Il pourra m'être utile puisqu'il a de bons yeux et sait rester éveillé pendant la nuit. »

Le garçon, ce jour-là, était d'humeur bougonne et lorsqu'il entendit Akka parler ainsi, il se redressa autant que sa petite taille le lui permettait et il s'avança, les mains dans le dos et le nez en l'air, bien décidé à dire qu'il était hors de question qu'il se lançât dans un combat contre les rats gris. Qu'elle devait aller chercher de l'aide ailleurs.

Mais à peine le garçon s'était-il montré que la cigogne frémit. Jusque-là, comme toutes les cigognes, elle était restée tête basse et le bec plaqué le long du cou. Mais elle proféra alors une sorte de gargouillis au fond de sa gorge, comme un rire, elle lança son bec dans un mouvement fulgurant, saisit le garçon et le projeta à plusieurs mètres de hauteur. Sept fois elle le rattrapa et le relança ainsi, tandis que le garçon hurlait et que les oies criaient : « Que faites-vous, monsieur Ermenrich ? Ce n'est pas une grenouille. C'est un homme, monsieur Ermenrich ! »

La cigogne finit par poser le garçon par terre sain et sauf, et dit à Akka : « Maintenant, il est temps que je retourne à Glimmingehus, mère Akka. Tous ses habitants étaient très inquiets quand je suis partie. Soyez certaine qu'ils se réjouiront d'apprendre qu'Akka, l'oie sauvage, et Poucet, le petit d'homme, vont venir les sauver. »

Sur ces mots, la cigogne tendit le cou, ouvrit les ailes et s'envola comme une flèche qui quitte un arc tendu à l'extrême. Akka comprit que monsieur Ermenrich s'était moqué d'elle mais elle ne le montra pas. Elle attendit que le garçon ramassât les sabots qu'il avait perdus dans ses cabrioles, puis elle le hissa sur son dos et s'envola sur les traces de la cigogne. Le garçon, quant à lui, ne résista pas et n'essaya pas de protester. Il était si fâché contre la cigogne qu'il en reniflait de colère. Cette espèce de volatile à pattes rouges l'imaginait bon à rien à cause de sa' taille, mais il allait lui montrer de quoi Nils Holgersson de Vâstra Vemmenhôg était capable.

Quelques instants plus tard, Akka se posa dans le nid de la cigogne sur le faîte de Glimmingehus. Un grand nid magnifique installé sur une roue et constitué de plusieurs couches de branchages et de touffes d'herbe. Le nid était si vieux que des plantes avaient pris racine là-haut et que, lorsque la mère cigogne couvait ses œufs dans le trou creusé au milieu du nid, elle pouvait non seulement jouir d'une vue superbe sur une bonne partie de la Scanie mais du spectacle des fleurs d'églantier et de joubarbe.

Akka et le garçon virent immédiatement qu'un événement était en train de bouleverser le cours habituel des choses. Sur le bord du nid, en un rassemblement d'ordinaire peu pacifique, étaient en effet posées deux hulottes, un vieux chat rayé de gris et une douzaine d'ancêtres rats aux dents difformes et aux yeux chassieux.

Aucun d'entre eux ne se retourna pour regarder Akka ou lui souhaiter la bienvenue. Tous n'étaient préoccupés que par ces quelques lignes grises qui, çà et là, traversaient les champs dénudés par l'hiver.

Les rats noirs se taisaient, visiblement accablés parce qu'ils se rendaient compte qu'ils ne sauraient défendre ni leurs vies ni le château. Les deux hulottes roulaient des yeux, faisaient frémir leurs lunettes de plumes et parlaient de leurs voix sinistres et rocailleuses de la grande cruauté des rats gris qui allaient les obliger à abandonner leurs nids, puisqu'on racontait qu'ils n'épargnaient ni les œufs ni les oisillons duveteux. Le vieux chat à rayures grises était certain que les rats gris allaient le tuer à coups de dents dès qu'ils investiraient le château, et il ne cessait de maugréer contre les rats noirs.

— Comment avez-vous pu être assez bêtes pour laisser partir vos meilleurs guerriers ? disait-il. Comment avez-vous pu avoir confiance en ces rats gris ? C'est une erreur impardonnable.

Les douze rats noirs ne répliquèrent pas mais la cigogne, malgré son chagrin, ne put s'empêcher d'ironiser : «Ne t'inquiète pas, Maou-chat, dit-elle. Ne vois-tu pas que mère Akka et Poucet sont venus sauver le château ? Ils réussiront, sois sans crainte. Maintenant, il est temps que je dorme, et sache que je le fais en toute quiétude. Demain, quand je me réveillerai, Glimmingehus sera débarrassé des rats gris. »

Le garçon adressa un clin d'œil à Akka pour lui faire comprendre qu'il avait l'intention de pousser, histoire de la faire tomber par terre, la cigogne qui se disposait à dormir au bord de son nid, une patte relevée. Mais Akka l'en empêcha, sans avoir l'air fâchée pourtant ; au contraire, elle dit d'un ton satisfait : « Ce serait malheureux si à mon âge on ne savait pas se tirer d'une affaire aussi simple que celle-ci. Si seulement vous deux, père hulotte et mère hulotte, qui savez veiller toute la nuit, pouviez prendre l'air et porter quelques messages de ma part, je suis sûre que tout ira bien. »

Les deux chouettes étant d'accord, Akka demanda au père hulotte de filer rattraper les rats noirs en chemin pour leur dire de revenir immédiatement. Puis elle demanda à la mère hulotte de rejoindre Flamméa, la chouette effraie qui logeait dans la cathédrale de Lund, et Akka osa à peine lui murmurer le message qu'elle lui confia tant il était secret.

Le charmeur de rats

Minuit approchait lorsque les rats gris, après avoir longuement cherché, découvrirent un soupirail laissé ouvert. Il était placé en hauteur mais les rats grimpèrent les uns sur les autres et, en peu de temps, le plus courageux d'entre eux fut sur le rebord, prêt à pénétrer dans Glimmingehus, devant lequel tant de ses ancêtres étaient tombés.

Le rat gris, qui s'attendait à se faire attaquer, resta un moment immobile dans le soupirail. Il savait que le gros des défenseurs était absent mais il supposait que les rats noirs demeurés dans le château ne se rendraient pas sans combattre. Le cœur battant, il épia les moindres bruits, mais tout restait silencieux. Alors, le chef des rats gris rassembla son courage et sauta à l'intérieur de la cave, droit dans l'obscurité complète.

L'un après l'autre, les rats gris suivirent leur chef et tous encore s'attendaient à une riposte des rats noirs.