Un immense bruissement de vie remplissait l’air, – la vie des infiniment petits, – coupé à intervalles réguliers par la crépitation des coups de feu d’un tir voisin, qui éclataient comme l’explosion des bouchons de champagne dans le bourdonnement d’une symphonie en sourdine.
Alors, sous le soleil qui lui chauffait le cerveau et dans l’atmosphère des ardents parfums de la Mort, il entendit une voix chuchoter sous la tombe où il s’était assis. Et cette voix disait : « Maudites soient vos cibles et vos carabines, turbulents vivants, qui vous souciez si peu des défunts et de leur divin repos ! Maudites soient vos ambitions, maudits soient vos calculs, mortels impatients, qui venez étudier l’art de tuer auprès du sanctuaire de la Mort ! Si vous saviez comme le prix est facile à gagner, comme le but est facile à toucher, et combien tout est néant, excepté la Mort, vous ne vous fatigueriez pas tant, laborieux vivants, et vous troubleriez moins souvent le sommeil de ceux qui depuis longtemps ont mis dans le But, dans le seul vrai but de la détestable vie ! »
XLVI. Perte d’auréole
« Eh ! quoi ! vous ici, mon cher ? Vous, dans un mauvais lieu ! vous, le buveur de quintessences ! vous, le mangeur d’ambrosie ! En vérité, il y a là de quoi me surprendre.
– Mon cher, vous connaissez ma terreur des chevaux et des voitures. Tout à l’heure, comme je traversais le boulevard, en grande hâte, et que je sautillais dans la boue, à travers ce chaos mouvant où la mort arrive au galop de tous les côtés à la fois, mon auréole, dans un mouvement brusque, a glissé de ma tête dans la fange du macadam. Je n’ai pas eu le courage de la ramasser. J’ai jugé moins désagréable de perdre mes insignes que de me faire rompre les os. Et puis, me suis-je dit, à quelque chose malheur est bon. Je puis maintenant me promener incognito, faire des actions basses, et me livrer à la crapule, comme les simples mortels. Et me voici, tout semblable à vous, comme vous voyez !
– Vous devriez au moins faire afficher cette auréole, ou la faire réclamer par le commissaire.
– Ma foi ! non. Je me trouve bien ici. Vous seul, vous m’avez reconnu. D’ailleurs la dignité m’ennuie. Ensuite je pense avec joie que quelque mauvais poète la ramassera et s’en coiffera impudemment. Faire un heureux, quelle jouissance ! et surtout un heureux qui me fera rire ! Pensez à X, ou à Z ! Hein ! comme ce sera drôle ! »
XLVII. Mademoiselle Bistouri
Comme j’arrivais à l’extrémité du faubourg, sous les éclairs du gaz, je sentis un bras qui se coulait doucement sous le mien, et j’entendis une voix qui me disait à l’oreille : « Vous êtes médecin, monsieur ? »
Je regardai ; c’était une grande fille, robuste, aux yeux très ouverts, légèrement fardée, les cheveux flottant au vent avec les brides de son bonnet.
« – Non ; je ne suis pas médecin. Laissez-moi passer. – Oh ! si ! vous êtes médecin. Je le vois bien. Venez chez moi. Vous serez bien content de moi, allez ! – Sans doute, j’irai vous voir, mais plus tard, après le médecin, que diable ! … – Ah ! ah ! – fit-elle, toujours suspendue à mon bras, et en éclatant de rire, – vous êtes un médecin farceur, j’en ai connu plusieurs dans ce genre-là. Venez. »
J’aime passionnément le mystère, parce que j’ai toujours l’espoir de le débrouiller. Je me laissai donc entraîner par cette compagne, ou plutôt par cette énigme inespérée.
J’omets la description du taudis ; on peut la trouver dans plusieurs vieux poètes français bien connus. Seulement, détail non aperçu par Régnier, deux ou trois portraits de docteurs célèbres étaient suspendus aux murs.
Comme je fus dorloté ! Grand feu, vin chaud, cigares ; et en m’offrant ces bonnes choses et en allumant elle-même un cigare, la bouffonne créature me disait :
« Faites comme chez vous, mon ami, mettez-vous à l’aise. Ça vous rappellera l’hôpital et le bon temps de la jeunesse.
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