J’étais trop riche. J’avais trop de bétail. Voilà comment nous sommes des sorciers, elle et moi, pour t’avoir donné asile.
– Je ne comprends pas. Laisse Messua me raconter la chose.
– Je t’ai donné du lait, Nathoo ; t’en souviens-tu ? dit Messua timidement. Parce que tu étais mon fils que le Tigre avait pris, et parce que je t’aimais très tendrement. Ils ont dit que j’étais ta mère, la mère d’un démon, et que pour cela je méritais la mort.
– Et qu’est-ce qu’un démon ? demanda Mowgli. La Mort, je l’ai vue.
L’Homme leva un regard lugubre sous ses sourcils; mais Messua se prit à rire :
– Tu vois, dit-elle à son mari, je savais, je t’ai dit que ce n’était pas un sorcier ! C’est mon fils, mon fils !
– Fils ou sorcier, cela nous avance bien ! répondit l’Homme. Nous pouvons nous considérer déjà comme morts.
– Voici, là-bas, la route à travers la Jungle, dit Mowgli en étendant le bras par la fenêtre. Vos mains et vos pieds sont libres. Allez, maintenant.
– Nous ne connaissons pas la Jungle, mon fils, comme... comme tu la connais, commença Messua. Je ne crois pas que je pourrais aller loin.
– Et les hommes et les femmes seraient vite sur notre dos pour nous traîner ici de nouveau, dit le mari.
– Hum ! dit Mowgli, en chatouillant la paume de sa main avec la pointe de son couteau. Je ne veux de mal à personne de ce village, mais je crois qu’ils ne te retiendront pas. Dans un instant ils auront trop à penser. Ah !
Il leva la tête et prêta l’oreille à des cris et des piétinements au-dehors.
– Ils ont donc enfin laissé rentrer Buldeo !
– On l’a envoyé ce matin pour te tuer, pleura Messua. L’as-tu rencontré ?
– Oui, – nous – je l’ai rencontré. Il a une histoire à dire : et pendant qu’il jase on a le temps de faire beaucoup. Mais, d’abord, il faut que je connaisse leurs intentions. Voyez où vous voulez aller. Vous me le direz quand je reviendrai.
Il bondit par la fenêtre et longea de nouveau en courant le mur du village jusqu’à portée d’oreille de la foule rassemblée sous le pipal. Buldeo, couché sur le sol, toussait et gémissait, pendant que chacun lui posait des questions. Les cheveux tombés sur les épaules, les pieds et les jambes écorchés d’avoir grimpé aux arbres, il pouvait à peine parler; mais il sentait vivement l’importance de sa situation. De temps en temps il disait quelque chose au sujet de diables, de chansons de diables et d’enchantements magiques, juste de quoi donner à la foule un avant-goût de ce qui allait suivre. Puis il demanda de l’eau.
– Bah ! dit Mowgli. Bavardage, bavardage ! Des mots et encore des mots. Les hommes sont frères des Bandar-log. D’abord il lui faut de l’eau pour se laver la bouche, ensuite de la fumée à souffler et, quand il en a fini avec cela, il a encore son histoire à raconter. Ce sont vraiment gens très sages, les hommes. Ils ne laisseront personne pour garder Messua tant qu’ils n’auront pas les oreilles farcies des contes de Buldeo. Et moi, voilà que je deviens aussi paresseux que ces gens-ci.
Il secoua sa torpeur et se glissa de nouveau jusqu’à la hutte.
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