Il ne me servait plus à rien. Il n'était pas perdu. Je le gardais, sans savoir pour qui. C'était pour vous, c'était pour vous ! Je vous apporte toutes mes économies d'adoration.

MARTHE : Taisez-vous, oh ! taisez-vous, je ne veux pas de vos présents de magicien.

PIERRE : Et moi, je veux vous enchanter...

MARTHE : Mais taisez-vous donc ; vous nous feriez faire des folies.

PIERRE : Oui, oui, soyons un peu fous. Je ne vous demande pas des choses compliquées. Faisons enfin une bêtise. Vous ne répondez pas... qu'est-ce que vous soupirez ?

MARTHE : Hélas ! une bêtise.

PIERRE : Une belle bêtise. (Marthe se lève.) Marthe !

MARTHE (tristement) : Nous ne sommes pas assez bêtes. (Puis presque gaiement.) Non, non, votre idée n'est pas pratique.

PIERRE : Oh ! mon amie, vous allez faire la raisonnable.

MARTHE : Il est temps.

PIERRE : Je sais par cœur vos raisons.

MARTHE : Je ne raisonne pas que pour vous, je raisonne aussi pour moi, pour me convaincre, et il m'en coûte.

PIERRE : Une parole aimable est toujours bonne à prendre. Je vous remercie.

MARTHE : Au fond, vous savez, je suis de votre avis. Ce serait excitant, ce petit congé, ce repos du mariage, cette trêve aux affections quotidiennes du foyer. On mettrait sur la porte : relâche à l'intérieur, et, comme vous dites, on irait faire un tour... qui durerait ?

PIERRE : Ce qu'il durerait : je ne peux pas vous le dire à un quart d'heure près.

MARTHE : C'est ce qui s'appelle s'engager à fond, et cela vaut bien que je brise ma vie.

PIERRE : Être adorée huit jours, le bon Dieu lui-même n'est sûr de ça avec personne.

MARTHE : Et, cher adorateur, comme récompense, qu'exigeriez-vous ?

PIERRE : Rien.

MARTHE : Si peu ?

PIERRE : Une femme adorée ainsi accorde tout sans qu'on l'exige.

MARTHE : Nous y voilà, aux réalités !

PIERRE : Nous y voilà, parce que vous y faites allusion. Vous, les femmes, vous pensez toujours à ça !

MARTHE : Et vous n'y pensez jamais, vous, les hommes !

PIERRE : Pas tout de suite. Il va sans dire que, l'heure venue, je saurais bien embrasser une femme.

MARTHE : Oui, n'est ce pas, tout de même ?

PIERRE : Oh ! vous aviez l'air de me comprendre, vous ne me comprenez plus. Mais non, mais non, il ne s'agit pas de scandale, de vies brisées, d'histoire malpropres. Je n'imaginais, moi, que quelque chose de rare, de bref, de très doux et d'inoffensif, un feu de paille ou n'aurions brûlé que des sentiments, et qui n'aurait pas fait plus mal à nos cœurs que ce rayon de lune n'altère le vitrail qu'il traverse.

MARTHE : Mais, troubadour, charmant troubadour que vous êtes, soyez donc simple une fois dans votre vie. Un congé, ça se passe quelque part. Je suis prête. Partons.

PIERRE : Chère Marthe !

MARTHE : Oui, partons. Je ne tiens plus à mes fragiles raisons et je ne doute plus de votre sincérité. Il n'est pas possible qu'un homme comme vous se fasse un jeu d'étourdir une femme avec des mots, sans savoir où il l'entraîne. Vous le savez. Je vous crois, je vous crois, et c'est moi qui vous dis maintenant : partons, mon ami, partons vite. Ah !

PIERRE : Quand vous voudrez, Marthe.

MARTHE : Tout de suite, oh ! tout de suite !... Ne me laissez pas me ressaisir. Partons, comme vous êtes, comme je suis, sans malle, sans toilettes. Fuyons vite, vite. Où allons-nous ?

PIERRE : Où vous voudrez.

MARTHE : Vous n'êtes pas fixé ?

PIERRE : Mais si, mais si, n'importe où, à la mer, à la montagne, vous êtes femme à ne déparer aucun paysage, au bout du monde.

MARTHE : À Marseille.

PIERRE : Au paradis !

MARTHE : Le paradis n'est pas sur l'indicateur.