Chaque jour, allant chez elle, je me promettais de ne pas sortir qu’elle ne le fût.

Le jour de l’anniversaire de mes seize ans, au mois de mars 1918, tout en me suppliant de ne pas me fâcher, elle me fit cadeau d’un peignoir, semblable au sien, qu’elle voulait me voir mettre chez elle. Dans ma joie, je faillis faire un calembour, moi qui n’en faisais jamais. Ma robe prétexte ! Car il me semblait jusqu’ici avait entravé mes désirs, c’était la peur du ridicule, de me sentir habillé, lorsqu’elle ne l’était pas. D’abord je pensai à mettre cette robe le jour même. Puis, je rougis, comprenant ce que son cadeau contenait de reproches.

 

 

Dès le début de notre amour, Marthe m’avait donné une clef de son appartement, afin que je n’eusse pas à l’attendre dans le jardin, si, par hasard, elle était en ville. Je pouvais me servir moins innocemment de cette clef. Nous étions un samedi. Je quittai Marthe en lui promettant de venir déjeuner le lendemain avec elle. Mais j’étais décidé à revenir le soir aussitôt que possible.

À dîner, j’annonçai à mes parents que j’entreprendrais le lendemain avec René une longue promenade dans la forêt de Sénart. Je devais pour cela partir à cinq heures du matin. Comme toute la maison dormirait encore, personne ne pourrait deviner l’heure à laquelle j’étais parti, et si j’avais découché.

À peine avais-je fait part de ce projet à ma mère, qu’elle voulut préparer elle-même un panier rempli de provisions, pour la route. J’étais consterné, ce panier détruisait tout le romanesque et le sublime de mon acte. Moi qui goûtais d’avance l’effroi de Marthe quand j’entrerais dans sa chambre, je pensais maintenant à ses éclats de rire en voyant paraître ce prince Charmant, un panier de ménagère à son bras. J’eus beau dire à ma mère que René s’était muni de tout, elle ne voulut rien entendre. Résister davantage, c’était éveiller les soupçons.

Ce qui fait le malheur des uns causerait le bonheur des autres. Tandis que ma mère emplissait le panier qui me gâtait d’avance ma première nuit d’amour, je voyais les yeux pleins de convoitise de mes frères. Je pensai bien à le leur offrir en cachette, mais une fois tout mangé, au risque de se faire fouetter, et pour le plaisir de me perdre, ils eussent tout raconté.

Il fallait donc me résigner, puisque nulle cachette ne semblait assez sûre.

Je m’étais juré de ne pas partir avant minuit pour être sûr que mes parents dormissent. J’essayai de lire. Mais comme dix heures sonnaient à la mairie, et que mes parents étaient couchés depuis quelque temps déjà, je ne pus attendre. Ils habitaient au premier étage, moi au rez-de-chaussée. Je n’avais pas mis mes bottines afin d’escalader le mur le plus silencieusement possible. Les tenant d’une main, tenant de l’autre ce panier fragile à cause des bouteilles, j’ouvris avec précaution une petite porte d’office. Il pleuvait. Tant mieux ! La pluie couvrirait le bruit. Apercevant que la lumière n’était pas encore éteinte dans la chambre de mes parents, je fus sur le point de me recoucher. Mais j’étais en route. Déjà la précaution des bottines était impossible ; à cause de la pluie je dus les remettre. Ensuite, il me fallait escalader le mur pour ne point ébranler la cloche de la grille. Je m’approchai du mur, contre lequel j’avais pris soin, après le dîner, de poser une chaise de jardin pour faciliter mon évasion. Ce mur était garni de tuiles à son faîte.