Les autels brillaient de tout le luxe ecclésiastique, les couronnes de fleurs d’oranger qui paraient les statues de la Vierge semblaient être neuves. On ne voyait que fleurs, que parfums, que cierges étincelants, que coussins de velours brodés d’or. Dieu paraissait être complice de cette joie d’un jour. Quand il fallut tenir au-dessus des têtes de Luigi et de Ginevra ce symbole d’union éternelle, ce joug de satin blanc, doux, brillant, léger pour les uns, et de plomb pour le plus grand nombre, le prêtre chercha, mais en vain, les jeunes garçons qui remplissent ce joyeux office : deux des témoins les remplacèrent. L’ecclésiastique fit à la hâte une instruction aux époux sur les périls de la vie, sur les devoirs qu’ils enseigneraient un jour à leurs enfants ; et à ce sujet il glissa un reproche indirect sur l’absence des parents de Ginevra ; puis après les avoir unis devant Dieu, comme le maire les avait unis devant la Loi, il acheva sa messe et les quitta.
— Dieu les bénisse ! dit Vergniaud au maçon sous le porche de l’église. Jamais deux créatures ne furent mieux faites l’une pour l’autre. Les parents de cette fille-là sont des infirmes. Je ne connais pas de soldat plus brave que le colonel Louis ! Si tout le monde s’était comporté comme lui, l’autre y serait encore.
La bénédiction du soldat, la seule qui, dans ce jour, leur eût été donnée, répandit comme un baume sur le cœur de Ginevra.
Ils se séparèrent en se serrant la main, et Luigi remercia cordialement son propriétaire.
— Adieu, mon brave, dit Luigi au maréchal, je te remercie.
— Tout à votre service, mon colonel. Âme, individu, chevaux et voitures, chez moi tout est à vous.
— Comme il l’aime ! dit Ginevra.
Luigi entraîna vivement sa mariée à la maison qu’ils devaient habiter, ils atteignirent bientôt leur modeste appartement, et, là, quand la porte fut refermée, Luigi prit sa femme dans ses bras en s’écriant : — O ma Ginevra ! car maintenant tu es à moi, ici est la véritable fête. Ici, reprit-il, tout nous sourira.
Ils parcoururent ensemble les trois chambres qui composaient leur logement. La pièce d’entrée servait de salon et de salle à manger. A droite se trouvait une chambre à coucher, à gauche un grand cabinet que Luigi avait fait arranger pour sa chère femme et où elle trouva les chevalets, la boîte à couleurs, les plâtres, les modèles, les mannequins, les tableaux, les portefeuilles, enfin tout le mobilier de l’artiste.
— Je travaillerai donc là, dit-elle avec une expression enfantine. Elle regarda long-temps la tenture, les meubles, et toujours elle se retournait vers Luigi pour le remercier, car il y avait une sorte de magnificence dans ce petit réduit : une bibliothèque contenait les livres favoris de Ginevra, au fond était un piano. Elle s’assit sur un divan, attira Luigi près d’elle, et lui serrant la main : — Tu as bon goût, dit-elle d’une voix caressante.
— Tes paroles me font bien heureux, dit-il.
— Mais voyons donc tout, demanda Ginevra à qui Luigi avait fait un mystère des ornements de cette retraite.
Ils allèrent alors vers une chambre nuptiale, fraîche et blanche comme une vierge.
— Oh ! sortons, dit Luigi en riant.
— Mais je veux tout voir. Et l’impérieuse Ginevra visita l’ameublement avec le soin curieux d’un antiquaire examinant une médaille, elle toucha les soieries et passa tout en revue avec le contentement naïf d’une jeune mariée qui déploie les richesses de sa corbeille. — Nous commençons par nous ruiner, dit-elle d’un air moitié joyeux, moitié chagrin.
— C’est vrai ! tout l’arriéré de ma solde est là, répondit Luigi. Je l’ai vendu à un brave homme nommé Gigonnet.
— Pourquoi ? reprit-elle d’un ton de reproche où perçait une satisfaction secrète. Crois-tu que je serais moins heureuse sous un toit ? Mais, reprit-elle, tout cela est bien joli, et c’est à nous. Luigi la contemplait avec tant d’enthousiasme qu’elle baissa les yeux et lui dit : — Allons voir le reste.
Au-dessus de ces trois chambres, sous les toits, il y avait un cabinet pour Luigi, une cuisine et une chambre de domestique. Ginevra fut satisfaite de son petit domaine, quoique la vue s’y trouvât bornée par le large mur d’une maison voisine, et que la cour d’où venait le jour fût sombre. Mais les deux amants avaient le cœur si joyeux, mais l’espérance leur embellissait si bien l’avenir, qu’ils ne voulurent apercevoir que de charmantes images dans leur mystérieux asile. Ils étaient au fond de cette vaste maison et perdus dans l’immensité de Paris, comme deux perles dans leur nacre, au sein des profondes mers : pour tout autre c’eût été une prison, pour eux ce fut un paradis. Les premiers jours de leur union appartinrent à l’amour. Il leur fut trop difficile de se vouer tout à coup au travail, et ils ne surent pas résister au charme de leur propre passion. Luigi restait des heures entières couché aux pieds de sa femme, admirant la couleur de ses cheveux, la coupe de son front, le ravissant encadrement de ses yeux, la pureté, la blancheur des deux arcs sous lesquels ils glissaient lentement en exprimant le bonheur d’un amour satisfait. Ginevra caressait la chevelure de son Luigi sans se lasser de contempler, suivant une de ses expressions, la beltà folgorante de ce jeune homme, la finesse de ses traits ; toujours séduite par la noblesse de ses manières, comme elle le séduisait toujours par la grâce des siennes. Ils jouaient comme des enfants avec des riens, ces riens les ramenaient toujours à leur passion, et ils ne cessaient leurs jeux que pour tomber dans la rêverie du far niente. Un air chanté par Ginevra leur reproduisait encore les nuances délicieuses de leur amour. Puis, unissant leurs pas comme ils avaient uni leurs âmes, ils parcouraient les campagnes en y retrouvant leur amour partout, dans les fleurs, sur les cieux, au sein des teintes ardentes du soleil couchant ; ils le lisaient jusque sur les nuées capricieuses qui se combattaient dans les airs. Une journée ne ressemblait jamais à la précédente, leur amour allait croissant parce qu’il était vrai.
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