Elle ne se présenta pas de toute la nuit, et ainsi ce fut la première bonne nuit, – depuis son introduction dans la maison, – que je dormis solidement et tranquillement ; oui, je dormis avec le poids de ce meurtre sur l’âme !

Le second et le troisième jour s’écoulèrent, et cependant mon bourreau ne vint pas. Une fois encore je respirai comme un homme libre. Le monstre, dans sa terreur, avait vidé les lieux pour toujours ! Je ne le verrais donc plus jamais ! Mon bonheur était suprême ! La criminalité de ma ténébreuse action ne m’inquiétait que fort peu. On avait bien fait une espèce d’enquête, mais elle s’était satisfaite à bon marché. Une perquisition avait même été ordonnée, – mais naturellement on ne pouvait rien découvrir. Je regardais ma félicité à venir comme assurée.

Le quatrième jour depuis l’assassinat, une troupe d’agents de police vint très-inopinément à la maison, et procéda de nouveau à une rigoureuse investigation des lieux. Confiant, néanmoins, dans l’impénétrabilité de la cachette, je n’éprouvai aucun embarras. Les officiers me firent les accompagner dans leur recherche. Ils ne laissèrent pas un coin, pas un angle inexploré. À la fin, pour la troisième ou quatrième fois, ils descendirent dans la cave. Pas un muscle en moi ne tressaillit. Mon cœur battait paisiblement, comme celui d’un homme qui dort dans l’innocence. J’arpentais la cave d’un bout à l’autre ; je croisais mes bras sur ma poitrine, et me promenais çà et là avec aisance. La police était pleinement satisfaite et se préparait à décamper. La jubilation de mon cœur était trop forte pour être réprimée. Je brûlais de dire au moins un mot, rien qu’un mot, en manière de triomphe, et de rendre deux fois plus convaincue leur conviction de mon innocence.

– Gentlemen, – dis-je à la fin, – comme leur troupe remontait l’escalier, – je suis enchanté d’avoir apaisé vos soupçons. Je vous souhaite à tous une bonne santé et un peu plus de courtoisie. Soit dit en passant, gentlemen, voilà – voilà une maison singulièrement bien bâtie (dans mon désir enragé de dire quelque chose d’un air délibéré, je savais à peine ce que je débitais) ; – je puis dire que c’est une maison admirablement bien construite. Ces murs, – est-ce que vous partez, gentlemen ? – ces murs sont solidement maçonnés !

Et ici, par une bravade frénétique, je frappai fortement avec une canne que j’avais à la main juste sur la partie du briquetage derrière laquelle se tenait le cadavre de l’épouse de mon cœur.

Ah ! qu’au moins Dieu me protège et me délivre des griffes de l’Archidémon ! – À peine l’écho de mes coups était-il tombé dans le silence, qu’une voix me répondit du fond de la tombe ! – une plainte, d’abord voilée et entrecoupée, comme le sanglotement d’un enfant, puis, bientôt, s’enflant en un cri prolongé, sonore et continu, tout à fait anormal et antihumain, – un hurlement, – un glapissement, moitié horreur et moitié triomphe, – comme il en peut monter seulement de l’Enfer, – affreuse harmonie jaillissant à la fois de la gorge des damnés dans leurs tortures, et des démons exultant dans la damnation !

Vous dire mes pensées, ce serait folie. Je me sentis défaillir, et je chancelai contre le mur opposé. Pendant un moment, les officiers placés sur les marches restèrent immobiles, stupéfiés par la terreur. Un instant après, une douzaine de bras robustes s’acharnaient sur le mur. Il tomba tout d’une pièce. Le corps, déjà grandement délabré et souillé de sang grumelé, se tenait droit devant les yeux des spectateurs. Sur sa tête, avec la gueule rouge dilatée et l’œil unique flamboyant, était perchée la hideuse bête dont l’astuce m’avait induit à l’assassinat, et dont la voix révélatrice m’avait livré au bourreau. J’avais muré le monstre dans la tombe !

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