Tout de même, j’étais si extraordinairement prévenu contre lui que, dans le fond de moi-même, je ne lui pardonnai pas que la santé de M. Darzac ne s’améliorât point. Au commencement de l’hiver, il toussa, si bien que je le suppliai, et que nous le suppliâmes tous, de demander un congé et de s’aller reposer dans le midi. Les docteurs lui conseillèrent San Remo. Il y fut et, huit jours après, il nous écrivait qu’il se sentait beaucoup mieux ; il lui semblait qu’on lui avait, depuis qu’il était arrivé dans ce pays, enlevé un poids de dessus la poitrine !... « Je respire !... je respire !... nous disait-il. Quand je suis parti de Paris, j’étouffais ! » Cette lettre de M. Darzac me donna beaucoup à réfléchir et je n’hésitai point à faire part de mes réflexions à Rouletabille. Or celui-ci voulut bien s’étonner avec moi de ce que M. Darzac était si mal quand il se trouvait auprès de Brignolles, et si bien quand il en était éloigné... Cette impression était si forte chez moi, tout particulièrement, que je n’eusse point permis à Brignolles de s’absenter. Ma foi non ! S’il avait quitté Paris, j’aurais été capable de le suivre ! Mais il ne s’en alla point ; au contraire. Les Stangerson ne l’eurent jamais plus près d’eux. Sous prétexte de demander des nouvelles de M. Darzac, il était tout le temps fourré chez M. Stangerson. Il parvint une fois à voir Mlle Stangerson, mais j’avais fait à la fiancée de M. Darzac un tel portrait du préparateur de physique, que je réussis à l’en dégoûter pour toujours, ce dont je me félicitai dans mon for intérieur.
M. Darzac resta quatre mois à San Remo et nous revint presque entièrement rétabli. Ses yeux, cependant, étaient encore faibles et il était dans la nécessité d’en prendre le plus grand soin. Rouletabille et moi avions décidé de surveiller le Brignolles, mais nous fûmes satisfaits d’apprendre que le mariage allait avoir lieu presque aussitôt et que M. Darzac emmènerait sa femme, dans un long voyage, loin de Paris et... loin de Brignolles.
À son retour de San Remo, M. Darzac m’avait demandé :
« Eh bien, où en êtes-vous avec ce pauvre Brignolles ? Êtes-vous revenu sur son compte ?
– Ma foi non ! » avais-je répondu.
Et il s’était encore moqué de moi, m’envoyant quelques-unes de ces plaisanteries provençales qu’il affectionnait quand les événements lui permettaient d’être gai, et qui avaient retrouvé dans sa bouche une saveur nouvelle depuis que son séjour dans le midi avait rendu à son accent toute sa belle couleur initiale.
Il était heureux ! Mais nous ne pûmes avoir une idée véritable de son bonheur – car, entre son retour et son mariage, nous eûmes peu d’occasions de le voir – que sur le seuil même de cette église où il nous apparut comme transformé. Il redressait avec un orgueil bien compréhensible sa taille légèrement voûtée. Le bonheur le faisait plus grand et plus beau !
« C’est le cas de dire qu’il est à la noce, le patron ! » ricana Brignolles.
Je m’éloignai de cet homme qui me répugnait et m’avançai jusque dans le dos de ce pauvre M. Stangerson, qui resta, lui, les bras croisés toute la cérémonie, sans rien voir, sans rien entendre. On dut lui frapper sur l’épaule, quand tout fut fini, pour le tirer de son rêve.
Quand on passa à la sacristie, maître André Hesse poussa un profond soupir.
« Ça y est ! fit-il. Je respire...
– Pourquoi ne respiriez-vous donc pas, mon ami ? » demanda maître Henri-Robert.
Alors maître André Hesse avoua qu’il avait redouté jusqu’à la dernière minute l’arrivée du mort...
« Que voulez-vous ! répliqua-t-il à son confrère qui se moquait, je ne puis me faire à cette idée que Frédéric Larsan consente à être mort pour de bon !... »
.. .. .. .. ..
Nous nous trouvions tous maintenant – une dizaine de personnes au plus – dans la sacristie. Les témoins signaient sur les registres et les autres félicitaient gentiment les nouveaux mariés. Cette sacristie est encore plus sombre que l’église et j’aurais pu penser que je devais à cette obscurité de ne point apercevoir, en un pareil moment, Joseph Rouletabille, si la pièce n’avait été si petite. De toute évidence, il n’était point là. Qu’est-ce que cela signifiait ? Mathilde l’avait déjà réclamé deux fois et M. Robert Darzac me pria de l’aller chercher, ce que je fis ; mais je rentrai dans la sacristie sans lui ; je ne l’avais pas trouvé.
« Voilà qui est bizarre, fit M. Darzac, et tout à fait inexplicable.
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