J’aimerais autant faire le coup sans lui ; il a l’air de vouloir lâcher…

– Vous ai-je dit quelque chose sur ce que vous aviez à faire ? C’est le tour de Jimmie ; c’est son « coup ». S’il descend le type sans l’aide de votre revolver, laissez-le ; vous êtes là au cas où il s’énerverait et où Shaun lui tirerait dessus. Ce n’est pas vous qui l’emmenez, c’est lui qui vous emmène. Compris ? »

O’Hara était froissé. « Ça va, » fit-il.

Il tenta vainement de se reprendre, puis, devant son insuccès, se retira humilié.

« C’est un bavard, mais il n’a pas tort, dit Angelo. Le « coup » est trop fort pour Mac Grath. Si vous voulez lui donner de l’expérience, essayez-le dans une affaire moins sérieuse. »

Tony secoua la tête :

« Non, il n’est pas encore « dedans » ; c’est la seule manière de l’« y » faire entrer. Jusqu’à ce que Jimmie soit obligé de surveiller chacun de ses pas, jusqu’à ce qu’il sache que l’un des « Tireurs » de Mike est toujours là, l’attendant, le guettant, il ne saura pas ce qu’est notre métier.

– Je ne suis pas de votre avis. Enfin, laissons cela… J’espère que le « coup » marchera quand même. »

Tony avait beaucoup d’occupations en ville, toutes réclamant sa présence à toute heure : dépôts, bureaux, laboratoires, brasseries, maisons diverses dont il est plus difficile de parler. Entre six heures et neuf, Minn Lu demeurait seule, s’ennuyant plus ou moins, en sorte que l’arrivée de Jimmie fut pour elle plus qu’une distraction. Elle l’aimait bien ; il était si différent de tout ce qu’elle avait connu depuis sa sortie du collège ! Le maître d’hôtel, Kiki, venait justement d’annoncer sa visite. Posant la broderie de soie, elle courut à lui.

« J’ai cru que vous ne reviendriez jamais, » commença-t-elle ; puis, voyant sa figure, elle s’arrêta. Il était pâle, contracté, son regard était glacé ; elle ne l’avait jamais vu ainsi.

« Vous n’êtes pas bien, Jimmie ?

– Si, ça va, Minn Lu ; je voulais avoir un bout de conversation avec vous. »

Elle sourit, désignant une chaise.

« Une longue conversation, Jimmie, Tony ne sera pas de retour avant dix heures.

– D’ici dix heures, pensa-t-il, la direction de ma vie aura entièrement changé.

– Si quelque chose m’arrivait, Minn Lu, fit-il, j’aurais voulu que vous sachiez ce que vous êtes aujourd’hui pour moi… la place immense que vous avez prise dans ma vie… Cela peut vous paraître bien pauvre et manquer de sincérité, mais devant Dieu, c’est la vérité même. Il y a des gens qui pourraient penser que je suis fou d’éprouver ce sentiment ; je sais tant de choses sur vous et Perelli ! Vous n’êtes pas mariés, n’est-ce pas ? »

Elle secoua la tête.

« Naturellement, je le savais, poursuivit-il. Je ne pourrais pas vous offrir grand-chose ; dans le métier, je ne suis qu’un amateur… »

Il y eut un silence. « Mais, voyons, Jimmie, que voulez-vous dire si quelque chose vous arrive ?… » Elle s’efforça de sourire.

« Oh ! vous savez, dans ce genre d’affaires, on est là un jour… et parti le lendemain…

– Pourquoi disparaîtriez-vous demain ? »

Ses grands yeux graves ne le quittaient pas.

« Il va donc se passer quelque chose de terrible cette nuit ? »

Il ouvrit la bouche pour répondre, mais il changea d’idée et hocha la tête.

« Non… c’est tout, Minn Lu. »

Il se leva brusquement.

« Vous partez ? » fit-elle, surprise.

Pour toute réponse, ne pouvant plus lui dire ce qu’il voulait, d’une voix normale dont le contrôle lui échappait, il lui prit la main, la serra un peu dans la sienne, puis la baisa.

Le garage était tout près, à quelques maisons de là. Il s’y rendit à pied, demanda la voiture de Conn sans mentionner le nom, car pour tout ce qui concernait le garage et les voitures, O’Hara avait un autre nom ; une main désigna la voiture. Ce fut tout. Il n’avait pas toute sa tête à lui lorsqu’il ouvrit la portière. « L’autre porte, » siffla une voix, et le visage d’O’Hara surgit de dessous une couverture sous laquelle il était étendu tout au fond.

Jimmie sortit. La rue était humide et glissante. En cinq minutes il fut sur la Michigan Avenue. Une auto le croisa lentement ; le rayon d’une puissante lampe électrique dirigée sur lui l’éblouit complètement.

« Qu’est-ce que je vous disais, Jimmie ? »

Conn O’Hara sortit de sa couverture :

« Ils me cherchaient ; si j’avais été à vos côtés, ils auraient pointé la mitrailleuse et alors, « adieu, Chicago ! »

Arrivés aux faubourgs de la ville, une seconde voiture les croisa ; une seconde fois la lumière d’une lampe électrique éclaira violemment la figure de Jimmie et s’y posa quelques secondes.

« C’est Shaun, dit Conn à voix basse. Mike ne sait pas qu’il vous rencontre ici ce soir, sans quoi je vous garantis qu’il n’aurait pas été loin. »

Ils parvinrent au lieu du rendez-vous, un petit boulevard désert ; au coin, une maison en construction, entourée d’une barrière. Le cœur de Jimmie battait à se rompre. Il se demanda si Shaun viendrait en voiture. Il espérait qu’il serait entouré de Tireurs, avec une mitrailleuse et tout ce qu’il faudrait pour anéantir l’horrible impression de ce qu’il allait faire.

Mais, quoi qu’il arrivât, Shaun devait être tué. L’ennemi de Perelli devait, quoi qu’il lui en coûtât, être rayé par ses soins du nombre des vivants.

« Pouvez-vous distinguer quelque chose, garçon ? demanda la voix étouffée de Conn.

– Rien. »

Une femme passa, portant un panier. Puis une silhouette s’approcha, marchant vite, utilisant les parties couvertes d’ombre ; Jimmie faillit s’évanouir en la reconnaissant.

Il sortit de la voiture, tenant son revolver armé derrière son dos.

« Est-ce vous, Jimmie ? »

Et Shaun O’Donnell s’approcha rapidement de lui.

« Écoutez, garçon, je ne puis vous accorder que quelques minutes ; il y a du grabuge en ville et… »

Jimmie essaya de pointer son pistolet ; il le dirigea devant lui et tira enfin ; le premier coup manqua le but. Il tira encore… Shaun O’Donnell, appuyé à la barrière, cherchait son pistolet.

« Vous !… »

Trois détonations rapides tonnèrent aux oreilles mêmes de Jimmie.