fut très étonné. – Vous êtes l’arpenteur, expliqua l’homme, et vous faites partie du château, où voulez-vous donc aller ?
– Au château, fit K. rapidement.
– Alors, je ne vous emmène pas, dit l’homme aussitôt.
– Je fais pourtant partie du château, dit K. répétant les propres paroles de l’homme.
– Ça se peut, dit l’homme pour détourner la conversation.
– Alors conduisez-moi à l’auberge, dit K.
– Bien, fit l’homme, je viens tout de suite avec le traîneau.
Tout cela ne témoignait pas d’une très grande amabilité, on eût plutôt dit un zèle égoïste et craintif, presque méticuleux à voir K. quitter cet endroit devant la maison.
Le portail sur la cour s’ouvrit et il en sortit un petit traîneau pour charges légères, tout plat, sans le moindre siège, tiré par un faible petit cheval et derrière lequel marchait l’homme, courbé, faible, boiteux, avec un visage maigre, rouge, enrhumé, que son écharpe de laine qui lui enveloppait la tête faisait paraître plus petit encore. L’homme était visiblement malade et n’était sorti que pour pouvoir éloigner K. Celui-ci tenta de dire quelque chose en ce sens que l’homme éluda. K. apprit seulement qu’il était le charretier Gerstäcker et qu’il avait pris ce traîneau inconfortable parce qu’il se trouvait prêt et qu’en prendre un autre aurait demandé trop de temps.
– Asseyez-vous, dit-il, et du fouet il montra le traîneau derrière lui.
– Je vais m’asseoir à côté de vous, dit K.
– Je vais marcher, dit Gerstäcker.
– Pourquoi donc ?
– Je vais marcher, répéta Gerstäcker, et il eut un accès de toux qui le secoua au point qu’il lui fallut caler les jambes dans la neige et se tenir des mains au bord du traîneau. K. ne dit plus rien, il s’assit derrière sur le traîneau, la toux se calma lentement et ils partirent.
Le château là-haut, déjà étrangement obscur, que K. avait espéré atteindre aujourd’hui encore, s’éloignait de nouveau ; comme en guise d’adieu provisoire une cloche se mit à y sonner joyeusement, une cloche qui, un instant au moins, faisait frissonner le cœur, comme s’il était menacé – car le son était douloureux aussi – par l’accomplissement de ce qu’il désirait de façon incertaine. Mais cette cloche puissante se tut, relayée par une clochette faible et monotone, peut-être encore là-haut, peut-être déjà au village. Cette sonnerie, certes, convenait mieux à la lenteur du traîneau, à ce charretier misérable mais inflexible.
– Eh toi ! s’écria K. tout à coup – ils étaient déjà à proximité de l’église, de là, le chemin n’était plus long jusqu’à l’auberge et K. pouvait prendre quelques risques –, je suis très étonné que tu oses me promener comme ça, sous ta propre responsabilité, tu en as le droit ?
Gerstäcker fit comme s’il n’entendait pas et continuait à marcher tranquillement à côté de son cheval.
– Hé ! s’écria K., il prit un peu de neige sur le traîneau, en fit une boule et atteignit Gerstäcker en plein dans l’oreille. Celui-ci alors s’arrêta et se retourna ; mais lorsque K. le vit ainsi près de lui – le traîneau avait continué à avancer un peu –, cette silhouette courbée, maltraitée eût-on dit, le visage rouge, fatigué et mince avec ses joues en quelque sorte différentes, l’une creuse, l’autre décharnée, la bouche ouverte, attentive, où ne restaient que quelques dents isolées, il dut répéter par pitié ce qu’il avait tout à l’heure dit par méchanceté, à savoir si Gerstäcker ne pouvait pas être puni pour avoir transporté K.
– Que veux-tu ? demanda Gerstäcker sans comprendre mais sans attendre d’autre explication ; il héla le cheval et ils continuèrent leur chemin.
Chapitre II
Lorsqu’ils furent presque à l’auberge – K. s’en rendit compte à un tournant du chemin – il faisait déjà tout à fait nuit. Était-il donc resté absent si longtemps ? Pourtant, selon ses estimations, il n’était parti que depuis une heure ou deux, le matin il n’avait pas éprouvé le besoin de manger et tout à l’heure encore, il avait fait jour, une lumière régulière, l’obscurité n’était tombée qu’à l’instant même.
– Courtes journées, courtes journées, se dit-il. Il se glissa hors du traîneau et se dirigea vers l’auberge.
En haut, sur le petit perron de la maison, se tenait l’aubergiste, une lampe à la main qu’il dirigeait vers lui. Se rappelant fugitivement le charretier, K. s’arrêta, on toussait quelque part dans l’obscurité, c’était lui. Il ne tarderait pas à le revoir. C’est une fois arrivé en haut, près de l’aubergiste qui saluait humblement, qu’il remarqua un homme de chaque côté de la porte. Il prit la lanterne de la main de l’aubergiste et les éclaira tous les deux ; c’était les deux hommes qu’il avait rencontrés et qu’on avait appelés Arthur et Jeremias. Ils firent un salut militaire. Il se mit à rire en se souvenant de l’heureux temps de son service militaire.
– Qui êtes-vous ? demanda-t-il en les regardant tour à tour.
– Vos aides, répondirent-ils.
– Ce sont les aides, confirma doucement l’aubergiste.
– Comment ? fit K.
– Vous êtes mes anciens aides que j’ai fait venir et que j’attends ?
Ils le lui confirmèrent.
– C’est bien, fit K., après un moment. C’est bien que vous soyez venus. D’ailleurs, dit K., après un autre petit moment, vous vous êtes beaucoup attardés, vous êtes très négligents.
– La route était longue, dit l’un d’eux.
– Une longue route, répéta K., mais je vous ai rencontrés alors que vous arriviez du château.
– Oui, dirent-ils sans autre explication.
– Où sont donc les appareils ? demanda K.
– Nous n’en avons pas, dirent-ils.
– Les appareils que je vous ai confiés, dit K.
– Nous n’en avons pas, répétèrent-ils.
– Vous en êtes de drôles de gens ! dit K.
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