Il regarda et regarda encore mais il ne voulut pas en croire ses yeux. Car ce qui au début avait eu l'air d'une ombre était devenu de plus en plus net et, bientôt, il lui fallut admettre qu'il s'agissait de quelque chose de réel. Un tomte, oui, un tomte, était assis à califourchon sur le bord du coffre.
Le garçon avait bien sûr déjà entendu parler des tomtes, mais jamais il n'avait imaginé qu'ils puissent être si petits. Celui qui était assis sur le bord du coffre n'était pas plus haut que la largeur d'une main. Son visage était vieux, ridé, imberbe, et il était vêtu d'un long manteau noir, d'une culotte courte et d'un chapeau noir à large bord. Il faisait très propret et soigné avec ses dentelles blanches autour du cou et des poignets, des boucles sur ses souliers et des jarretières nouées en rosettes. Il avait sorti du coffre un plastron brodé et admirait l'ouvrage d'autrefois avec un tel recueillement qu'il ne remarqua pas que le garçon s'était réveillé.
Le garçon fut plutôt étonné de voir là ce tomte, mais il n'eut pas particulièrement peur. Comment avoir peur de quelqu'un d'aussi petit ? Et comme ce tomte paraissait si absorbé par ses affaires qu'il en avait perdu la vue et l'ouïe, le garçon se dit qu'il serait amusant de lui jouer un tour : de le bousculer dans le coffre et refermer le couvercle sur lui ou quelque chose de ce genre.
Mais le garçon n'était quand même pas suffisamment courageux pour toucher le tomte de ses mains, et il chercha des yeux quelque chose dans la maison qui pourrait lui servir à le pousser. Ses yeux allèrent de la banquette à couvercle à la table à battants, puis de la table à battants au fourneau. Ils montèrent vers les marmites et la cafetière posées sur une étagère à côté du fourneau, descendirent sur le seau à eau près de la porte et de la passèrent aux louches, aux couteaux, aux fourchettes, aux plats et aux assiettes qu'on voyait par la porte entrouverte du placard. Il regarda le fusil de papa suspendu au mur à côté des portraits des rois du Danemark2, puis les géraniums et les fuchsias qui fleurissaient à la fenêtre. Et, pour finir, son regard tomba sur un vieux filet à mouches suspendu dans l'encoignure de la fenêtre.
À peine avait-il aperçu le filet qu'il l'attrapa, se leva d'un bond et le fit glisser le long du coffre. Et lui-même fut surpris de sa chance. Il n'aurait su dire comment il y était arrivé mais le tomte était pris. Le pauvre gigotait au fond du filet, la tête en bas, et incapable de s'en sortir.
Au début, le garçon se demanda ce qu'il allait faire de sa capture. Il balançait seulement le filet de droite et de gauche, histoire de ne pas laisser au tomte un moment de répit qui lui permettrait de grimper.
Le tomte se mit à parler et le supplia de toute son âme de le relâcher. Depuis des années il leur rendait de bons services et il méritait meilleur traitement. Si le garçon le relâchait, il lui offrirait une vieille rixdale, une cuillère en argent et une pièce d'or, aussi grande que le boîtier de la montre de gousset en argent de son père.
Le garçon ne trouva pas l'offre très intéressante, par contre, depuis qu'il avait le tomte en son pouvoir, il commençait à avoir peur de lui. Il se rendait compte qu'il venait de s'attaquer à quelque chose d'inconnu et de terrible qui n'appartenait pas à son monde à lui, et il n'avait qu'une envie, se débarrasser de cette diablerie.
Il accepta donc immédiatement l'offre et arrêta d'agiter le filet pour permettre au tomte de remonter. Mais lorsque le tomte fut presque sorti du filet, l'idée vint au garçon qu'il aurait dû exiger des fortunes et toutes sortes de bonnes choses. Qu'il aurait au moins dû demander au tomte de lui faire entrer le sermon dans la tête à l'aide de quelque sortilège. « Que je suis bête de le laisser filer ! », pensa-t-il et il se remit à secouer le filet pour faire basculer le tomte au fond.
Mais au moment même où le garçon commençait cela, il reçut une gifle si épouvantable qu'il crut que sa tête allait éclater. Il alla heurter un mur, puis un autre et, pour finir, il s'écroula par terre, où il resta étendu sans connaissance.
Quand il revint à lui il se trouvait seul dans la maison et ne voyait pas trace du tomte. Le couvercle du coffre était fermé et le filet à mouches suspendu à sa place habituelle contre la fenêtre. S'il n'avait pas encore ressenti sur sa joue droite la brûlure de la gifle, il aurait été tenté de croire que tout cela n'avait été qu'un rêve. «En tout cas, papa et maman ne manqueront pas de dire que c'en était un, pensa-t-il, Et ils n'abrégeront pas le sermon pour cause de tomte. Il vaut mieux que je me remette à la lecture. »
Mais lorsqu'il voulut se diriger vers la table, il remarqua quelque chose d'étrange. La maison ne pouvait pas avoir grandi comme ça ! Mais alors, pourquoi fallait-il beaucoup plus de pas que d'habitude pour arriver à la table ? Et qu'était-il arrivé au fauteuil ? Il n'avait pas l'air plus grand que tout à l'heure, mais pour atteindre le siège il lui fallut d'abord se hisser sur la barre transversale entre les pieds. Et même chose pour la table. Impossible de regarder sur la table s'il ne montait pas d'abord sur l'accoudoir.
— Mais, bon sang, qu'est-ce que tout cela signifie ? s'exclama le garçon.
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