– Oh, sans remords. On dit que si un voleur vole l’autre, le diable s’en rie. Les parents regorgeaient d’une fortune acquise, Dieu sait comment ; c’étaient des gens de cour, des financiers, de gros commerçants, des banquiers, des gens d’affaires. le les aidais à restituer, moi, et une foule d’autres qu’ils employaient comme moi. Dans la nature, toutes les espèces se dévorent ; toutes les conditions se dévorent dans la société. Nous faisons justice les uns des autres, sans que la loi s’en mêle. La Deschamps, autrefois, aujourd’hui la Guimard venge le prince du financier ; et c’est la marchande de modes, le bijoutier, le tapissier, la lingère, l’escroc, la femme de chambre, le cuisinier, le bourrelier, qui vengent le financier de la Deschamps. Au milieu de tout cela, il n’y a que l’imbécile ou l’oisif qui soit lésé, sans avoir vexé personne ; et c’est fort bien fait. D’où vous voyez que ces exceptions à la conscience générale, ou ces idiotismes moraux dont on fait tant de bruit, sous la dénomination de tours du bâton ne sont rien ; et qu’à tout, il n’y a que le coup d’œil qu’il faut avoir juste.
MOI. – J’admire le vôtre.
LUI. – Et puis la misère. La voix de la conscience et de l’honneur, est bien faible, lorsque les boyaux crient. Suffit que si je deviens jamais riche, il faudra bien que je restitue, et que je suis bien résolu à restituer de toutes les manières possibles, par la table, par le jeu, par le vin, par les femmes.
MOI. – Mais j’ai peur que vous ne deveniez jamais riche.
LUI. – Moi, j’en ai le soupçon.
MOI. – Mais s’il en arrivait autrement, que feriez-vous ?
LUI. – Je ferais comme tous les gueux revêtus ; je serais le plus insolent maroufle qu’on eût encore vu. C’est alors que je me rappellerais tout ce qu’ils m’ont fait souffrir ; et je leur rendrais bien les avanies qu’ils m’ont faites. J’aime à commander, et je commanderai. J’aime qu’on me loue et l’on me louera. J’aurai à mes gages toute la troupe villemorienne, et je leur dirai, comme on me l’a dit, « Allons, faquins, qu’on m’amuse », et l’on m’amusera ; « qu’on me déchire les honnêtes gens », et on les déchirera, si l’on en trouve encore ; et puis nous aurons des filles, nous nous tutoierons, quand nous serons ivres, nous nous enivrerons ; nous ferons des contes ; nous aurons toutes sortes de travers et de vices. Cela sera délicieux. Nous prouverons que de Voltaire est sans génie ; que Buffon toujours guindé sur des échasses, n’est qu’un déclamateur ampoulé ; que Montesquieu n’est qu’un bel esprit ; nous reléguerons d’Alembert dans ses mathématiques, nous en donnerons sur dos et ventre à tous ces petits Catons, comme vous, qui nous méprisent par envie ; dont la modestie est le manteau de l’orgueil, et dont la sobriété la loi du besoin. Et de la musique ? C’est alors que nous en ferons.
MOI. – Au digne emploi que vous feriez de la richesse, je vois combien c’est grand dommage que vous soyez gueux. Vous vivriez là d’une manière bien honorable pour l’espèce humaine, bien utile à vos concitoyens ; bien glorieuse pour vous.
LUI. – Mais je crois que vous vous moquez de moi ; monsieur le philosophe, vous ne savez pas à qui vous vous jouez ; vous ne vous doutez pas que dans ce moment je représente la partie la plus importante de la ville et de la cour. Nos opulents dans tous les états ou se sont dit à eux-mêmes ou ne sont pas dit les mêmes choses que je vous ai confiées ; mais le fait est que la vie que je mènerais à leur place est exactement la leur. Voilà où vous en êtes, vous autres. Vous croyez que le même bonheur est fait pour tous.
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