Le Portrait de Dorian Gray

Le Portrait de Dorian Gray
Oscar Wilde
Publication: 1891
Catégorie(s): Fiction, Romance, Gothique
Source: http://www.ebooksgratuits.com
A Propos Wilde:
Oscar Fingal O'Flahertie Wills Wilde (October 16, 1854 –
November 30, 1900) was an Irish playwright, novelist, poet, and
short story writer. Known for his barbed wit, he was one of the
most successful playwrights of late Victorian London, and one of
the greatest celebrities of his day. As the result of a famous
trial, he suffered a dramatic downfall and was imprisoned for two
years of hard labour after being convicted of the offence of "gross
indecency". The scholar H. Montgomery Hyde suggests this term
implies homosexual acts not amounting to buggery in British
legislation of the time. Source: Wikipedia
Disponible sur Feedbooks Wilde:
Le Crime de Lord
Arthur Savile (1891)
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Préface
Un artiste est un créateur de belles choses.
Révéler l’Art en cachant l’artiste, tel est le but de l’Art.
Le critique est celui qui peut traduire dans une autre manière
ou avec de nouveaux procédés l’impression que lui laissèrent de
belles choses.
L’autobiographie est à la fois la plus haute et la plus basse
des formes de la critique.
Ceux qui trouvent de laides intentions en de belles choses sont
corrompus sans être séduisants. Et c’est une faute.
Ceux qui trouvent de belles intentions dans les belles choses
sont les cultivés. Il reste à ceux-ci l’espérance.
Ce sont les élus pour qui les belles choses signifient
simplement la Beauté.
Un livre n’est point moral ou immoral. Il est bien ou mal écrit.
C’est tout.
Le dédain du XIXe siècle pour le réalisme est tout pareil à la
rage de Caliban apercevant sa face dans un miroir.
Le dédain du XIXe siècle pour le Romantisme est semblable à la
rage de Caliban n’apercevant pas sa face dans un miroir.
La vie morale de l’homme forme une part du sujet de l’artiste,
mais la moralité de l’art consiste dans l’usage parfait d’un moyen
imparfait.
L’artiste ne désire prouver quoi que ce soit. Même les choses
vraies peuvent être prouvées.
L’artiste n’a point de sympathies éthiques. Une sympathie morale
dans un artiste amène un maniérisme impardonnable du style.
L’artiste n’est jamais pris au dépourvu. Il peut exprimer toute
chose.
Pour l’artiste, la pensée et le langage sont les instruments
d’un art.
Le vice et la vertu en sont les matériaux. Au point de vue de la
forme, le type de tous les arts est la musique. Au point de vue de
la sensation, c’est le métier de comédien.
Tout art est à la fois surface et symbole.
Ceux qui cherchent sous la surface le font à leurs risques et
périls.
Ceux-là aussi qui tentent de pénétrer le symbole.
C’est le spectateur, et non la vie, que l’Art reflète
réellement.
Les diversités d’opinion sur une œuvre d’art montrent que cette
œuvre est nouvelle, complexe et viable.
Alors que les critiques diffèrent, l’artiste est en accord avec
lui-même.
Nous pouvons pardonner à un homme d’avoir fait une chose utile
aussi longtemps qu’il ne l’admire pas. La seule excuse d’avoir fait
une chose inutile est de l’admirer intensément.
L’Art est tout à fait inutile.
Chapitre 1
L’atelier était plein de l’odeur puissante des roses, et quand
une légère brise d’été souffla parmi les arbres du jardin, il vint
par la porte ouverte, la senteur lourde des lilas et le parfum plus
subtil des églantiers.
D’un coin du divan fait de sacs persans sur lequel il était
étendu, fumant, selon sa coutume, d’innombrables cigarettes, lord
Henry Wotton pouvait tout juste apercevoir le rayonnement des
douces fleurs couleur de miel d’un aubour dont les tremblantes
branches semblaient à peine pouvoir supporter le poids d’une aussi
flamboyante splendeur ; et de temps à autre, les ombres
fantastiques des oiseaux fuyants passaient sur les longs rideaux de
tussor tendus devant la large fenêtre, produisant une sorte d’effet
japonais momentané, le faisant penser à ces peintres de Tokyo à la
figure de jade pallide, qui, par le moyen d’un art nécessairement
immobile, tentent d’exprimer le sens de la vitesse et du mouvement.
Le murmure monotone des abeilles cherchant leur chemin dans les
longues herbes non fauchées ou voltigeant autour des poudreuses
baies dorées d’un chèvrefeuille isolé, faisait plus oppressant
encore ce grand calme. Le sourd grondement de Londres semblait
comme la note bourdonnante d’un orgue éloigné.
Au milieu de la chambre sur un chevalet droit, s’érigeait le
portrait grandeur naturelle d’un jeune homme d’une extraordinaire
beauté, et en face, était assis, un peu plus loin, le peintre
lui-même, Basil Hallward, dont la disparition soudaine quelques
années auparavant, avait causé un grand émoi public et donné
naissance à tant de conjectures.
Comme le peintre regardait la gracieuse et charmante figure que
son art avait si subtilement reproduite, un sourire de plaisir
passa sur sa face et parut s’y attarder. Mais il tressaillit
soudain, et fermant les yeux, mit les doigts sur ses paupières
comme s’il eût voulu emprisonner dans son cerveau quelque étrange
rêve dont il eût craint de se réveiller.
– Ceci est votre meilleure œuvre, Basil, la meilleure chose que
vous ayez jamais faite, dit lord Henry languissamment. Il faut
l’envoyer l’année prochaine à l’exposition Grosvenor. L’Académie
est trop grande et trop vulgaire. Chaque fois que j’y suis allé, il
y avait là tant de monde qu’il m’a été impossible de voir les
tableaux, ce qui était épouvantable, ou tant de tableaux que je
n’ai pu y voir le monde, ce qui était encore plus horrible.
Grosvenor est encore le seul endroit convenable…
– Je ne crois pas que j’enverrai ceci quelque part, répondit le
peintre en rejetant la tête de cette singulière façon qui faisait
se moquer de lui ses amis d’Oxford. Non, je n’enverrai ceci nulle
part.
Lord Henry leva les yeux, le regardant avec étonnement à travers
les minces spirales de fumée bleue qui s’entrelaçaient
fantaisistement au bout de sa cigarette opiacée.
– Vous n’enverrez cela nulle part ? Et pourquoi mon cher
ami ? Quelle raison donnez-vous ? Quels singuliers
bonshommes vous êtes, vous autres peintres ? Vous remuez le
monde pour acquérir de la réputation ; aussitôt que vous
l’avez, vous semblez vouloir vous en débarrasser. C’est ridicule de
votre part, car s’il n’y a qu’une chose au monde pire que la
renommée, c’est de n’en pas avoir. Un portrait comme celui-ci vous
mettrait au-dessus de tous les jeunes gens de l’Angleterre, et
rendrait les vieux jaloux, si les vieux pouvaient encore ressentir
quelque émotion.
– Je sais que vous rirez de moi, répliqua-t-il, mais je ne puis
réellement l’exposer. J’ai mis trop de moi-même là-dedans.
Lord Henry s’étendit sur le divan en riant…
– Je savais que vous ririez, mais c’est tout à fait la même
chose.
– Trop de vous-même !… Sur ma parole, Basil, je ne vous
savais pas si vain ; je ne vois vraiment pas de ressemblance
entre vous, avec votre rude et forte figure, votre chevelure noire
comme du charbon et ce jeune Adonis qui a l’air fait d’ivoire et de
feuilles de roses. Car, mon cher, c’est Narcisse lui-même, tandis
que vous !… Il est évident que votre face respire
l’intelligence et le reste… Mais la beauté, la réelle beauté finit
où commence l’expression intellectuelle. L’intellectualité est en
elle-même un mode d’exagération, et détruit l’harmonie de n’importe
quelle face. Au moment où l’on s’assoit pour penser, on devient
tout nez, ou tout front, ou quelque chose d’horrible. Voyez les
hommes ayant réussi dans une profession savante, combien ils sont
parfaitement hideux ! Excepté, naturellement, dans l’Église.
Mais dans l’Église, ils ne pensent point. Un évêque dit à l’âge de
quatre-vingts ans ce qu’on lui apprit à dire à dix-huit et la
conséquence naturelle en est qu’il a toujours l’air charmant. Votre
mystérieux jeune ami dont vous ne m’avez jamais dit le nom, mais
dont le portrait me fascine réellement, n’a jamais pensé.
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