Et chaque fois qu'il s'arrête il aspire du bas une colonne tourbillonnante de petits points gris, comme des grains de poussière. Et ainsi il enfle et enfle encore et lorsqu'il est enfin gonflé au possible, il se dirige vers Kullaberg. Il ne s'agit plus d'un petit nuage mais d'un énorme, qui emplit le ciel, qui étend son ombre sur la terre de Hôganâs jusqu'à Molle. Quand il s'immobilise à l'aplomb de l'aire de jeux, il cache le soleil, et une longue pluie d'oiseaux tombe avant que ceux qui volaient au centre du nuage puissent à nouveau voir la lumière du jour.

Mais la plus importante de ces nuées d'oiseaux est pourtant celle qui apparaît maintenant ; elle est formée d'une multitude de vols venus de toute part et qui se sont rassemblés. La nuée est d'un gris de plomb et aucun rayon de soleil ne peut la traverser. Elle vient, aussi sinistre et inquiétante qu'un nuage d'orage, emplie d'un vacarme terrifiant, des cris les plus laids, des rires les plus moqueurs et des croassements les plus funestes. Et autour de l'aire on ne se détend que lorsque cette nuée se dissout en une pluie de battements d'ailes et de croassements de corneilles et de choucas, de corbeaux et de freux.

Puis sur le ciel apparaissent non plus des nuées mais quantité de traits et de signes. Des lignes pointillées s'inscrivent à l'est et au nord-est. Ce sont les oiseaux des forêts du canton de Gôinge : les tétras-lyres et les grands coqs de bruyère qui volent en rangs espacés de quelques mètres. Puis les palmipèdes de Måkläppen, en face de Falsterbo, qui planent au-dessus du détroit en formations bizarres : des triangles et de longs crochets, des virgules et des demi-cercles.

L'année où Nils Holgersson voyageait avec les oies sauvages, Akka et sa bande arrivèrent plus tard que tous les autres à la grande assemblée. Rien d'étonnant à cela puisque Akka avait été obligée de faire un crochet vers l'ouest de la Scanie pour rejoindre Kullaberg. Sans compter qu'à peine réveillée elle avait dû partir à la recherche de Poucet qui, des heures durant, avait marché en jouant de son cornet pour éloigner les rats de Glimmingehus. Le père hulotte était revenu annoncer que les rats noirs seraient de retour un peu après le lever du soleil et il était désormais possible de cesser de jouer et de laisser les rats gris s'éparpiller librement.

Mais ce ne fut pas Akka qui découvrit le garçon marchant en tête de sa longue troupe, ni qui plongea à toute allure sur lui, le saisit par le bec et le remonta dans les airs, ce fut M. Ermenrich, la cigogne. Car M. Ermenrich lui aussi s'était lancé à sa recherche et, lorsqu'il l'eut déposé dans son nid, il lui demanda de lui pardonner son irrévérence de la veille au soir.

Le garçon fut comblé, et la cigogne et lui devinrent de bons amis. Akka aussi fit preuve de gentillesse à son égard, plusieurs fois elle frotta sa tête contre le bras du garçon et le félicita d'avoir aidé ceux qui étaient en détresse.

Mais il faut dire pour l'honneur du garçon qu'il refusa ces éloges qu'il ne méritait pas.

— Non, mère Akka, dit-il. Ne vous imaginez pas que j'aie entraîné les rats gris loin d'ici pour aider les noirs. Je voulais seulement montrer à M. Ermenrich que j'étais bon à quelque chose.

À peine avait-il fini sa phrase qu'Akka se tourna vers la cigogne et lui demanda si elle estimait sage d'emmener Poucet à Kullaberg.

— Je crois que nous pouvons avoir confiance en lui comme en nous-mêmes, ajouta-t-elle.

Immédiatement, la cigogne acquiesça avec ardeur.

— Bien sûr, que vous devez emmener Poucet à Kullaberg, mère Akka, dit-elle. Puisque nous avons une occasion unique de le récompenser pour tout ce qu'il a enduré cette nuit à cause de nous. D'ailleurs, comme je regrette encore mon comportement impoli d'hier soir, c'est moi qui le porterai sur mon dos jusqu'au lieu de l'assemblée.

Rares sont les choses plus délicieuses que les éloges que l'on reçoit des gens sages et compétents, et jamais le garçon ne s'était senti aussi heureux qu'en entendant l'oie sauvage et la cigogne parler ainsi de lui.

Le garçon fit donc le trajet de Kullaberg sur le dos d'une cigogne mais, bien qu'il sût qu'on lui faisait là un grand honneur, il ne cessa d'être inquiet car M. Ermenrich était expert dans l'art de voler et fendait l'air beaucoup plus vite que les oies. Tandis qu'Akka avançait droit à coups d'ailes réguliers, la cigogne s'amusa à faire un tas d'acrobaties. Tantôt elle restait immobile à une hauteur incroyable et planait sans remuer les ailes, tantôt elle se précipitait vers le sol à une vitesse telle qu'on aurait dit qu'elle allait s'y écraser comme une pierre ; d'autres fois et pour s'amuser elle décrivait de larges cercles tourbillonnant autour d'Akka. Jamais le garçon n'avait vécu quoi que ce fût de semblable et, malgré sa terreur, il dut reconnaître que jusque-là il n'avait pas su ce que signifiait un joli vol.

Ils ne s'arrêtèrent qu'une fois durant le trajet, lorsque au bord du lac de Vomb Akka rejoignit ses camarades et leur annonça que les rats gris avaient été vaincus. Puis tous reprirent leur vol vers Kullaberg.

Là, ils s'installèrent sur le sommet de la hauteur réservée aux oies sauvages et le garçon, parcourant les autres buttes du regard, vit sur la crête de l'une d'elles se dessiner les bois largement ramifiés des cerfs, et sur une autre les huppes des grues cendrées. Une butte était rouge de renards, une autre noire et blanche d'oiseaux de mer, une autre encore grise de rats. L'une était couverte de corbeaux noirs qui criaient continuellement, une autre d'alouettes incapables de se tenir tranquilles et qui sans cesse se lançaient en l'air et chantaient leur bonheur.

Selon la coutume inchangée de Kullaberg, les corneilles commencèrent les jeux et plaisanteries de la journée par leur danse en vol. Elles s'élevèrent en deux bandes qui ensuite se rencontrèrent, firent demi-tour puis recommencèrent.