STANGERSON. – J’en suis sûr. Je n’ai aucun soupçon de ce côté.

D. – Mademoiselle, quand vous avez pénétré dans votre chambre, vous avez immédiatement fermé votre porte à clef et au verrou ?

Voilà bien des précautions, sachant que votre père et votre serviteur sont là. Vous craigniez donc quelque chose ?

R. – Mon père n’allait pas tarder à rentrer au château, et le père Jacques, à aller se coucher. Et puis, en effet, je craignais quelque chose.

D. – Vous craigniez si bien quelque chose que vous avez emprunté le revolver du père Jacques sans le lui dire ?

R. – C’est vrai, je ne voulais effrayer personne, d’autant plus que mes craintes pouvaient être tout à fait puériles.

D. – Et que craigniez-vous donc ?

R. – Je ne saurais au juste vous le dire ; depuis plusieurs nuits, il me semblait entendre dans le parc et hors du parc, autour du pavillon, des bruits insolites, quelquefois des pas, des craquements de branches. La nuit qui a précédé l’attentat, nuit où je ne me suis pas couchée avant trois heures du matin, à notre retour de l’élysée, je suis restée un instant à ma fenêtre et j’ai bien cru voir des ombres…

D. – Combien d’ombres ?

R. – Deux ombres qui tournaient autour de l’étang… puis la lune s’est cachée et je n’ai plus rien vu. À cette époque de la saison, tous les ans, j’ai déjà réintégré mon appartement du château où je reprends mes habitudes d’hiver ; mais, cette année, je m’étais dit que je ne quitterais le pavillon que lorsque mon père aurait terminé, pour l’académie des sciences, le résumé de ses travaux sur « la Dissociation de la matière ». Je ne voulais pas que cette œuvre considérable, qui allait être achevée dans quelques jours, fût troublée par un changement quelconque dans nos habitudes immédiates. Vous comprendrez que je n’aie point voulu parler à mon père de mes craintes enfantines et que je les aie tues au père Jacques qui n’aurait pu tenir sa langue. Quoi qu’il en soit, comme je savais que le père Jacques avait un revolver dans le tiroir de sa table de nuit, je profitai d’un moment où le bonhomme s’absenta dans la journée pour monter rapidement dans son grenier et emporter son arme que je glissai dans le tiroir de ma table de nuit, à moi.

D. – Vous ne vous connaissez pas d’ennemis ?

R. – Aucun.

D. – Vous comprendrez, mademoiselle, que ces précautions exceptionnelles sont faites pour surprendre.

M. STANGERSON. – Èvidemment, mon enfant, voilà des précautions bien surprenantes.

R. – Non ; je vous dis que, depuis deux nuits, je n’étais pas tranquille, mais pas tranquille du tout.

M. STANGERSON. – Tu aurais dû me parler de cela. Tu es impardonnable. Nous aurions évité un malheur !

D. – La porte de la «Chambre Jaune» fermée, mademoiselle, vous vous couchez ?

R. – Oui, et, très fatiguée, je dors tout de suite.

D. – La veilleuse était restée allumée ?

R. – Oui ; mais elle répand une très faible clarté…

D. – Alors, mademoiselle, dites ce qui est arrivé ?

R.