Il entra dans l’eau, fit quelques pas, mais le courage lui manqua et il revint dans sa chambre ; il y resta jusqu’au petit jour. C’est alors qu’il se rendit chez ses parents où on l’arrêta.
« La tentative de suicide paraît plausible ; elle est en harmonie avec les remords éprouvés par l’inculpé ; elle semble établie par ce fait qu’on a trouvé dans sa chambre un pantalon mouillé. Pour tout dire, sa version nous paraît sincère ; tout s’y tient d’une façon logique et il ne cherche pas à atténuer sa culpabilité.
« Elle nous paraît, en outre, établir nettement qu’il a eu pleine conscience des faits accomplis et de sa responsabilité. S’il a éprouvé des remords, c’est qu’il sait discerner le bien du mal, et il le sait d’autant mieux qu’il est d’une intelligence non seulement normale pour son âge, mais même, d’après l’instituteur qui l’a élevé, au-dessus de la moyenne. Il ne peut donc y avoir doute sur la question de discernement au sens légal du mot.
« L’exposé qui précède démontre que Redureau ne présente aucun trouble mental actuel. Il tend aussi à établir qu’au moment où il a commis les meurtres qui lui sont reprochés il n’était pas sous l’influence d’un état mental pathologique. Toutefois, ce point demande à être examiné de plus près.
« Le nombre des victimes, la manière dont le meurtrier s’est acharné sur elles, la fureur qui a guidé son bras, évoquent a priori l’idée de quelque délire transitoire subit comme on en observe quelquefois dans les états épileptiques larvés et exceptionnellement dans certains états d’intoxication. Mais c’est une hypothèse à laquelle nous ne pouvons nous arrêter pour les raisons suivantes : Redureau n’a jamais manifesté le moindre symptôme pouvant se rattacher à l’épilepsie. Il n’était sous l’influence d’aucune intoxication, d’aucun trouble délirant, « jouissait de toute son intelligence et a conservé la pleine conscience de tous ses actes pendant la fatale soirée. Or, l’amnésie est le symptôme pathognomonique de ces délires transitoires et un individu ayant agi dans un état de trouble mental épileptique ou épileptoïde n’eût pas gardé le souvenir des faits accomplis ou n’en eût gardé tout au plus que quelques vagues et confuses parties.
« La déposition du témoin Ch…, d’après laquelle l’inculpé aurait, deux mois et demi avant le crime, exprimé l’idée que “ses patrons étaient bons à tuer”, soulève, au point de vue psychiatrique, une nouvelle hypothèse : Redureau n’était-il pas hanté depuis longtemps par l’idée obsédante de tuer son patron ? N’aurait-il pas succombé à une impulsion irrésistible au meurtre comme il en existe quelques cas dans la science ?
« Mais, d’une part, Redureau nie le propos. D’autre part, nous avons vu qu’il n’avait jamais été hanté par une idée fixe de nature quelconque, et, qu’elles qu’aient été nos investigations sur ce point, ses réponses ont toujours été négatives. D’ailleurs, dans la bouche d’un obsédé, le propos attribué à Redureau serait invraisemblable. L’individu que tourmente l’impulsion au meurtre souffre moralement de cette obsession : s’il récrimine, ce n’est pas contre sa future victime, mais contre lui-même : il s’accuse, il ne condamne pas. Redureau n’a donc pas succombé à une idée fixe, ni obéi à une impulsion consciente irrésistible.
« Nous avons recherché dans quelles conditions physiques se trouvait l’inculpé au moment du crime. N’était-il pas surmené, fatigué, en état de moindre résistance organique et nerveuse ? Le travail des vendanges est assez rude et nous savons, par une enquête faite sur notre demande, qu’il commençait chez Mabit à cinq heures du matin, pour ne finir qu’à dix heures du soir sans autre repos que les moments consacrés aux repas. Mais il résulte aussi de cette enquête que les vendanges ont été faites en plusieurs périodes séparées par des intervalles de repos. Elles ont eu lieu aux dates suivantes : 17,18,19 septembre ; interrompues les 20,21 et 22 pour être reprises du 23 au 27. Le dimanche 28, il y eut repos. Le 29, elles n’ont duré qu’une partie de la journée, et le 30, jour du crime, toute la journée. Il en résulte que ce travail, bien que pénible pour un adolescent de quinze ans, a été interrompu à plusieurs reprises et ne s’est pas poursuivi dans les conditions qui eussent pu produire du surmenage physique et un véritable épuisement nerveux (20) .
« Au cours de notre expertise, M. le Juge d’instruction a reçu et nous a communiqué une lettre anonyme appelant son attention sur l’action troublante qu’exerce “la vapeur du vin dans les pressoirs où on le fait et où on le cuve” sur le cerveau des hommes occupés à ce travail. Bien que nous n’ayons, médicalement, aucune raison de penser que cette cause ait pu intervenir dans le crime de Redureau, nous avons procédé à une enquête auprès des personnalités médicales compétentes, mais nous n’avons reçu que des réponses négatives. Aucun des médecins consultés n’a observé d’excitation cérébrale pouvant être attribuée au dégagement des vapeurs du vin. Cela s’explique si l’on remarque que ce sont beaucoup plus des gaz stupéfiants que des vapeurs excitantes que dégage le moût en fermentation. Les gaz carboniques y prédominent et leurs propriétés sont de déterminer l’asphyxie, non l’ivresse furieuse.
« D’ailleurs, en ce qui concerne Redureau, il est établi que, depuis le commencement des vendanges, il passait la plus grande partie des journées au grand air, dans les vignes ; que le travail du pressoir ne l’occupait que quelques heures par jour et que, le soir du crime, il n’avait pas séjourné plus d’une heure et demie dans le cellier. Il est lui-même très affirmatif sur ce point qu’il n’était ni troublé, ni excité, ni ivre quand il a frappé son patron.
« En définitive, ce n’est pas dans la psychopathologie, mais bien dans la psychologie normale de l’adolescent qu’il faut chercher le véritable déterminisme des actes commis par l’inculpé. C’est une notion classique que l’époque du développement de la puberté se signale par de profondes modifications, non seulement des fonctions organiques, mais encore des fonctions psychiques : sensibilité, intelligence et activité volontaire. En même temps que la résistance physique diminue, et que le corps présente moins d’immunité contre les influences morbifiques, il se produit une sorte de rupture momentanée de l’équilibre mental avec développement excessif du sentiment de la personnalité, susceptibilité exagérée, hyperesthésie psychique. On voit se manifester une véritable tendance à la combativité et une exagération remarquable de l’impulsivité et des tendances à la violence. L’adolescent est très sensible aux louanges, et, par contre, ressent beaucoup plus vivement les blessures d’amour-propre ; les impressions qui arrivent à son cerveau se transforment plus irrésistiblement en incitations motrices, c’est-à-dire en actes impulsifs. Les spécialistes qui se sont occupés de la psychologie de la puberté ne manquent pas de remarquer que c’est vers la quinzième année que, dans les établissements d’éducation, on rencontre le plus grand nombre de sujets passibles de punitions pour mauvaise conduite, altercations et voies de fait, parce que chez les jeunes gens arrivés à cet âge, les premiers mouvements ne trouvent que peu de frein, et que l’irréflexion est la principale caractéristique de leur état mental.
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