» – Journal du matin, – 25 juin[19]. « Nous avons reçu une ou deux
communications qui ont pour objet d’imputer à Mennais[20] le crime odieux commis récemment ;
mais, comme ce gentleman a été pleinement disculpé par une enquête
judiciaire, et comme les arguments de nos correspondants semblent
marqués de plus de zèle que de sagacité, nous ne jugeons pas
convenable de les publier. » – Journal du matin, – 28 juin[21] « Nous avons reçu plusieurs
communications assez énergiquement écrites, qui semblent venir de
sources diverses et qui poussent à accepter, comme chose certaine,
que l’infortunée Marie Roget a été victime d’une de ces nombreuses
bandes de coquins qui infestent, le dimanche, les environs de la
ville. Notre propre opinion est décidément en faveur de cette
hypothèse. Nous tâcherons prochainement d’exposer ici quelques-uns
de ces arguments. » – Journal du soir, – Mardi, 31 juin[22]. « Lundi, un des bateliers attachés au
service du fisc a vu sur la Seine un bateau vide s’en allant avec
le courant. Les voiles étaient déposées au fond du bateau. Le
batelier le remorqua jusqu’au bureau de la navigation. Le matin
suivant, ce bateau avait été détaché et avait disparu sans qu’aucun
des employés s’en fût aperçu. Le gouvernail est resté au bureau de
la navigation. » – La Diligence, – Jeudi, 26 juin[23]. En lisant ces différents extraits,
non-seulement il me sembla qu’ils étaient étrangers à la question,
mais je ne pouvais concevoir aucun moyen de les y rattacher.
J’attendais une explication quelconque de Dupin. « Il n’entre pas
actuellement dans mon intention, – dit-il, – de m’appesantir sur le
premier et le second de ces extraits. Je les ai copiés
principalement pour vous montrer l’extrême négligence des agents de
la police, qui, si j’en dois croire le préfet, ne se sont pas
inquiétés le moins du monde de l’officier de marine auquel il est
fait allusion. Cependant il y aurait de la folie à affirmer que
nous n’avons pas le droit de supposer une connexion entre la
première et la seconde disparition de Marie. Admettons que la
première fuite ait eu pour résultat une brouille entre les deux
amants et le retour de la jeune fille trahie. Nous pouvons
considérer un second enlèvement (si nous savons qu’un second
enlèvement a eu lieu) comme indice de nouvelles tentatives de la
part du traître, plutôt que comme résultat de nouvelles
propositions de la part d’un second individu ; nous pouvons
regarder cette deuxième fuite plutôt comme le raccommodage du vieil
amour que comme le commencement d’un nouveau. Ou celui qui s’est
déjà enfui une fois avec Marie lui aura proposé une évasion
nouvelle, ou Marie, à qui des propositions d’enlèvement ont été
faites par un individu, en aura agréé de la part d’un autre ;
mais il y a dix chances contre une pour la première de ces
suppositions ! Et ici, permettez-moi d’attirer votre attention
sur ce fait, que le temps écoulé entre le premier enlèvement connu
et le second supposé ne dépasse que de peu de mois la durée
ordinaire des croisières de nos vaisseaux de guerre. L’amant a-t-il
été interrompu dans sa première infamie par la nécessité de
reprendre la mer, et a-t-il saisi le premier moment de son retour
pour renouveler les viles tentatives non absolument accomplies
jusque-là, ou du moins non absolument accomplies par lui ? Sur
toutes ces choses, nous ne savons rien. « Vous direz peut-être que,
dans le second cas, l’enlèvement que nous imaginons n’a pas eu
lieu. Certainement non ; mais pouvons-nous affirmer qu’il n’y
a pas eu une tentative manquée ? En dehors de Saint-Eustache
et peut-être de Beauvais, nous ne trouvons pas d’amants de Marie,
reconnus, déclarés, honorables. Il n’a été parlé d’aucun autre.
Quel est donc l’amant secret dont les parents (au moins pour la
plupart) n’ont jamais entendu parler, mais que Marie rencontre le
dimanche matin, et qui est entré si profondément dans sa confiance
qu’elle n’hésite pas à rester avec lui, jusqu’à ce que les ombres
du soir descendent, dans les bosquets solitaires de la barrière du
Roule ? Quel est, dis-je, cet amant secret dont la plupart, au
moins, des parents n’ont jamais entendu parler ? Et que
signifient ces singulières paroles de madame Roget, le matin du
départ de Marie : « Je crains de ne plus jamais revoir Marie ?
» « Mais, si nous ne pouvons pas supposer que madame Roget ait eu
connaissance du projet de fuite, ne pouvons-nous pas au moins
imaginer que ce projet ait été conçu par la fille ? En
quittant la maison, elle a donné à entendre qu’elle allait rendre
visite à sa tante, rue des Drômes, et Saint-Eustache a été chargé
de venir la chercher à la tombée de la nuit. Or, au premier coup
d’œil, ce fait milite fortement contre ma suggestion ; mais
réfléchissons un peu. Qu’elle ait positivement rencontré quelque
compagnon, qu’elle ait traversé avec lui la rivière et qu’elle soit
arrivée à la barrière du Roule à une heure assez avancée,
approchant trois heures de l’après-midi, cela est connu. Mais, en
consentant à accompagner ainsi cet individu (dans un dessein
quelconque, connu ou inconnu de sa mère), elle a dû penser à
l’intention qu’elle avait exprimée en quittant la maison, ainsi
qu’à la surprise et aux soupçons qui s’élèveraient dans le cœur de
son fiancé, Saint-Eustache, quand, venant la chercher à l’heure
marquée, rue des Drômes, il apprendrait qu’elle n’y était pas
venue, et quand, de plus, retournant à la pension avec ce
renseignement alarmant, il s’apercevrait de son absence prolongée
de la maison. Elle a dû, dis-je, penser à tout cela. Elle a dû
prévoir le chagrin de Saint-Eustache, les soupçons de tous ses
amis. Il se peut qu’elle n’ait pas eu le courage de revenir pour
braver les soupçons ; mais les soupçons n’étaient plus qu’une
question d’une importance insignifiante pour elle, si nous
supposons qu’elle avait l’intention de ne pas revenir. « Nous
pouvons imaginer qu’elle a raisonné ainsi : « J’ai rendez-vous avec
une certaine personne dans un but de fuite, ou pour certains autres
projets connus de moi seule.
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