« C’est moi », souffla-t-elle.

Comme pris d’une frayeur, il ouvrit alors la porte.

« C’est toi… c’est vous… chère Madame », balbutia-t-il, l’air gêné. « Je… ne… pardonnez-moi… je ne… m’attendais pas… à votre visite… excusez ma tenue. » Il désigna ses manches ; sa chemise était à moitié déboutonnée, et il ne portait pas de col.

« Je dois vous parler d’urgence… Il faut que vous m’aidiez », fit-elle, agacée qu’il la laissât debout dans le couloir comme une mendiante. « N’allez-vous pas me laisser entrer et m’écouter une minute ? » ajoutât-elle d’un ton irrité.

« Volontiers », murmura-t-il embarrassé, en jetant un coup d’œil de côté, « mais en ce moment… je ne puis…

– Il faut que vous m’écoutiez. C’est de votre faute, après tout. Vous avez le devoir de m’aider… Il faut que vous me procuriez cette bague, il faut… Ou alors donnez-moi l’adresse, au moins… Elle ne cesse de me poursuivre, et maintenant elle a disparu… Il le faut, vous m’entendez, il le faut. »

Il la regardait, ahuri. Alors seulement elle se rendit compte qu’elle prononçait des paroles entrecoupées, complètement incohérentes.

« Ah ! c’est vrai… vous ne savez pas… eh bien ! votre maîtresse, l’ancienne, cette bonne femme m’a vue sortir de chez vous l’autre fois, et depuis elle me poursuit, elle m’extorque de l’argent… elle me pressure à mort… Maintenant elle m’a pris ma bague, et il me la faut absolument. D’ici ce soir, il faut que je l’aie, je l’ai dit, d’ici ce soir… Alors est-ce que vous voulez m’aider ?

– Mais… mais je…

– Vous voulez, oui ou non ?

– Mais je ne connais pas de bonne femme. Je ne sais pas de qui vous parlez. Je n’ai jamais eu de liaison avec des extorqueuses. » Il était presque grossier.

« Ah bon… Vous ne la connaissez pas. Elle a donc inventé tout ça ! Pourtant elle connaît votre nom et mon adresse. Et ce n’est pas vrai peut-être qu’elle fait du chantage ! C’est seulement que je rêve, peut-être ! »

Elle eut un rire strident. Cela le mit mal à l’aise. L’idée lui traversa l’esprit, une seconde, qu’elle pouvait être folle, tant ses yeux brillaient. Son comportement était bizarre, ses paroles absurdes. Apeuré, il regarda autour de lui.

« Allons, je vous en prie, chère Madame… calmez-vous… je vous assure que vous faites erreur. C’est tout à fait impossible, ça doit… non, je n’y comprends rien, moi ! Je ne connais pas de femme de cette espèce. Je suis ici depuis peu de temps, vous le savez bien, et les deux liaisons que j’ai eues ne sont pas aussi… je ne veux pas donner de nom, mais… mais c’est vraiment ridicule… je vous assure que cela doit être une erreur…

– Vous ne voulez donc pas m’aider ?

– Mais certainement… si je le puis.

– Alors… venez ! Allons ensemble chez elle…

– Chez qui donc… chez qui ? » Quand elle le prit par le bras, il eut de nouveau horriblement peur qu’elle ne fût folle.

« Chez elle… Vous voulez, ou vous ne voulez pas ?

– Mais certainement… certainement » – l’insistance avec laquelle elle le harcelait ne faisait que renforcer ses soupçons – « certainement… certainement…

– Alors venez… pour moi, c’est une question de vie ou de mort ! »

Il se retint pour ne pas sourire. Puis tout à coup, il devint froid.

« Excusez-moi, chère Madame… mais ce n’est pas possible pour le moment… j’ai une leçon de piano… je ne puis interrompre…

– Ah… c’est comme ça… » – elle lui éclata de rire au nez – « c’est comme ça que vous donnez des leçons de piano… en bras de chemise… Espèce de menteur ! » Et brusquement, sous l’impulsion d’une idée, elle se rua dans l’appartement. Il essaya de la retenir. « Elle est donc ici, chez vous, cette extorqueuse ! En fin de compte, vous avez partie liée. Et peut-être vous partagez-vous ce que vous m’avez extorqué. Mais je l’aurai ! Je n’ai plus peur de rien, maintenant ! » Elle hurlait. Il la retint, mais elle se débattit, se dégagea et se précipita vers la porte de la chambre à coucher.

Une silhouette, quelqu’un qui de toute évidence avait écouté à la porte, recula vivement : Irène, hébétée, contempla une dame inconnue, la toilette un peu en désordre, qui détourna aussitôt le visage. Son amant s’était élancé derrière Irène pour la retenir, la croyant folle, et pour éviter un malheur ; mais déjà elle ressortait de la chambre. « Excusez-moi », murmura-t-elle. Elle était complètement désorientée. Elle ne comprenait plus rien, elle n’éprouvait que du dégoût, un dégoût infini, et de la fatigue.

« Excusez-moi », répéta-t-elle en voyant comme il la suivait des yeux, l’air inquiet. « Demain… demain vous comprendrez tout… vous savez, je… je n’y comprends plus rien moi-même. » Elle lui parlait comme à un étranger. Rien ne lui rappelait qu’elle avait appartenu un jour à cet homme, et c’est à peine si elle sentait son propre corps. Tout était maintenant encore beaucoup plus confus qu’avant ; la seule chose qu’elle savait, c’était que quelqu’un mentait.