Vous ne le tuerez pas, parce que je le défends. J'ai idée, d'ailleurs, que vous n'allez pas rester ici plus longtemps, à laisser pendre vos langues comme si vous étiez quelqu'un, au lieu d'être des chiens que je chasse… ainsi… Allez !

Le feu brûlait furieusement au bout de la branche, et Mowgli frappait de droite et de gauche autour du cercle, et les loups s'enfuyaient en hurlant sous les étincelles qui brûlaient leur fourrure. À la fin, il ne resta plus que le vieil Akela, Bagheera et peut-être dix loups qui avaient pris le parti de Mowgli. Alors, Mowgli commença de sentir quelque chose de douloureux au fond de lui-même, quelque chose qu'il ne se rappelait pas avoir jamais senti jusqu'à ce jour ; il reprit haleine et sanglota, et les larmes coulèrent sur son visage.

— Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que c'est ? dit-il. Je n'ai pas envie de quitter la Jungle… et je ne sais pas ce que j'ai. Vais-je mourir, Bagheera ?

— Non, Petit Frère. Ce ne sont que des larmes, comme il arrive aux hommes, dit Bagheera. Maintenant, je vois que tu es un homme, et non plus un petit d'homme. Oui, la Jungle t'est bien fermée désormais… Laisse-les couler, Mowgli. Ce sont seulement des larmes.

Alors Mowgli s'assit et pleura comme si son cœur allait se briser ; il n'avait jamais pleuré auparavant, de toute sa vie.

— À présent, dit-il, je vais aller vers les hommes. Mais d'abord il faut que je dise adieu à ma mère.

Et il se rendit à la caverne où elle habitait avec Père Loup, et il pleura dans sa fourrure, tandis que les autres petits hurlaient misérablement.

— Vous ne m'oublierez pas, dit Mowgli.

— Jamais, tant que nous pourrons suivre une piste ! dirent les petits. Viens au pied de la colline quand tu seras un homme, et nous te parlerons ; et nous viendrons dans les labours pour jouer avec toi la nuit.

— Reviens bientôt ! dit Père Loup. O sage petite Grenouille ; reviens-nous bientôt, car nous sommes vieux, ta mère et moi.

— Reviens bientôt ! dit Mère Louve, mon petit tout nu ; car, écoute, enfant de l'homme, je t'aimais plus que je n'ai jamais aimé les miens.

— Je reviendrai sûrement, dit Mowgli ; et quand je reviendrai, ce sera pour étaler la peau de Shere Khan sur le Rocher du Conseil. Ne m'oubliez pas ! Dites-leur, dans la Jungle, de ne jamais m'oublier !

L'aurore commençait à poindre quand Mowgli descendit la colline tout seul, en route vers ces êtres mystérieux qu'on appelle les hommes.

* * *

Chanson de chasse du clan de Seeonee

À la pointe de l'aube, un sambhur meugla —

Un, deux, puis encore !

Un daim bondit, un daim bondit à travers

Les taillis de la mare où boivent les cerfs.

Moi seul, battant le bois, j'ai vu cela, —

Un, deux, puis encore !

À la pointe de l'aube un sambhur meugla —

Un, deux, puis encore !

À pas de veloux, à pas de veloux,

Va porter la nouvelle au clan des loups,

Cherchez, trouvez, et puis de la gorge tous !

Un, deux, puis encore !

À la pointe de l'aube le clan hurla —

Un, deux, puis encore !

Pied qui, sans laisser de marque, fuit,

Œil qui sait percer la nuit — la nuit !

Donnez de la voix ! Écoutez le bruit !

Un, deux, puis encore !

La chasse de Kaa

(Kaa's Hunting)

Ses taches sont l'orgueil du léopard, ses cornes du buffle sont l'honneur —

Sois net, car à l'éclat de la robe on connaît la force du chasseur.

Que le sambhur ait la corne aiguë, et le taureau les muscles puissants —

Ne prends pas le soin de nous l'apprendre : on savait cela depuis dix ans.

Ne moleste jamais les petits d'autrui, mais nomme-les Sœur et Frère —

Sans doute ils sont faibles et balourds, mais peut-être que l'Ourse est leur mère.

La jeunesse dit : « Qui donc me vaut ! » en l'orgueil de son premier gibier —

Mais la jungle est grande et le jeune est petit. Il doit se taire et méditer.

Maximes de Baloo.

* * *

Tout ce que nous allons dire ici arriva quelque temps avant que Mowgli eût été banni du Clan des Loups de Seeonee, ou se fût vengé de Shere Khan, le Tigre.

En ces jours-là, Baloo lui enseignait la Loi de la Jungle. Le grand Ours brun, vieux et grave, se réjouissait d'un élève à l'intelligence si prompte ; car les jeunes loups ne veulent apprendre de la Loi de la Jungle que ce qui concerne leur Clan et leur tribu, et décampent dès qu'ils peuvent répéter le refrain de chasse : « Pieds qui ne font pas de bruit ; yeux qui voient dans l'ombre ; oreilles tendues au vent, du fond des cavernes, et dents blanches pour mordre : qui porte ces signes est de nos frères, sauf Tabaqui le Chacal et l'Hyène, que nous haïssons. » Mais Mowgli, comme petit d'homme, en dut apprendre bien plus long.

Quelquefois Bagheera, la Panthère Noire, venait en flânant au travers de la Jungle, voir ce que devenait son favori, et restait à ronronner, la tête contre un arbre, pendant que Mowgli récitait à Baloo la leçon du jour. L'enfant savait grimper presque aussi bien qu'il savait nager, et nager presque aussi bien qu'il savait courir ; aussi Baloo, le Docteur de la Loi, lui apprenait-il les Lois des Bois et des Eaux : à distinguer une branche pourrie d'une branche saine ; à parler poliment aux abeilles sauvages quand il rencontrait par surprise un de leurs essaims à cinquante pieds au-dessus du sol ; les paroles à dire à Mang, la Chauve-Souris, quand il la dérangeait dans les branches au milieu du jour ; et la façon d'avertir les serpents d'eau dans les mares avant de plonger au milieu d'eux. Dans la Jungle, personne n'aime à être dérangé, et on y est toujours prêt à se jeter sur l'intrus.

En outre, Mowgli apprit également le cri de chasse de l'Étranger, qu'un habitant de la Jungle, toutes les fois qu'il chasse hors de son terrain, doit répéter à voix haute jusqu'à ce qu'il ait reçu réponse. Traduit, il signifie : « Donnez-moi liberté de chasser ici, j'ai faim » ; la réponse est : « Chasse donc pour ta faim, mais non pour ton plaisir. »

Tout cela vous donnera une idée de ce qu'il fallait à Mowgli apprendre par cœur : et il se fatiguait beaucoup d'avoir à répéter cent fois la même chose. Mais, comme Baloo le disait à Bagheera, un jour que Mowgli avait reçu la correction d'un coup de patte et s'en était allé bouder :

— Un petit d'homme est un petit d'homme, et il doit apprendre toute… tu entends bien, toute la Loi de la Jungle.

— Oui, mais pense combien il est petit, dit la Panthère Noire, qui aurait gâté Mowgli si elle avait fait à sa guise. Comment sa petite tête peut-elle garder tous tes longs discours ?

— Y a-t-il quelque chose dans la Jungle de trop petit pour être tué ? Non, c'est pourquoi je lui enseigne ces choses, et c'est pourquoi je le corrige, oh ! très doucement, lorsqu'il oublie.

— Doucement ! Tu t'y connais, en douceur, vieux Pied de fer, grogna Bagheera. Elle lui a joliment meurtri le visage, aujourd'hui, ta… douceur. Fi !

— J'aime mieux le voir meurtri de la tête aux pieds par moi qui l'aime, que mésaventure lui survenir à cause de son ignorance, répondit Baloo avec beaucoup de chaleur. Je suis en train de lui apprendre les Maîtres Mots de la Jungle appelés à le protéger auprès des oiseaux, du Peuple Serpent, et de tout ce qui passe sur quatre pieds, sauf son propre Clan. Il peut maintenant, s'il veut seulement se rappeler les mots, se réclamer de toute la Jungle. Est-ce que cela ne vaut pas une petite correction ?

— Eh bien ! en tout cas, prends garde à ne me point tuer mon Petit d'Homme. Ce n'est pas un tronc d'arbre bon à aiguiser tes griffes émoussées. Mais quels sont ces Maîtres Mots ? Il me convient plutôt d'accorder aide que d'en demander. — Bagheera étira une de ses pattes pour en admirer les griffes, dont l'acier bleu s'aiguisait au bout comme un ciseau à froid. — Toutefois, j'aimerais savoir.

— Je vais appeler Mowgli pour qu'il te les dise, s'il est disposé. Viens, Petit Frère !

— Ma tête sonne comme un arbre à frelons, dit une petite voix maussade au-dessus de leurs têtes.

Et Mowgli se laissa glisser le long d'un tronc d'arbre.