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Peu de temps après cette dernière lettre, et dès mon retour d’Italie, je fus pris par le service militaire et envoyé à Nancy. Je n’y connaissais âme qui vive, mais je me réjouissais d’être seul, car il apparaissait ainsi plus clairement à mon orgueil d’amant et à Alissa que ses lettres étaient mon seul refuge, et son souvenir, comme eût dit Ronsard, « ma seule entéléchie ».

À vrai dire, je supportai fort allègrement la discipline assez dure à laquelle on nous soumettait. Je me raidissais contre tout et, dans les lettres que j’écrivais à Alissa, ne me plaignais que de l’absence. Et même nous trouvions dans la longueur de cette séparation une épreuve digne de notre vaillance. – « Toi qui ne te plains jamais, m’écrivais Alissa ; toi que je ne peux imaginer défaillant… » Que n’eussé-je enduré en témoignage à ses paroles ?

Un an s’était presque écoulé depuis notre dernier revoir. Elle semblait ne pas y songer, mais faire commencer d’à présent seulement son attente. Je le lui reprochai.

 

N’étais-je pas avec toi en Italie ? répondit-elle. Ingrat ! Je ne te quittai pas un seul jour. Comprends donc qu’à présent, pour un temps, je ne peux plus te suivre, et c’est cela, cela seulement que j’appelle séparation. J’essaie bien, il est vrai, de t’imaginer en militaire… Je n’y parviens pas. Tout au plus te retrouvé-je, le soir, dans la petite chambre de la rue Gambetta, écrivant ou lisant… et même, non ? en vérité, je ne te retrouve qu’à Fongueusemare ou au Havre dans un an.

Un an ! Je ne compte pas les jours déjà passés ; mon espoir fixe ce point à venir qui se rapproche lentement, lentement. Tu te rappelles, tout au fond du jardin, le mur bas au pied duquel on abritait les chrysanthèmes et sur lequel nous nous risquions ; Juliette et toi vous marchiez là-dessus hardiment comme des musulmans qui vont tout droit au paradis ; – pour moi, le vertige me prenait aux premiers pas et tu me criais d’en bas : « Ne regarde donc pas à tes pieds !… Devant toi ! avance toujours ! fixe le but ! » Puis enfin – et cela valait mieux que tes paroles – tu grimpais à l’extrémité du mur et m’attendais. Alors je ne tremblais plus. Je ne sentais plus le vertige : je ne regardais plus que toi ; je courais jusque dans tes bras ouverts…

Sans confiance en toi, Jérôme, que deviendrai-je ? J’ai besoin de te sentir fort ; besoin de m’appuyer sur toi. Ne faiblis pas.

 

Par une sorte de défi, prolongeant comme à plaisir notre attente – par crainte aussi d’un imparfait revoir, nous convînmes que je passerais à Paris, près de Miss Ashburton, mes quelques jours de permission aux approches du nouvel an…

Je vous l’ai dit : je ne transcris point toutes ces lettres.