Item, les fermes du Grassol et du Guadet, valant chacune trois mille six cents livres de rentes. Item, le clos de Belle-Rose, rapportant année commune seize mille livres ; total quarante-six mille deux cents francs de rente. Item, un hôtel patrimonial à Bordeaux, imposé à neuf cents francs. Item, une belle maison entre cour et jardin, sise à Paris, rue de la Pépinière, imposée à quinze cents francs. Ces propriétés, dont les titres sont chez moi, proviennent de la succession de nos père et mère, excepté la maison de Paris, laquelle est un de nos acquêts. Nous avons également à compter le mobilier de nos deux maisons et celui du château de Lanstrac, estimés quatre cent cinquante mille francs. Voilà la table, la nappe et le premier service. Qu’apportez-vous pour le second service et pour le dessert ?
— Nos droits, dit Solonet.
— Spécifiez-les, mon cher maître, reprit Mathias. Que m’apportez-vous ? où est l’inventaire fait après le décès de monsieur Évangélista ? montrez-moi la liquidation, l’emploi de vos fonds. Où sont vos capitaux, s’il y a capital ? où sont vos propriétés, s’il y a propriété ? Bref, montrez-nous un compte de tutelle, et dites-nous ce que vous donne ou vous assure votre mère.
— Monsieur le comte de Manerville aime-t-il mademoiselle Évangélista ?
— Il en veut faire sa femme, si toutes les convenances se rencontrent, dit le vieux notaire. Je ne suis pas un enfant, il s’agit ici de nos affaires, et non de nos sentiments.
— L’affaire est manquée si vous n’avez pas les sentiments généreux. Voici pourquoi, reprit Solonet. Nous n’avons pas fait inventaire après la mort de notre mari, nous étions Espagnole, créole, et nous ne connaissions pas les lois françaises. D’ailleurs, nous étions trop douloureusement affectée pour songer à de misérables formalités que remplissent les cœurs froids. Il est de notoriété publique que nous étions adorée par le défunt et que nous l’avons énormément pleuré. Si nous avons une liquidation précédée d’un bout d’inventaire fait par commune renommée, remerciez-en notre subrogé-tuteur, qui nous a forcée d’établir une situation et de reconnaître à notre fille une fortune telle quelle, au moment où il nous a fallu retirer de Londres des rentes anglaises dont le capital était immense, et que nous voulions replacer à Paris, où nous en doublions les intérêts.
— Ne me dites donc pas de niaiseries. Il existe des moyens de contrôle. Quels droits de succession avez-vous payés au domaine ? le chiffre nous suffira pour établir les comptes. Allez donc droit au fait. Dites-nous franchement ce qu’il vous revenait et ce qui vous reste. Hé ! bien, si nous sommes trop amoureux, nous verrons.
— Si vous nous épousez pour de l’argent, allez vous promener. Nous avons droit à plus d’un million. Mais il ne reste à notre mère que cet hôtel, son mobilier et quatre cents et quelques mille francs employés vers 1817 en cinq pour cent, donnant quarante mille francs de revenus.
— Comment menez-vous un train qui exige cent mille livres de rentes ? s’écria Mathias atterré.
— Notre fille nous a coûté les yeux de la tête. D’ailleurs, nous aimons la dépense. Enfin, vos jérémiades ne nous feront pas retrouver deux liards.
— Avec les cinquante mille francs de rentes qui appartenaient à mademoiselle Natalie, vous pouviez l’élever richement sans vous ruiner. Mais si vous avez mangé de si bon appétit quand vous étiez fille, vous dévorerez donc quand vous serez femme.
— Laissez-nous alors, dit Solonet, la plus belle fille du monde doit toujours manger plus qu’elle n’a.
— Je vais dire deux mots à mon client, reprit le vieux notaire.
— Va, va, mon vieux père Cassandre, va dire à ton client que nous n’avons pas un liard, pensa maître Solonet qui dans le silence du cabinet avait stratégiquement disposé ses masses, échelonné ses propositions, élevé les tournants de la discussion, et préparé le point où les parties, croyant tout perdu, se trouveraient devant une heureuse transaction où triompherait sa cliente.
La robe blanche à nœuds roses, les tire-bouchons à la Sévigné, le petit pied de Natalie, ses fins regards, sa jolie main sans cesse occupée à réparer le désordre de boucles qui ne se dérangeaient pas, ce manége d’une jeune fille faisant la roue comme un paon au soleil, avait amené Paul au point où le voulait voir sa future belle-mère : il était ivre de désirs, et souhaitait sa prétendue comme un lycéen peut désirer une courtisane ; ses regards, sûr thermomètre de l’âme, annonçaient ce degré de passion auquel un homme fait mille sottises.
— Natalie est si belle, dit-il à l’oreille de sa belle-mère, que je conçois la frénésie qui nous pousse à paver un plaisir par notre mort.
Madame Évangélista répondit en hochant la tête : — Paroles d’amoureux ! Mon mari ne me disait aucune de ces belles phrases ; mais il m’épousa sans fortune, et pendant treize ans il ne m’a jamais causé de chagrins.
— Est-ce une leçon que vous me donnez ? dit Paul en riant.
— Vous savez comme je vous aime, cher enfant ! dit-elle en lui serrant la main. D’ailleurs, ne faut-il pas vous bien aimer pour vous donner ma Natalie ?
— Me donner, me donner, dit la jeune fille en riant et agitant un écran fait en plumes d’oiseaux indiens. Que dites-vous tout bas ?
— Je disais, reprit Paul, combien je vous aime, puisque les convenances me défendent de vous exprimer mes désirs.
— Pourquoi ?
— Je me crains !
— Oh ! vous avez trop d’esprit pour ne pas savoir bien monter les joyaux de la flatterie. Voulez-vous que je vous dise mon opinion sur vous ?... Eh ! bien, je vous trouve plus d’esprit qu’un homme amoureux n’en doit avoir.
1 comment