Sur la table, à la tête du lit, j’apercevais un verre d’eau sucrée, une boîte d’allumettes chimiques et un journal du soir, la Patrie.

Sur un coin de la cheminée brillait un chandelier, un bon gros et solide chandelier de cuivre… Mais la bougie qui avait éclairé le crime était consumée, le meurtrier s’était enfui sans la souffler, et elle avait brûlé jusqu’au bout, noircissant l’albâtre d’un brûle-tout où elle était fixée.

Ces détails, je les avais constatés d’un coup, sans effort, sans pour ainsi dire que ma volonté y fût pour rien.

Mon œil remplissait le rôle d’un objectif photographique, le théâtre du meurtre s’était fixé dans mon esprit comme sur une plaque préparée, avec une telle précision que nulle circonstance n’y manquait, avec une telle solidité qu’aujourd’hui encore je pourrais dessiner l’appartement du « petit vieux des Batignolles » sans rien oublier, sans oublier même un bouchon à demi recouvert de cire verte qu’il me semble voir encore par terre, sous la chaise du greffier.

C’était une faculté extraordinaire, qui m’a été départie, ma faculté maîtresse, que je n’avais pas encore eu l’occasion d’exercer, qui tout à coup se révélait en moi.

Alors, j’étais bien trop vivement ému pour analyser mes impressions.

Je n’avais qu’un désir, obstiné, brûlant, irrésistible : m’approcher du cadavre étendu à deux mètres de moi.

Je luttai d’abord, je me défendis contre l’obsession de cette envie. Mais la fatalité s’en mêlait… je m’approchai.

Avait-on remarqué ma présence ?… je ne le crois pas.

Personne, en tout cas, ne faisait attention à moi.

Monsieur Méchinet et le commissaire de police causaient toujours près de la fenêtre ; le greffier, à demi-voix, relisait au juge d’instruction son procès-verbal.

Ainsi, rien ne s’opposait à l’accomplissement de mon dessein.

Et d’ailleurs, je dois le confesser, une sorte de fièvre me tenait qui me rendait comme insensible aux circonstances extérieures et m’isolait absolument.

Cela est si vrai, que j’osai m’agenouiller près du cadavre, pour mieux voir et de plus près.

Loin de songer qu’on allait me crier : « Que faites-vous là ?… » j’agissais lentement et posément, en homme qui, ayant reçu une mission, l’exécute.

Ce malheureux vieillard me parut avoir de soixante-dix à soixante-quinze ans. Il était petit et très maigre, mais solide certainement et bâti pour passer la centaine. Il avait beaucoup de cheveux encore, d’un blanc jaunâtre, bouclés sur la nuque.

Sa barbe grise, forte et drue, paraissait n’avoir pas été faite depuis cinq ou six jours ; elle devait avoir poussé depuis qu’il était mort. Cette circonstance que j’avais souvent remarquée chez nos sujets de l’amphithéâtre ne m’étonna pas.

Ce qui me surprit, ce fut la physionomie de l’infortuné. Elle était calme, je dirai plus, souriante. Les lèvres s’entr’ouvraient comme pour un salut amical.

La mort avait donc été terriblement prompte, qu’il conservait cette expression bienveillante !…

C’était la première idée qui se présentait à l’esprit.

Oui, mais comment concilier ces deux circonstances inconciliables : une mort soudaine, et ces cinq lettres : Monis… que je voyais en traits de sang sur le parquet ?

Pour écrire cela, quels efforts n’avait-il pas fallu à un homme mourant !… L’espoir seul de la vengeance avait pu lui prêter une telle énergie… Et quelle rage n’avait pas dû être la sienne, de se sentir expirer avant d’avoir pu tracer en entier le nom de son assassin…

Et cependant le visage du cadavre semblait me sourire.

Le pauvre vieux avait été frappé à la gorge et l’arme avait traversé le cou de part en part.

L’instrument du crime devait être un poignard, ou plutôt un de ces redoutables couteaux catalans, larges comme la main, qui coupent des deux côtés et qui sont aussi pointus qu’une aiguille…

De ma vie, je n’avais été remué par d’aussi étranges sensations.

Mes tempes battaient avec une violence inouïe, et mon cœur, dans ma poitrine, se gonflait à la briser.

Qu’allais-je donc découvrir ?…

Poussé par une force mystérieuse et irrésistible, qui annihilait ma volonté, je pris entre mes mains, pour les examiner, les mains roides et glacées du cadavre…

La droite était nette… c’était un des doigts de la gauche, l’indicateur, qui était tout maculé de sang.

Quoi ! c’était avec la main gauche que le vieillard avait écrit !… Allons donc !…

Saisi d’une sorte de vertige, les yeux hagards, les cheveux hérissés sur la tête, et plus pâle assurément que le mort qui gisait à mes pieds, je me dressai en poussant un cri terrible.

– Grand Dieu !…

Tous les autres, à ce cri, bondirent, et surpris, effarés :

– Qu’est-ce ? me demandèrent-ils ensemble, qu’y a-t-il ?…

J’essayai de répondre, mais l’émotion m’étranglait, il me semblait que j’avais la bouche pleine de sable. Je ne pus que montrer les mains du mort en bégayant :

– Là !… là !…

Prompt comme l’éclair, monsieur Méchinet s’était jeté à genoux près du cadavre. Ce que j’avais vu, il le vit, et mon impression fut la sienne, car se relevant vivement :

– Ce n’est pas ce pauvre vieux, déclara-t-il, qui a tracé les lettres qui sont là…

Et comme le juge et le commissaire le regardaient bouche béante, il leur expliqua cette circonstance de la main gauche seule tachée de sang…

– Et dire que je n’y avais pas fait attention ! répétait le commissaire désolé…

Monsieur Méchinet prisait avec fureur.

– C’est comme cela, fit-il… les choses qui crèvent les yeux sont celles qu’on ne voit point… Mais n’importe ! voilà la situation diablement changée… Du moment où ce n’est pas le vieux qui a écrit, c’est celui qui l’a tué…

– Évidemment ! approuva le commissaire.

– Or, continua mon voisin, peut-on imaginer un assassin assez stupide pour se dénoncer en écrivant son nom à côté du corps de sa victime ? Non, n’est-ce pas. Maintenant, concluez…

Le juge était devenu soucieux.

– C’est clair, fit-il, les apparences nous ont abusés… Monistrol n’est pas le coupable… Quel est-il ?… C’est affaire à vous, monsieur Méchinet, de le découvrir.

Il s’arrêta… un agent de police entrait, qui, s’adressant au commissaire, dit :

– Vos ordres sont exécutés, monsieur… Monistrol est arrêté et écroué au dépôt… Il a tout avoué.



D’autant plus rude était le choc qu’il était plus inattendu.

Peindre notre stupeur à tous est impossible.

Quoi ! pendant que nous étions là, nous évertuant à chercher des preuves de l’innocence de Monistrol, lui se reconnaissait coupable !

Ce fut monsieur Méchinet qui le premier se remit.

Vivement, cinq ou six fois, il porta les doigts de sa tabatière à son nez, et s’avançant vers l’agent :

– Tu te trompes ou tu nous trompes, lui dit-il, pas de milieu.

– Je vous jure, monsieur Méchinet…

– Tais-toi ! ou tu as mal compris ce qu’a dit Monistrol, ou tu t’es grisé de l’espoir de nous étonner en nous annonçant que l’affaire est réglée…

Humble et respectueux jusqu’alors, l’agent se rebiffa.

– Faites excuse, interrompit-il, je ne suis ni un imbécile ni un menteur, et je sais ce que je dis…

La discussion tournait si bien à la dispute que le juge d’instruction crut devoir intervenir.

– Modérez-vous, monsieur Méchinet, prononça-t-il, et avant de porter un jugement, attendez d’être édifié.

Puis se tournant vers l’agent :

– Et vous, mon ami, poursuivit-il, dites-nous ce que vous savez et les raisons de votre assurance.

Ainsi soutenu, l’agent écrasa monsieur Méchinet d’un regard ironique, et avec une nuance très appréciable de fatuité :

– Pour lors, commença-t-il, voilà la chose : monsieur le juge et monsieur le commissaire ici présents nous ont chargés, l’inspecteur Goulard, mon collègue Poltin et moi, d’arrêter le nommé Monistrol, bijoutier en faux, domicilié rue Vivienne, 75, ledit Monistrol étant inculpé d’assassinat sur la personne de son oncle.

– C’est exact, approuva le commissaire à demi-voix.

– Là-dessus, poursuivit l’agent, nous prenons un fiacre et nous nous faisons conduire à l’adresse indiquée… Nous arrivons et nous trouvons le sieur Monistrol dans son arrière-boutique, sur le point de se mettre à table pour dîner avec son épouse, qui est une femme de vingt-cinq à trente ans, d’une beauté admirable.

» En nous apercevant tous trois en rang d’oignon, mon particulier se dresse. « Qu’est-ce que vous voulez ? » nous demande-t-il. Aussitôt, le brigadier Goulard tire de sa poche le mandat d’amener et répond : « Au nom de la loi, je vous arrête !… »

Monsieur Méchinet semblait sur le gril.

– Ne pourrais-tu te hâter ! dit-il à l’agent.

Mais l’autre, comme s’il n’eût pas entendu, poursuivit du même ton calme :

– J’ai arrêté quelques particuliers en ma vie ; eh bien ! jamais je n’en ai vu tomber en décomposition comme celui-là. « Vous plaisantez, nous dit-il, ou vous faites erreur ! » « Non, nous ne nous trompons pas. » « Mais enfin, pourquoi m’arrêtez-vous ? »

» Goulard haussait les épaules. « Ne faites donc pas l’enfant, dit-il, et votre oncle ?… Le cadavre est retrouvé et on a des preuves accablantes contre vous… »

» Ah ! le gredin, quelle tuile !… Il chancela et finalement se laissa tomber sur une chaise en sanglotant et en bégayant je ne sais quelle réponse qu’il n’y avait pas moyen de comprendre.

» Ce que voyant, Goulard le secoua par le collet de son habit, en lui disant : « Croyez-moi, le plus court est de tout avouer. » Il nous regarda d’un air hébété et murmura : « Eh bien ! oui, j’avoue tout ! »

– Bien manœuvré, Goulard ! approuva le commissaire.

L’agent triomphait.

– Il s’agissait de ne pas moisir dans la boutique, continua-t-il. On nous avait recommandé d’éviter tout esclandre, et déjà les badauds s’attroupaient… Goulard empoigna donc le prévenu par le bras, en lui criant : « Allons, en route ! on nous attend à la préfecture ! » Monistrol, tant bien que mal, se dressa sur ses jambes qui flageolaient, et du ton d’un homme qui prend son courage à deux mains, dit : « Marchons !… »

» Nous pensions que le plus fort était fait ; nous comptions sans la femme.

» Jusqu’à ce moment, elle était restée comme évanouie sur un fauteuil, sans souffler mot, sans paraître seulement comprendre ce qui se passait.

» Mais quand elle vit que bien décidément nous emmenions son homme, elle bondit comme une lionne et se jeta en travers de la porte en criant : « Vous ne passerez pas ! » Parole d’honneur, elle était superbe, mais Goulard en a vu bien d’autres. « Allons, allons, ma petite mère, fit-il, ne nous fâchons pas ; on vous le rendra, votre mari ! »

» Cependant, bien loin de nous faire place, elle se cramponnait plus fortement au chambranle, jurant que son mari était innocent ; déclarant que si on le conduisait en prison, elle le suivrait, tantôt nous menaçant et nous accablant d’invectives, tantôt nous suppliant de sa voix la plus douce…

» Puis, quand elle comprit que rien ne nous empêcherait de remplir notre devoir, elle lâcha la porte, et, se jetant au cou de son mari : « Ô cher bien-aimé, gémissait-elle, est-ce possible qu’on t’accuse d’un crime, toi… toi !… Dis-leur donc, à ces hommes, que tu es innocent !… »

» Vrai, nous étions tous émus, mais lui, plus insensible que nous, il eut la barbarie de repousser sa pauvre femme si brutalement qu’elle alla tomber comme une masse dans un coin de l’arrière-boutique… C’était la fin heureusement.

» La femme étant évanouie, nous en profitâmes pour emballer le mari dans le fiacre qui nous avait amenés.

» Emballer est bien le mot, car il était devenu comme une chose inerte, il ne tenait plus debout, il fallut le porter… Et pour ne rien oublier, je dois dire que son chien, une espèce de roquet noir, voulait absolument sauter avec nous dans la voiture, et que nous avons eu mille peines à nous en débarrasser.

» En route, comme de juste, Goulard essaya de distraire notre prisonnier et de le faire jaser… Mais impossible de lui tirer une parole du gosier. Ce n’est qu’en arrivant à la préfecture qu’il parut reprendre connaissance. Quand il fut bien et dûment installé dans une cellule des « secrets », il se jeta sur son lit à corps perdu en répétant : « Que vous ai-je fait, ô mon Dieu, que vous ai-je fait !… »

» À ce moment Goulard s’approcha de lui, et pour la seconde fois : « Ainsi, interrogea-t-il, vous vous avouez coupable ! » De la tête, Monistrol fit : « Oui, oui !… », puis d’une voix rauque : « Je vous en prie, laissez-moi seul ! » dit-il.

» C’est ce que nous avons fait, après avoir eu soin, toutefois, de placer un surveillant en observation au guichet de la cellule, pour le cas où le gaillard essayerait d’attenter à ses jours…

» Goulard et Poltin sont restés là-bas, et moi, me voilà !…

– C’est précis, grommela le commissaire, c’est on ne peut plus précis…

C’était aussi l’opinion du juge, car il murmura :

– Comment, après cela, douter de la culpabilité de Monistrol ?

Moi, j’étais confondu, et cependant mes convictions étaient inébranlables. Et même, j’ouvrais la bouche pour hasarder une objection, quand monsieur Méchinet me prévint.

– Tout cela est bel et bon !… s’écria-t-il. Seulement, si nous admettons que Monistrol est l’assassin, nous sommes aussi forcés d’admettre que c’est lui qui a écrit son nom là, par terre… et dame ! ça, c’est roide…

– Bast ! interrompit le commissaire, du moment où l’inculpé avoue, à quoi bon se préoccuper d’une circonstance que l’instruction expliquera…

Mais l’observation de mon voisin avait réveillé toutes les perplexités du juge. Aussi, sans se prononcer :

– Je vais me rendre à la préfecture, déclara-t-il, je veux interroger Monistrol ce soir même.

Et après avoir recommandé au commissaire de police de bien remplir toutes les formalités et d’attendre les médecins mandés pour l’autopsie du cadavre, il s’éloigna, suivi de son greffier, et de l’agent qui était venu nous annoncer le succès de l’arrestation.

– Pourvu que ces diables de médecins ne se fassent pas trop attendre ! gronda le commissaire, qui songeait à son dîner.

Ni monsieur Méchinet ni moi ne lui répondîmes. Nous demeurions debout, en face l’un de l’autre, obsédés évidemment par la même idée.

– Après tout, murmura mon voisin, peut-être est-ce le vieux qui a écrit…

– Avec la main gauche, alors ?… Est-ce possible !… Sans compter que la mort de ce pauvre bonhomme a dû être instantanée…

– En êtes-vous sûr ?…

– D’après sa blessure, j’en ferais le serment… D’ailleurs, des médecins vont venir, qui vous diront si j’ai raison ou tort…

Monsieur Méchinet tracassait son nez avec une véritable frénésie.

– Peut-être, en effet, y a-t-il là-dessous quelque mystère, dit-il… ce serait à voir…

» C’est une enquête à refaire… Soit, refaisons-la… Et pour commencer, interrogeons la portière…

Et courant à l’escalier, il se pencha sur la rampe, criant :

– La concierge !… Hé ! la concierge ! montez un peu, s’il vous plaît…



En attendant que montât la concierge, monsieur Méchinet procédait à un rapide et sagace examen du théâtre du crime.

Mais c’est surtout la serrure de la porte d’entrée de l’appartement qui attirait son attention. Elle était intacte et la clef y jouait sans difficulté. Cette circonstance écartait absolument l’idée d’un malfaiteur étranger s’introduisant de nuit à l’aide de fausses clefs.

De mon côté, machinalement, ou plutôt inspiré par l’étonnant instinct qui s’était révélé en moi, je venais de ramasser ce bouchon à demi recouvert de cire verte que j’avais remarqué à terre.

Il avait servi, et du côté de la cire, gardait les traces du tire-bouchon ; mais, de l’autre bout, se voyait une sorte d’entaille assez profonde, produite évidemment par un instrument tranchant et aigu.

Soupçonnant l’importance de ma découverte, je la communiquai à monsieur Méchinet, et il ne put retenir une exclamation de plaisir.

– Enfin ! s’écria-t-il, nous tenons donc enfin un indice !… Ce bouchon, c’est l’assassin qui l’a laissé tomber ici… Il y avait fiché la pointe fragile de l’arme dont il s’est servi. Conclusion : l’instrument du meurtre est un poignard à manche fixe, et non un de ces couteaux qui se ferment… Avec ce bouchon, je suis sûr d’arriver au coupable quel qu’il soit !…

Le commissaire de police achevait sa besogne dans la chambre, nous étions, monsieur Méchinet et moi, restés dans le salon, lorsque nous fûmes interrompus par le bruit d’une respiration haletante.

Presque aussitôt, se montra la puissante commère que j’avais aperçue dans le vestibule pérorant au milieu des locataires.

C’était la portière, plus rouge, s’il est possible, qu’à notre arrivée.

– Qu’y a-t-il pour votre service, monsieur ? demanda-t-elle à monsieur Méchinet.

– Asseyez-vous, madame, répondit-il.

– Mais, monsieur, c’est que j’ai du monde en bas…

– On vous attendra… je vous dis de vous asseoir.

Interloquée par le ton de monsieur Méchinet, elle obéit. Alors lui, la fixant de ses terribles petits yeux gris :

– J’ai besoin de certains renseignements, commença-t-il, et je vais vous interroger. Dans votre intérêt, je vous conseille de répondre sans détours. Et d’abord, quel est le nom de ce pauvre bonhomme qui a été assassiné ?

– Il s’appelait Pigoreau, mon bon monsieur, mais il était surtout connu sous le nom d’Anténor, qu’il avait pris autrefois, comme étant plus en rapport avec son commerce.

– Habitait-il la maison depuis longtemps ?

– Depuis huit ans.

– Où demeurait-il avant ?

– Rue Richelieu, où il avait son magasin… car il avait été établi, il avait été coiffeur, et c’est dans cet état qu’il avait gagné sa fortune.

– Il passait donc pour riche ?

– J’ai entendu dire à sa nièce qu’il ne se laisserait pas couper le cou pour un million.

À cet égard, la prévention devait être fixée, puisqu’on avait inventorié les papiers du pauvre vieux.

– Maintenant, poursuivit monsieur Méchinet, quelle espèce d’homme était ce sieur Pigoreau, dit Anténor ?

– Oh ! la crème des hommes, cher bon monsieur, répondit la concierge… Il était bien tracassier, maniaque, grigou comme il n’est pas possible, mais il n’était pas fier… Et si drôle, avec cela !… On aurait passé ses nuits à l’écouter, quand il était en train… C’est qu’il en savait de ces histoires ! Pensez donc, un ancien coiffeur, qui avait, comme il disait, frisé les plus belles femmes de Paris…

– Comment vivait-il ?

– Comme tout le monde… Comme les gens qui ont des rentes, s’entend, et qui cependant tiennent à leur monnaie.

– Pouvez-vous me donner quelques détails ?

– Oh ! pour cela, je le pense, vu que c’est moi qui avais soin de son ménage… Et cela ne me donnait guère de peine, car il faisait presque tout, balayant, époussetant et frottant lui-même… C’était sa manie, quoi ! Donc, tous les jours que le bon Dieu faisait, à midi battant, je lui montais une tasse de chocolat. Il la buvait, il avalait par-dessus un grand verre d’eau, et c’était son déjeuner. Après il s’habillait, et ça le menait jusqu’à deux heures, car il était coquet et soigneux de sa personne plus qu’une mariée.