Allez, mon ami, et gagnez la bataille. »
Balthazar essaya faiblement de réagir :
« Ah ! Yolande, tout cela est contraire aux principes de la philosophie quotidienne que je vous ai enseignée. Il faut tenir nos passions en laisse et réduire nos rêves à la mesure de nos pauvres vies humaines.
— L'amour emporte tout, Balthazar. »
Elle prononçait Balthassar, et les trois syllabes prenaient en sa bouche toute l'ampleur que mérite le nom d'un roi chaldéen. Ses yeux luisaient dans son beau visage, sa chevelure en diadème avait les reflets d'un casque d'acier. Puissante, taillée en force, plus haute que lui d'une demi-tête, elle gardait, malgré l'exaltation de ses paroles, l'attitude majestueuse d'une reine de théâtre.
Balthazar fut ébloui.
« Je gagnerai la bataille, dit-il d'une voix haletante. Je veux vous conquérir. Vous êtes ma toison d'or. »
Elle pesait si lourdement sur ses épaules débiles qu'il tomba à genoux et il gémissait, tandis que son chapeau roulait jusqu'au vestibule.
« Ma toison d'or!... Je vous jure d'atteindre le but... et de me laver de toutes les accusations. Le gros homme corpulent, par exemple, est-ce que je le connais? Ai-je le temps de lire les journaux? Et je prouverai aussi que tous ces bandits...
— Ah ! fit-elle, que m'importe tout cela ! Si vous êtes l'ami d'une bande de brigands, si vous vivez en dehors des lois, irai-je vous le reprocher? Ayez un nom, Balthassar, retrouvez votre père... Je vous donne six mois pour me conquérir. »
Ils se turent. Courbée au-dessus de lui, on eût dit qu'elle l'armait chevalier et l'expédiait aux Croisades.
Puis, avec une passion subite, elle ravagea de baisers la petite végétation de poils qui lui garnissait la tête et qu'il avait par bonheur arrosée d'eau de Cologne.
« Va, mon Balthassar, combats pour ta Yolande. Va, mon chéri. »
Il sortit en frappant des pieds sur le trottoir et en bombant la poitrine. Jamais allégresse plus noble et rêve plus généreux ne l'avaient transporté. Et, jamais non plus, aucun but ne lui avait semblé plus facile à toucher de la main. Un père ? Mais cela se croise à tous les coins de rue ! De l'argent? Une situation sociale? Quels enfantillages ! Un peu de volonté suffit.
Coloquinte, sa dactylographe, l'attendait au square des Batignolles, chargée d'une énorme serviette en maroquin dont le poids déformait sa jeune taille. Deux nattes blondes et raides pointaient de dessous sa toque de velours défraîchie.
« Ça y est », dit Balthazar.
Il s'assit sur un banc, essoufflé et comme dégonflé en partie de son effervescence.
« M. Rondot consent? dit-elle.
— Oui.
— Ah! quel bonheur, monsieur Balthazar! Et Mlle Yolande?
— Elle a été superbe... Peut-être a-t-elle tort de ne pas tenir compte de mes leçons de philosophie. Mais la raison reprendra ses droits entre nous.
— Alors tout est convenu?
— Presque. Deux ou trois conditions insignifiantes. Et d'abord, il faut que je retrouve mon père. Tu viens ? »
Durant une heure, Balthazar, suivi de Coloquinte, arpenta les rues, en quête de l'homme qui l'avait mis au monde. Tous les passants étaient dévisagés d'un coup d'œil.
« C'est peut-être celui-là, se disait-il... Ou plutôt celui-ci... Même démarche que moi... même façon de porter le faux col... En vérité on croirait qu'il m'évite. »
Pour deux francs une somnambule extra-lucide, chez qui le mena Coloquinte, changea ses espoirs en certitudes.
« Argent... Situation lucrative... rencontre imprévue d'un monsieur qui s'intéresse à vous... un parent...
— Très proche?
— Plus que proche.
— Mon père, évidemment, proposa Balthazar tout ému.
— Votre père, en effet...
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