Le Chat noir

Le Chat noir
Edgar Allan Poe
(Traducteur:
Charles Baudelaire)
Publication: 1843
Catégorie(s): Fiction, Nouvelles
Source: http://www.ebooksgratuits.com
A Propos Poe:
Edgar Allan Poe was an American poet, short story writer,
playwright, editor, critic, essayist and one of the leaders of the
American Romantic Movement. Best known for his tales of the macabre
and mystery, Poe was one of the early American practitioners of the
short story and a progenitor of detective fiction and crime
fiction. He is also credited with contributing to the emergent
science fiction genre.Poe died at the age of 40. The cause of his
death is undetermined and has been attributed to alcohol, drugs,
cholera, rabies, suicide (although likely to be mistaken with his
suicide attempt in the previous year), tuberculosis, heart disease,
brain congestion and other agents. Source: Wikipedia
Disponible sur Feedbooks Poe:
Double Assassinat
dans la rue Morgue (1841)
Silence
(1837)
Le Scarabée
d’or (1843)
La Lettre
Volée (1844)
Le Sphinx
(1846)
La Chute de la
maison Usher (1839)
Aventure sans
pareille d'un certain Hans Pfaal (1835)
Hop-Frog
(1850)
Le Cœur
révélateur (1843)
Le Portrait
ovale (1842)
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Relativement à la très-étrange et pourtant très-familière
histoire que je vais coucher par écrit, je n’attends ni ne
sollicite la créance. Vraiment, je serais fou de m’y attendre, dans
un cas où mes sens eux-mêmes rejettent leur propre témoignage.
Cependant, je ne suis pas fou, – et très-certainement je ne rêve
pas. Mais demain je meurs, et aujourd’hui je voudrais décharger mon
âme. Mon dessein immédiat est de placer devant le monde,
clairement, succinctement et sans commentaires, une série de
simples événements domestiques. Dans leurs conséquences, ces
événements m’ont terrifié, – m’ont torturé, – m’ont anéanti. –
Cependant, je n’essaierai pas de les élucider. Pour moi, ils ne
m’ont guère présenté que de l’horreur ; – à beaucoup de
personnes ils paraîtront moins terribles que baroques. Plus tard
peut-être il se trouvera une intelligence qui réduira mon fantôme à
l’état de lieu commun, – quelque intelligence plus calme, plus
logique, et beaucoup moins excitable que la mienne, qui ne trouvera
dans les circonstances que je raconte avec terreur qu’une
succession ordinaire de causes et d’effets très-naturels.
Dès mon enfance, j’étais noté pour la docilité et l’humanité de
mon caractère. Ma tendresse de cœur était même si remarquable
qu’elle avait fait de moi le jouet de mes camarades. J’étais
particulièrement fou des animaux, et mes parents m’avaient permis
de posséder une grande variété de favoris. Je passais presque tout
mon temps avec eux, et je n’étais jamais si heureux que quand je
les nourrissais et les caressais. Cette particularité de mon
caractère s’accrut avec ma croissance, et, quand je devins homme,
j’en fis une de mes principales sources de plaisirs. Pour ceux qui
ont voué une affection à un chien fidèle et sagace, je n’ai pas
besoin d’expliquer la nature ou l’intensité des jouissances qu’on
peut en tirer. Il y a dans l’amour désintéressé d’une bête, dans ce
sacrifice d’elle-même, quelque chose qui va directement au cœur de
celui qui a eu fréquemment l’occasion de vérifier la chétive amitié
et la fidélité de gaze de l’homme naturel.
Je me mariai de bonne heure, et je fus heureux de trouver dans
ma femme une disposition sympathique à la mienne. Observant mon
goût pour ces favoris domestiques, elle ne perdit aucune occasion
de me procurer ceux de l’espèce la plus agréable. Nous eûmes des
oiseaux, un poisson doré, un beau chien, des lapins, un petit singe
et un chat.
Ce dernier était un animal remarquablement fort et beau,
entièrement noir, et d’une sagacité merveilleuse. En parlant de son
intelligence, ma femme, qui au fond n’était pas peu pénétrée de
superstition, faisait de fréquentes allusions à l’ancienne croyance
populaire qui regardait tous les chats noirs comme des sorcières
déguisées. Ce n’est pas qu’elle fût toujours sérieuse sur ce point,
– et, si je mentionne la chose, c’est simplement parce que cela me
revient, en ce moment même, à la mémoire.
Pluton, – c’était le nom du chat, – était mon préféré, mon
camarade. Moi seul, je le nourrissais, et il me suivait dans la
maison partout où j’allais. Ce n’était même pas sans peine que je
parvenais à l’empêcher de me suivre dans les rues.
Notre amitié subsista ainsi plusieurs années, durant lesquelles
l’ensemble de mon caractère et de mon tempérament, – par
l’opération du Démon Intempérance, je rougis de le confesser, –
subit une altération radicalement mauvaise. Je devins de jour en
jour plus morne, plus irritable, plus insoucieux des sentiments des
autres. Je me permis d’employer un langage brutal à l’égard de ma
femme. À la longue, je lui infligeai même des violences
personnelles. Mes pauvres favoris, naturellement, durent ressentir
le changement de mon caractère. Non-seulement je les négligeais,
mais je les maltraitais. Quant à Pluton, toutefois, j’avais encore
pour lui une considération suffisante qui m’empêchait de le
malmener, tandis que je n’éprouvais aucun scrupule à maltraiter les
lapins, le singe et même le chien, quand, par hasard ou par amitié,
ils se jetaient dans mon chemin.
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