Non, ne protestez pas. Souvenez-vous des paroles du Christ : « Si vous étiez aveugle, vous n’auriez point de péché. » Mais à présent, j’y vois… Relevez-vous, pasteur. Asseyez-vous là, près de moi. Écoutez-moi sans m’interrompre. Dans le temps que j’ai passé à la clinique, j’ai lu, ou plutôt, me suis fait lire, des passages de la Bible que je ne connaissais pas encore, que vous ne m’aviez jamais lus. Je me souviens d’un verset de saint Paul, que je me suis répété tout un jour : « Pour moi, étant autrefois sans loi, je vivais ; mais quand le commandement vint, le péché reprit vie, et moi je mourus. »
Elle parlait dans un état d’exaltation extrême, à voix très haute et cria presque ces derniers mots, de sorte que je fus gêné à l’idée qu’on la pourrait entendre du dehors ; puis elle referma les yeux et répéta, comme pour elle-même, ces derniers mots dans un murmure :
– « Le péché reprit vie – et moi je mourus. »
Je frissonnai, le cœur glacé d’une sorte de terreur. Je voulus détourner sa pensée.
– Qui t’a lu ces versets ? demandai-je.
– C’est Jacques, dit-elle en rouvrant les yeux et en me regardant fixement. Vous saviez qu’il s’est converti ?
C’en était trop ; j’allais la supplier de se taire, mais elle continuait déjà :
– Mon ami, je vais vous faire beaucoup de peine ; mais il ne faut pas qu’il reste aucun mensonge entre nous. Quand j’ai vu Jacques, j’ai compris soudain que ce n’était pas vous que j’aimais ; c’était lui. Il avait exactement votre visage ; je veux dire celui que j’imaginais que vous aviez… Ah ! pourquoi m’avez-vous fait le repousser ? J’aurais pu l’épouser…
– Mais, Gertrude, tu le peux encore, m’écriai-je avec désespoir.
– Il entre dans les ordres, dit-elle impétueusement. Puis des sanglots la secouèrent : Ah ! je voudrais me confesser à lui…, gémissait-elle dans une sorte d’extase… Vous voyez bien qu’il ne me reste qu’à mourir. J’ai soif. Appelez quelqu’un, je vous en prie. J’étouffe. Laissez-moi seule. Ah ! de vous parler ainsi, j’espérais être plus soulagée. Quittez-moi. Quittons-nous. Je ne supporte plus de vous voir.
Je la laissai. J’appelai Mlle de La M… pour me remplacer auprès d’elle ; son extrême agitation me faisait tout craindre mais il me fallait bien me convaincre que ma présence aggravait son état. Je priai qu’on vint m’avertir s’il empirait.
30 mai.
Hélas ! Je ne devais plus la revoir qu’endormie. C’est ce matin, au lever du jour, qu’elle est morte, après une nuit de délire et d’accablement. Jacques, que, sur la demande dernière de Gertrude, Mlle de La M… avait prévenu par dépêche, est arrivé quelques heures après la fin. Il m’a cruellement reproché de n’avoir pas fait appeler un prêtre tandis qu’il était temps encore. Mais comment l’eussé-je fait, ignorant encore que, pendant son séjour à Lausanne, pressée par lui évidemment, Gertrude avait abjuré. Il m’annonça du même coup sa propre conversion et celle de Gertrude. Ainsi me quittaient à la fois ces deux êtres ; il semblait que, séparés par moi durant la vie, ils eussent projeté de me fuir et tous deux de s’unir en Dieu. Mais je me persuade que dans la conversion de Jacques entre plus de raisonnement que d’amour.
– Mon père, m’a-t-il dit, il ne sied pas que je vous accuse ; mais c’est l’exemple de votre erreur qui m’a guidé.
Après que Jacques fut reparti, je me suis agenouillé près d’Amélie, lui demandant de prier pour moi, car j’avais besoin d’aide. Elle a simplement récité « Notre Père… » mais en mettant entre les versets de longs silences qu’emplissait notre imploration.
J’aurais voulu pleurer, mais je sentais mon cœur plus aride que le désert.
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Octobre 2005
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