-dessus, les seigneurs cédèrent la victoire à Collatin, et la gloire à sa femme.
Sextus Tarquin devint épris de la beauté de Lucrèce; mais, étouffant sa passion pour le moment, il retourna au camp avec les autres. Bientôt après il repart secrètement, et, à cause de son rang, il est reçu et logé royalement par Lucrèce, à Collatium. Dès la première nuit, il se glisse traîtreusement dans sa chambre, lui fait violence, et s'enfuit de bon matin. Lucrèce, dans cette lamentable situation, dépêche deux messagers, l'un à Rome, à son père, l'autre au camp, à Collatin. Ils arrivent tous deux, accompagnés, l'un de Junius Brutus, l'autre de Publius Valérius, et trouvant Lucrèce en habits de deuil, ils lui demandent la cause de sa douleur. Elle leur fait d'abord prononcer le serment de la venger, révèle le coupable, les détails de son attentat, puis se poignarde du consentement de tous et avec d'unanimes acclamations.
D'une voix unanime, les témoins de cet acte de désespoir jurent de détruire toute l'odieuse famille des Tarquins. Ils portent le cadavre à Rome, Brutus raconte au peuple le forfait et le nom du criminel, et termine par d'amères invectives contre la tyrannie du roi. Le peuple est tellement irrité que l'exil des Tarquins est proclamé et la monarchie convertie en république.
LA MORT DE LUCRÈCE
POËME.
I.--S'éloignant avec rapidité de l'armée romaine, campée sous les remparts d'Ardéa qu'elle assiége, l'impudique Tarquin, sur les ailes perfides d'un désir coupable, porte à Collatium le feu obscur qui, caché sous de pâles cendres, se prépare à s'élever et à entourer de flammes ardentes les formes de la belle épouse de Collatin, Lucrèce la chaste.
II.--C'est sous ce titre malheureux de «chaste» qui a aiguisé ses désirs voluptueux, lorsque Collatin vanta imprudemment l'incomparable incarnat et la blancheur qui brillaient dans ce ciel de sa félicité, où des astres mortels, aussi beaux que les astres des cieux; réservaient à lui seul le pur éclat de leurs rayons.
III.--C'était lui-même qui, la nuit précédente, dans la tente de Tarquin, avait révélé le trésor de son heureux hymen; faisant connaître quelle richesse inestimable les dieux lui avaient accordée dans la possession de sa belle compagne, et estimant sa fortune si haut, que les rois pouvaient bien avoir en partage plus de gloire, mais que ni roi ni seigneur n'avait une dame aussi incomparable.
IV.--O bonheur, que si peu de mortels connaissent, et qui, lorsqu'on te possède, t'évanouis aussi vite que la rosée argentée du matin devant les rayons d'or du soleil! Date effacée avant même d'être commencée! L'honneur et la beauté, entre les bras de celui qui en jouit, sont bien mal fortifiés contre un monde rempli de dangers.
IV.--La beauté persuade elle-même les yeux des hommes sans avoir besoin d'un orateur; quel besoin donc de faire le panégyrique d'un objet si remarquable, ou pourquoi Collatin est-il le premier à publier ce riche bijou, qu'il devrait garder bien loin de l'oreille des ravisseurs, puisqu'il est tout à lui?
VI.--Peut-être cet éloge de la supériorité de Lucrèce fut-il ce qui tenta ce fils orgueilleux d'un roi; car c'est souvent par nos oreilles que nos coeurs sont séduits. Peut-être un si riche trésor, au-dessus de toute comparaison, excita-t-il la superbe jalousie de Tarquin, indigné qu'un inférieur se vantât de posséder ce riche trésor dont ses supérieurs étaient privés.
VII.--Mais quelque coupable pensée excita sa passion impatiente: il négligea son honneur, ses affaires, ses amis, le soin de son rang, et partit au plus vite pour éteindre le feu qui brûle dans son coeur. O ardeur trompeuse et téméraire qu'attend le froid repentir, ton printemps hâtif se flétrit toujours et jamais ne vieillit!
VIII.--Arrivé à Collatium, ce perfide prince fut bien accueilli par la dame romaine, sur le visage de laquelle la vertu et la beauté se disputent à qui des deux soutiendra le mieux sa gloire: quand la vertu faisait la fière, la beauté rougissait de honte; quand la beauté se vantait de sa pudique rougeur, la vertu dépitée la couvrait d'une pâleur argentée.
IX.--Mais la beauté, à qui cette blanche couleur fut aussi donnée par les colombes de Vénus, accepte le défi: alors la vertu réclame de la beauté ce vermillon qu'elle lui a donné au temps de l'âge d'or pour en parer ses joues argentées, et qu'elle appelait alors son bouclier, lui apprenant à s'en servir dans le combat, afin que, lorsque la honte attaquerait, le rouge défendit le blanc.
X.--Ce blason se voyait sur les joues de Lucrèce, discuté par le rouge de la beauté et le blanc de la vertu: chacune était la reine de sa couleur; depuis la minorité du monde leurs droits étaient prouvés; cependant leur ambition leur fait encore engager le combat, leur souveraineté réciproque étant si grande, que souvent elles changent de trône entre elles.
XI.--Le traître regard de Tarquin embrasse dans leurs chastes rangs cette guerre silencieuse des lis et des roses qu'il contemple sur le champ de bataille de ce beau visage; et là de peur d'y être tué, le lâche vaincu et captif se rend aux deux armées, qui aimeraient mieux le laisser aller que de triompher d'un ennemi si perfide.
XII.--Il trouve que son époux, cet avare prodigue qui l'a tant louée, a dans une tâche si difficile fait tort à sa beauté, dont l'éclat surpasse de beaucoup ses stériles louanges. C'est pourquoi Tarquin, dans son imagination, supplée à ce qui manquait au panégyrique de Collatin, dans la muette extase de ses yeux ravis.
XIII.--Cette sainte terrestre, adorée par ce démon, est loin de soupçonner le perfide adorateur; car de chastes pensées ne rêvent guère au mal. Les oiseaux qui n'ont jamais été pris à la glu ne craignent aucune embûche dans les buissons. C'est ainsi que Lucrèce, dans son innocence, fait un accueil respectueux à son hôte royal, dont le vice caché n'exprime aucune mauvaise intention au dehors.
XIV.--Il masquait adroitement son vil dessein sous la dignité de son rang, et l'enveloppait de sa majesté; tout en lui paraissait réglé, excepté parfois un excès d'admiration dans ses regards; car en embrassant tout ils ne pouvaient se satisfaire: mais le riche manque de tant de choses, que malgré son abondance il désire encore davantage.
XV.--Lucrèce, qui ne répondit jamais aux yeux d'un étranger, ne pouvait deviner le sens de leurs éloquents regards, ni lire les secrets subtils gravés sur les marges de cristal de semblables livres. Elle ne touchait point d'appâts inconnus et ne craignait pas d'hameçon; elle ne pouvait interpréter ses regards voluptueux; elle voyait seulement que ses yeux étaient ouverts à la lumière.
XVI.--Tarquin lui raconte la gloire acquise par son époux dans les plaines de la fertile Italie; il vante le nom de Collatin, rendu glorieux par ses mâles exploits, ses armes brisées et ses lauriers victorieux. Elle exprime sa joie en levant les mains au ciel, et le remercie silencieusement de ces heureux succès.
XVII.--Sans révéler le projet qui l'amène, il demande excuse de se trouver à Collatium. Aucun indice d'orage ne se montre dans son beau ciel, jusqu'à ce que la sombre nuit, mère de la terreur et de la crainte, déploie ses ténèbres sur le monde, et enferme le jour dans sa prison souterraine.
XVIII.--Enfin Tarquin se fait conduire à son lit, affectant la fatigue et le besoin du sommeil; car après le souper il avait passé une partie de la soirée à causer avec la modeste Lucrèce. Maintenant le sommeil de plomb lutte avec les forces de la vie; chacun va s'endormir, excepté les voleurs, les soucis et les esprits troublés qui veillent.
XIX.--Dans ce nombre, Tarquin repasse en lui-même tous les périls qu'il court pour satisfaire ses désirs; cependant il reste résolu de les satisfaire, quoique ses faibles espérances lui conseillent d'y renoncer. Le désespoir est souvent invoqué pour réussir: et quand un grand trésor est le prix qu'on attend, en vain il y va de la mort, on ne suppose pas que la mort existe.
XX.--Ceux qui désirent beaucoup sont si avides d'obtenir, qu'ils laissent échapper ce qu'ils n'ont pas et ce qu'ils ont; et ainsi plus ils espèrent, moins ils ont; ou s'ils gagnent, le résultat de l'excès n'est que de rassasier et d'amener de tels chagrins, qu'ils font encore banqueroute dans leurs pauvres profits.
XXI.--Le but de tous est de couler une vie pleine d'honneur, de richesse et de bonheur; et dans ce but nous rencontrons tant de difficultés, que nous jouons un contre tout, ou bien tout contre un. Les uns jouent la vie contre l'honneur, les autres l'honneur contre la richesse, et souvent la richesse cause la mort et la perte de tout.
XXII.--De sorte qu'en risquant tout, nous abandonnons ce que nous sommes pour être ce que nous espérons; et cette faiblesse ambitieuse de tout posséder nous tourmente de l'imperfection de ce que nous avons, et nous le fait négliger pour réduire dans notre folie quelque chose à rien en voulant l'augmenter.
XXIII.--Tel est le hasard que l'insensé Tarquin va courir, en sacrifiant son honneur pour satisfaire son incontinence; c'est pour lui-même qu'il va se perdre. A qui donc pourra-t-on se fier, si l'on ne peut plus se fier à soi-même? où trouvera-t-il un étranger juste, celui qui se trahit lui-même et se condamne aux paroles calomnieuses et aux jours misérables?
XXIV.--Le temps amène enfin cette heure obscure de la nuit, où un profond sommeil ferme les yeux des mortels; aucune étoile secourable ne prêtait sa lumière; point d'autre bruit que les cris des hibous et des loups qui présagent la mort. Voilà l'heure où ils peuvent surprendre les pauvres brebis; les pensées innocentes dorment en paix, tandis que la débauche et le meurtre veillent pour souiller et pour faire périr.
XXV.--C'est maintenant que ce prince débauché s'élance de son lit, et jette brusquement son manteau sur son bras, follement agité par le désir et la crainte.
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