Mais qui ? Crier au secours ? Quel scandale ! Et puis, en vérité, c'était enfantin de sa part, et, comme le disait Jean d'Orsacq, elle n'avait rien à craindre à cette heure et en ce lieu. Justement, le radeau revenait. Courant sur la berge, elle dit :
Léonie :
– Je monte avec vous… ce doit être amusant là-dedans.
Dès que ce fut possible, elle monta. Mais Jean d'Orsacq monta également, et aussitôt le radeau s'enfonça de manière assez sensible. On allait passer sous le pont. Ils durent tous se coucher. Léonie poussait des cris d'effroi.
– On coule ! on coule… je le sens bien… tenez, voilà l'eau qui nous atteint.
Son mari, d'un coup de perche, fit aborder sur la rive du château, à la minute même où Boisgenêt débouchait du massif de fleurs.
– Donnez-moi la main, Boisgenêt, demanda Christiane. Je ne tiens pas à me mouiller les pieds.
Mais Boisgenêt s'y prit d'une façon si maladroite que ce fut lui qui pataugea quelques secondes dans la vase.
Exaspéré, il jura :
– Mais c'est fou ! Voyons ! Vous m'avez fait perdre l'équilibre. Eh bien ! me voilà dans un bel état. Crebleu de crebleu !
Il sautait d'un pied sur l'autre comme un pantin que l'on agite. Les nerfs tendus, Christiane fut prise d'un fou rire qui la courbait en deux, et Jean, qui était près d'elle, lui disait à voix basse :
– Que vous êtes délicieuse ! C'est si bon de vous entendre rire. Vous ne riez pas assez dans la vie. Pourtant vous êtes gaie…
Un nuage creva soudain. On vit s'enfuir vers le château un groupe de domestiques qui, pour assister au spectacle, s'étaient massés sur la gauche, à l'endroit où commençait la pergola.
– Rentrons, dit-elle.
– Nous allons nous faire tremper… Non, il est préférable de s'abriter dans ce pigeonnier.
Il y avait bien eu là, jadis, un menu pigeonnier. Mais il n'en restait que les ruines, que l'on avait respectées et coiffées comme d'un chapeau de paille délabré.
– Moi, je rentre, grogna Boisgenêt, j'ai les pieds gelés.
Elle le retint par le bras, d'une main rigide qui se cramponnait. Pour rien au monde elle n'eût voulu qu'il la laissât avec d'Orsacq dans ce refuge isolé. L'averse redoublait cependant, au point que le toit au-dessus d'eux ne les protégea plus et que la pluie les atteignit par petites rigoles.
Boisgenêt ne décolérait pas.
– C'est idiot de rester ici nous faire tremper.
– Et dehors ? objecta Christiane qui ne le lâchait pas.
– Oui, mais on change aussitôt de vêtements. Moi, je m'en vais.
– Tu as raison, Boisgenêt, approuva le comte. À ton âge, c'est dangereux de rester mouillé. Tiens, emporte donc ma pèlerine.
Christiane s'interposa.
– Mais non, voyons… c'est absurde… ou alors partons aussi…
– Sous cette pluie battante ? ricana d'Orsacq.
Ils se querellaient tous les trois : Boisgenêt résolu à se sauver, Christiane l'en empêchant, et le comte essayant de mettre sa pèlerine sur le dos de Boisgenêt et de le pousser hors du refuge.
L'incident prit fin par l'irruption du ménage Bresson. Léonie se lamentait et plaisantait.
– Je suis trempée ! ça me coule dans le dos. Au secours ! Dieu, que c'est froid !… Mais, dites donc, il tombe des seaux d'eau, ici.
Bresson interpella le comte :
– Vous avez vu ?…
– Quoi ?
– Ah ! c'est vrai, d'ici, vous ne pouvez apercevoir la fenêtre.
– Quelle fenêtre ?
– Celle de la tour… vous savez, la grande fenêtre de la bibliothèque ?
– Eh bien ?
– Elle s'est ouverte brusquement.
– Et après ?
– Après ? Quelqu'un a enjambé le balcon et a sauté dans le vide.
– Ah ! non, s'écria le comte en riant. Vous ne m'aurez pas, cette fois-là, mon vieux. Votre femme a déjà voulu nous mystifier avec son marc de café. Ça ne prend plus.
– Je vous jure, d'Orsacq. Un rayon de lune passait, à cet instant, et j'ai vu distinctement. N'est-ce pas, Léonie ?
– Tu es fou. Je n'ai rien vu, moi.
– Je t'ai avertie trop tard. C'était fini.
– Une lubie que tu as eue… Une hallucination…
– C'est cela ! Une bonne petite hallucination, plaisanta d'Orsacq qui ne pensait qu'à retenir Christiane.
– Je vous jure…
Mais Boisgenêt avait profité de l'inattention et s'était enfui. Le ménage Bresson s'en alla aussi.
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