Mais tant qu’il vous verra debout, il aura peur.
C’est avec une sorte de soumission ébahie que Prosper écoutait cet homme, qui, tout en étant l’ami de son père, était pour lui un inconnu.
Sans en avoir la conscience, il subissait l’ascendant d’une nature plus énergique que la sienne. Tout lui manquait, il était heureux de trouver un appui.
– Je suivrai votre conseil, répondit Prosper, après quelques instants de réflexion.
– J’en étais sûr, mon cher ami. Donc, nous faisons la lessive aujourd’hui. Et notez que le produit de la vente nous sera diablement utile. Avez-vous de l’argent ? Non. Il en faut cependant. Je savais si bien vous convaincre, que j’ai fait venir un marchand de meubles ; il prend tout ici, en bloc, pour douze mille francs, les tableaux exceptés.
Malgré lui, le caissier eut un haut-le-corps que remarqua M. Verduret.
– Oui, fit-il, c’est dur, je le sais, mais c’est nécessaire. Écoutez, ajouta-t-il d’un ton qui tranchait avec le reste de la conversation : vous êtes le malade, et je suis le médecin chargé de vous guérir. Si je taille dans le vif, criez, mais laissez-moi tailler. Là est le salut.
– Taillez, monsieur, répondit Prosper, subissant de plus en plus l’ascendant.
– Parfait. Et… passons, car le temps presse… Vous êtes l’ami de monsieur de Lagors ?
– De Raoul ? oui, monsieur, l’ami intime.
– Alors, qu’est-ce que ce particulier ?
La qualification de « particulier » sembla blesser Prosper.
– Monsieur de Lagors, monsieur, répondit-il d’un ton piqué, est le neveu de monsieur Fauvel ; c’est un tout jeune homme, riche, distingué, spirituel, et le meilleur et le plus loyal que je sache.
– Hum ! fit M. Verduret, voilà un mortel orné de bien des qualités, et je suis ravi à l’idée que je vais faire sa connaissance. Car, il faut que je vous l’avoue, je lui ai écrit en votre nom un petit billet pour le prier de venir jusqu’ici, et il a fait répondre qu’il viendrait.
– Quoi ! s’écria Prosper étourdi, vous pouvez supposer…
– Oh ! je ne suppose rien. Seulement, il faut que je voie ce jeune homme. Même, j’ai dans la tête, et je vais vous soumettre un petit plan de conversation…
Un coup de sonnette coupa la parole à M. Verduret.
– Sacrebleu ! dit-il, le voici ; adieu mon plan ! Où me cacher pour entendre et pour voir ?
– Là, dans ma chambre, en laissant la porte ouverte et la portière baissée.
Un second coup de sonnette retentit.
– J’y vais ! j’y vais ! cria le caissier.
– Sur votre vie, Prosper, dit M. Verduret d’un ton à faire pénétrer la conviction dans l’esprit le plus rebelle, sur votre vie, pas un mot à cet homme de vos projets ni de moi. Soyez, pour lui, découragé, faible, hésitant…
Et il disparut pendant que Prosper courait ouvrir à Raoul.
Le portrait de M. de Lagors n’avait pas été flatté par son ami. Jamais plus heureuse physionomie ne fut au service d’un noble caractère.
À vingt-quatre ans, qu’il se donnait, Raoul en paraissait vingt à peine. De taille moyenne, il était admirablement pris. D’abondants cheveux châtain clair bouclaient naturellement autour de son front intelligent. La franchise et la fierté éclataient dans ses grands yeux bleus.
Son premier mouvement fut de se jeter au cou du caissier.
– Pauvre cher ami, disait-il en lui serrant les mains, pauvre cher Prosper !…
Cependant, sous ces démonstrations affectueuses, perçait une certaine contrainte qui, si elle échappait au caissier, devait être remarquée par M. Verduret.
Une fois assis dans le salon :
– Ta lettre, mon ami, poursuivit Raoul, m’a fait un mal affreux. J’ai été épouvanté. Je me suis dit : devient-il fou ? Alors, j’ai tout quitté ; j’accours.
Prosper semblait à peine entendre, préoccupé de cette lettre qu’il n’avait pas écrite. Que lui avait-on fait dire ? Qu’était-ce donc que cet homme dont il avait accepté le concours ?
– Manquerais-tu de courage ? continuait M. de Lagors. Pourquoi désespérer ? À notre âge, il est temps encore de recommencer sa vie.
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