Je ne conçois pas sa patience. Vous ne retenez rien de ce qu’il vous dit. Vous n’avancez point… » Alors je rabattais un peu les coups, et hochant de la tête, je disais, « Pardonnez-moi, Madame, pardonnez-moi. Cela pourrait aller mieux, si Mademoiselle voulait ; si elle étudiait un peu ; mais cela ne va pas mal. » La mère : « A votre place, je la tiendrais un an sur la même pièce. – Oh pour cela, elle n’en sortira pas qu’elle ne soit au-dessus de toutes les difficultés ; et cela ne sera pas si long que Madame le croit. » La mère : « Monsieur Rameau, vous la flattez ; vous êtes trop bon. Voilà de sa leçon la seule chose qu’elle retiendra et qu’elle saura bien me répéter dans l’occasion. »– L’heure se passait. Mon écolière me présentait le petit cachet, avec la grâce du bras et la révérence qu’elle avait apprise du maître à danser. Je le mettais dans ma poche, pendant que la mère disait : « Fort bien, Mademoiselle. Si Javillier était là, il vous applaudirait. » Je bavardais encore un moment par bienséance ; je disparaissais ensuite, et voilà ce qu’on appelait alors une leçon d’accompagnement.

MOI. – Et aujourd’hui, c’est donc autre chose.

LUI. – Vertudieu, je le crois. J’arrive. Je suis grave. Je me hâte d’ôter mon manchon. J’ouvre le clavecin. J’essaie les touches. Je suis toujours pressé : si l’on me fait attendre un moment, je crie comme si l’on me volait un écu. Dans une heure d’ici, il faut que je sois là ; dans deux heures, chez madame la duchesse une telle. Je suis attendu à dîner chez une belle marquise ; et au sortir de là, c’est un concert chez monsieur le baron de Bacq, rue Neuve-des-Petits-Champs.

MOI. – Et cependant vous n’êtes attendu nulle part ?

LUI. – Il est vrai.

MOI. – Et pourquoi employer toutes ces petites viles ruses-là ?

LUI. – Viles ? et pourquoi, s’il vous plaît ? Elles sont d’usage dans mon état. Je ne m’avilis point en faisant comme tout le monde. Ce n’est pas moi qui les ai inventées. Et je serais bizarre et maladroit de ne pas m’y conformer. Vraiment, je sais bien que si vous allez appliquer à cela certains principes généraux de je ne sais quelle morale qu’ils ont tous à la bouche, et qu’aucun d’eux ne pratique, il se trouvera que ce qui est blanc sera noir, et que ce qui est noir sera blanc. Mais, monsieur le philosophe, il y a une conscience générale. Comme il y une grammaire générale ; et puis des exceptions dans chaque langue que vous appelez, je crois, vous autres savants, des… aidez-moi donc… des…

MOI. – Idiotismes.

LUI.