Cela n’a aucune importance. Mais tu as été aussi sot que moi. Tâche d’être heureux… Laisse ce globe tranquille. Je n’en veux plus.
– Mais le vent…
– Je ne suis pas si enrhumée que ça… L’air frais de la nuit me fera du bien. Je suis une fleur.
– Mais les bêtes…
– Il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles si je veux connaître les papillons. Il paraît que c’est tellement beau. Sinon qui me rendra visite ? Tu seras loin, toi. Quant aux grosses bêtes, je ne crains rien. J’ai mes griffes.
Et elle montrait naïvement ses quatre épines. Puis elle ajouta :
– Ne traîne pas comme ça, c’est agaçant. Tu as décidé de partir. Va-t’en.
Car elle ne voulait pas qu’il la vît pleurer. C’était une fleur tellement orgueilleuse…
CHAPITRE X
Il se trouvait dans la région des astéroïdes 325, 326, 327, 328, 329 et 330. Il commença donc par les visiter pour y chercher une occupation et pour s’instruire.
La première était habitée par un roi. Le roi siégeait, habillé de pourpre et d’hermine, sur un trône très simple et cependant majestueux.

– Ah ! Voilà un sujet, s’écria le roi quand il aperçut le petit prince.
Et le petit prince se demanda :
« Comment peut-il me reconnaître puisqu’il ne m’a encore jamais vu ! »
Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est très simplifié. Tous les hommes sont des sujets.
– Approche-toi que je te voie mieux, lui dit le roi qui était tout fier d’être roi pour quelqu’un.
Le petit prince chercha des yeux où s’asseoir, mais la planète était toute encombrée par le magnifique manteau d’hermine. Il resta donc debout, et, comme il était fatigué, il bâilla.
– Il est contraire à l’étiquette de bâiller en présence d’un roi, lui dit le monarque. Je te l’interdis.
– Je ne peux pas m’en empêcher, répondit le petit prince tout confus. J’ai fait un long voyage et je n’ai pas dormi…
– Alors, lui dit le roi, je t’ordonne de bâiller. Je n’ai vu personne bâiller depuis des années. Les bâillements sont pour moi des curiosités. Allons ! bâille encore. C’est un ordre.
– Ça m’intimide… je ne peux plus… fit le petit prince tout rougissant.
– Hum ! Hum ! répondit le roi. Alors je… je t’ordonne tantôt de bâiller et tantôt de…
Il bredouillait un peu et paraissait vexé.
Car le roi tenait essentiellement à ce que son autorité fût respectée. Il ne tolérait pas la désobéissance. C’était un monarque absolu. Mais, comme il était très bon, il donnait des ordres raisonnables.
« Si j’ordonnais, disait-il couramment, si j’ordonnais à un général de se changer en oiseau de mer, et si le général n’obéissait pas, ce ne serait pas la faute du général. Ce serait ma faute. »
– Puis-je m’asseoir ? s’enquit timidement le petit prince.
– Je t’ordonne de t’asseoir, lui répondit le roi, qui ramena majestueusement un pan de son manteau d’hermine.
Mais le petit prince s’étonnait. La planète était minuscule. Sur quoi le roi pouvait-il bien régner ?
– Sire, lui dit-il… je vous demande pardon de vous interroger…
– Je t’ordonne de m’interroger, se hâta de dire le roi.
– Sire… sur quoi régnez-vous ?
– Sur tout, répondit le roi, avec une grande simplicité.
– Sur tout ?
Le roi d’un geste discret désigna sa planète, les autres planètes et les étoiles.
– Sur tout ça ? dit le petit prince.
– Sur tout ça… répondit le roi.
Car non seulement c’était un monarque absolu mais c’était un monarque universel.
– Et les étoiles vous obéissent ?
– Bien sûr, lui dit le roi.
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