Nous nous occupâmes alors de chercher pour nous-mêmes quelque nourriture. Lorsque nous fûmes rassasiés, je demandai à Fritz par où nous allions commencer. Il me proposa de faire une voile pour notre embarcation. Cette réponse m'étonna d'abord; car il nous manquait des choses dix fois plus importantes. Mais il m'expliqua qu'il avait senti pendant le trajet un vent frais qui lui soufflait au visage, et qu'il nous aiderait merveilleusement au retour. Je consentis facilement à sa demande, et nous nous mimes à l'œuvre.
Une perche assez forte fut fichée dans une planche du bateau, et nous disposâmes une voile au sommet. C'était un large morceau de toile figurant assez bien un triangle rectangle, suspendu à un moufle et attaché à des cordes que je pouvais manier de ma place près du gouvernail. Ce premier travail achevé, Fritz me supplia d'ajouter au-dessus de notre voile une petite flamme rouge en guise de pavillon, et il se montra pour le moins aussi heureux de faire flotter ce pavillon que de voir la voile s'enfler au vent. Nous fîmes ensuite un petit banc près du gouvernail, et nous fixâmes dans les bords de forts anneaux pour maintenir les rames.
Pendant ces travaux, le soir étant arrivé, nous ne pouvions songer à retourner à terre. Nous arborâmes les signaux convenus pour annoncer cette décision à nos gens restés sur le rivage, et nous employâmes le reste de la journée à changer les pierres qui lestaient notre embarcation contre une cargaison plus utile.
Nous pillâmes tout ce qui nous parut bon. La poudre et le plomb, comme munitions de chasse, eurent la préférence; ensuite nous primes tous les outils. Notre navire, destiné à l'établissement d'une colonie dans les mers du Sud, était très-bien fourni en ustensiles de toute sorte. Nous étions cependant obligés de faire un choix sévère, attendu la petitesse de notre embarcation. Mais nous n'eûmes garde d'oublier cette fois des couteaux, des cuillers et des ustensiles de cuisine, auxquels nous n'avions point songé d'abord. Nous nous pourvûmes de grils, de chaudières, de broches, de pots, etc. Nous y joignîmes des jambons, des saucissons et quelques sacs de maïs, de blé et d'autres graines. M'étant rappelé que notre coucher à terre était un peu dur, je pris quelques hamacs et les couvertures de laine. Fritz, qui ne trouvait jamais assez d'armes, se munit encore de deux fusils, et apporta une caisse pleine de sabres, de poignards et d'épées. J'embarquai en outre un baril de poudre, un rouleau de toile à voile et de la ficelle ou corde en grande quantité.
Nos cuves étaient remplies jusqu'au bord, à l'exception de deux places étroites que nous nous étions réservées. Nous nous préparâmes alors à descendre dans la cabine pour y passer le reste de la nuit, qui était tombée tout à fait pendant nos derniers travaux. Un feu brillant allumé sur la rive nous rassura sur le sort de nos bien-aimés; pour leur répondre, nous allumâmes quatre grandes lanternes, à l'apparition desquelles ils tirèrent quatre coups de fusil, afin de nous faire comprendre qu'ils les avaient aperçues. Nous nous laissâmes alors aller au sommeil, et nous nous endormîmes en recommandant à Dieu le précieux dépôt que nous avions laissé sous sa protection.
Le jour commençait à peine à poindre, lorsque je montai sur le pont, armé d'un excellent télescope, que je dirigeai vers la tente pour tâcher d'apercevoir mes enfants, pendant que Fritz mangeait à la hâte un morceau. Je ne fus pas longtemps sans voir ma femme sortir de la tente. Nous fîmes flotter un linge blanc, et le même signal nous répondit de la rive. Cette vue me rassura et me remplit de joie.
Je résolus alors de prendre avec nous le bétail. Je communiquai mon projet à Fritz, et nous commençâmes à chercher de concert quel moyen il fallait employer pour transporter au rivage une vache, un âne, une truie près de mettre bas, des moutons et des chèvres. Il proposa d'abord de construire un radeau, mais je lui démontrai l'impossibilité de ce projet; enfin, après avoir mûrement réfléchi: «Faisons-leur, me dit-il, des corsets natatoires, et ils nous suivront à la nage.
—Bonne idée! m'écriai-je; allons, à l'ouvrage!»
Un mouton fut bientôt entouré de liège et jeté à l'eau. Nous suivions avec anxiété ce coup d'essai. L'eau sembla d'abord vouloir l'engloutir, et le pauvre animal se démenait comme un possédé, en bêlant d'une manière pitoyable; mais bientôt, exténué de fatigue, il laissa pendre ses jambes, et nous vîmes avec joie qu'il n'en continuait pas moins à se soutenir sur l'eau. Je sautai de plaisir.
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