Il prit la lettre (raconte Macconochie), l’ouvrit, la parcourut en pinçant les lèvres comme pour siffler, et la mit dans sa ceinture. Son cheval fit un écart ; elle tomba sans qu’il s’en aperçût, et Macconochie la ramassa par terre : il l’a toujours gardée, et je l’ai vue entre ses mains. Des nouvelles, pourtant, arrivaient à Durrisdeer, par cette rumeur publique qui va se répandant à travers un pays, – ce qui m’a toujours émerveillé. Par ce moyen, la famille en sut davantage concernant la faveur du Maître auprès du Prince, et sur quel pied il était censé être. Par une condescendance singulière chez un homme aussi orgueilleux – mais plus ambitieux encore – il avait, paraît-il, gagné de la notoriété en flagornant les Irlandais. Sir Thomas Sullivan, le colonel Burke, et les autres, étaient ses amis de chaque jour, et il s’éloignait de plus en plus de ses compatriotes. Il prenait part à la fomentation des moindres intrigues ; il raillait Lord George[10] sur mille détails ; toujours de l’avis qui semblait bon au Prince, bon ou mauvais, il n’importe. En somme, – joueur comme il ne cessa de l’être toute sa vie, – il se souciait moins du succès de la campagne que de la haute faveur où il pouvait aspirer, au cas où par chance elle réussirait. D’ailleurs, il se comporta fort bien sur le champ de bataille ; personne ne le contestait, car il n’était pas lâche.

Ensuite vinrent les nouvelles de Culloden, apportées à Durrisdeer par un des fils de tenanciers, – l’unique survivant, affirmait-il, de tous ceux qui étaient partis en chantant sur la colline. Par un malheureux hasard, John-Paul et Macconochie avaient, le matin même, découvert la guinée – origine de tout le mal – enfoncée dans un buisson de houx. Ils s’en étaient allés « haut le pied » comme disaient les serviteurs à Durrisdeer, chez le changeur ; et il leur restait peu de chose de la guinée, mais encore moins de sang-froid. Aussi John-Paul ne s’avisa-t-il pas de se précipiter dans la salle où la famille était en train de dîner, en s’écriant que « Tam Macmorland venait d’arriver et – hélas ! hélas ! – il ne restait plus personne pour venir après lui ! »

Ils accueillirent ces paroles avec un silence de condamnés. Seulement, Mr. Henry se mit la main devant le visage, et Miss Alison cacha entièrement sa tête entre ses bras étendus sur la table. Quant à Mylord, il était couleur de cendre.

– J’ai encore un fils, dit-il. Oui, Henry, et je vous rends cette justice : c’est le meilleur qui reste.

C’était là une chose singulière à dire en pareil temps ; mais Mylord se souvenait toujours des paroles de Mr. Henry, et il avait sur la conscience des années d’injustice. C’était néanmoins une chose singulière, et plus que Miss Alison n’en pouvait supporter. Elle éclata, blâmant Mylord pour ce mot dénaturé, et Mr. Henry parce qu’il était assis là en sécurité, alors que son frère était mort, et elle-même parce qu’elle avait parlé durement à son fiancé lorsqu’il était parti, l’appelant à présent la fleur des hommes, se tordant les mains, protestant de son amour, et criant son nom à travers ses larmes, – au point que les serviteurs en demeuraient stupéfaits.

Mr. Henry se leva, tenant toujours sa chaise. C’était à son tour d’être couleur de cendre.

– Oh ! s’écria-t-il soudain. Je sais combien vous l’aimiez.

– Tout le monde le sait, grâce à Dieu ! s’exclama-t-elle ; puis, à Mr. Henry : – Il n’y a personne autre que moi à savoir une chose, c’est que vous le trahissiez du fond du cœur.

– Dieu sait, gémit-il, ce fut de l’amour perdu des deux côtés.

Après cette scène, le temps s’écoula sans amener grand changement dans le château, sauf qu’ils étaient désormais trois au lieu de quatre, ce qui leur rappelait sans cesse leur perte. L’argent de Miss Alison était grandement nécessaire pour le domaine, et, l’un des frères étant mort, Mylord résolut bientôt qu’elle épouserait l’autre. Jour après jour, il agissait sur elle, assis au coin du feu, le doigt dans un livre latin, et les yeux fixés sur son visage avec une sorte d’attention aimable qui seyait fort bien au vieux gentilhomme. Pleurait-elle, il la consolait comme un vieillard qui a vu de pires temps, et qui commence à ne plus faire grand cas même du chagrin. S’irritait-elle, il se remettait à lire dans son livre latin, mais toujours en s’excusant avec politesse. Offrait-elle – comme elle le faisait souvent – de leur faire donation de tous ses biens, il lui démontrait combien cela s’accordait peu avec son honneur à lui, et lui rappelait que même si elle y consentait, Mr. Henry refuserait à coup sûr. Non vi sed saepe cadendo[11] , tel était son mot favori ; et nul doute que cette persécution débonnaire n’emportât beaucoup de sa résolution ; nul doute encore qu’il n’eût sur la demoiselle une grande influence, car il avait servi de père et de mère ; et, sur ce point, elle-même était pleine de l’esprit des Duries, et aurait fait beaucoup pour la gloire de Durrisdeer, sauf toutefois, je pense, d’épouser mon pauvre maître, n’eût été – assez singulièrement – le fait de son extrême impopularité.

Celle-ci fut l’œuvre de Tam Macmorland. Tam n’était guère méchant ; mais il avait une fâcheuse faiblesse : la langue trop longue ; puis, en sa qualité de seul homme du pays qui fût parti – ou plutôt qui fût revenu –, les auditeurs ne lui manquaient pas. Ceux qui ont eu le dessous dans une lutte, je l’ai remarqué, tiennent toujours à se persuader qu’on les a trahis. D’après le récit de Tam, les rebelles avaient été trahis à tout bout de champ et par chacun de leurs officiers : trahis à Derby, trahis à Falkirk ; la marche de nuit fut un coup de traîtrise de Mylord George ; la bataille de Culloden fut perdue par la trahison des Macdonalds. Cette habitude d’accuser de trahison se développa chez l’imbécile, au point qu’il finit par y faire entrer Mr.