Il se courba, et, avec une douceur infinie, écartant les doigts fragiles, il découvrit le joli visage.
– Pourquoi pleures-tu, maman Coralie ?
Le tutoiement ne la troubla point. Entre l’homme et la femme qui s’est penchée sur ses plaies, il s’établit des relations d’une nature spéciale, et en particulier, le capitaine Belval avait de ces façons un peu familières, mais respectueuses, dont on ne pouvait s’offusquer. Il lui demanda :
– Est-ce moi qui les fais couler, ces larmes ?
– Non, dit-elle à voix basse, c’est votre gaieté, votre manière, non pas même de vous soumettre au destin, mais de le dominer de toute votre hauteur. Le plus humble d’entre vous s’élève sans effort au-dessus de sa nature, et je ne sais rien de plus beau et de plus émouvant que cette insouciance.
Il se rassit auprès d’elle.
– Alors vous ne m’en voulez pas de vous avoir dit... ce que je vous ai dit ?
– Vous en vouloir ? répliqua-t-elle, affectant de se tromper sur le sens de la question. Mais toutes les femmes sont d’accord avec vous ! Si la tendresse doit faire un choix entre ceux qui reviendront de la guerre, ce sera, j’en suis certaine, en faveur de ceux qui ont souffert le plus cruellement.
Il hocha la tête.
– C’est que moi, je demande autre chose que de la tendresse, et une réponse plus précise à certaines de mes paroles. Dois-je vous les rappeler ?
– Non.
– Alors la réponse...
– La réponse, mon ami, c’est que vous ne les direz plus, ces paroles.
Il prit un air solennel.
– Vous me le défendez ?
– Je vous le défends !
– En ce cas, je vous jure de me taire jusqu’à la prochaine fois où je vous verrai...
Elle murmura :
– Vous ne me verrez plus.
Cette affirmation divertit fort le capitaine Belval.
– Oh ! oh ! pourquoi ne vous verrai-je plus, maman Coralie ?
– Parce que je ne le veux pas.
– Et la raison de cette volonté ?
– La raison ?...
Elle tourna les yeux vers lui, et, lentement, prononça :
– Je suis mariée.
Cette déclaration ne parut pas déconcerter le capitaine, qui affirma le plus tranquillement du monde :
– Eh bien, vous vous marierez une seconde fois. Il est hors de doute que votre mari est vieux et que vous ne l’aimez pas. Il comprendra donc fort bien qu’étant aimée...
– Ne plaisantez pas, mon ami...
Il saisit vivement la main de la jeune femme, à l’instant où elle se levait, prête à partir.
– Vous avez raison, maman Coralie, et je m’excuse même de n’avoir pas pris un ton plus sérieux pour vous dire des choses très graves. Il s’agit de ma vie, et il s’agit de votre vie. J’ai la conviction profonde qu’elles vont l’une vers l’autre, sans que votre volonté puisse y mettre obstacle, et c’est pourquoi votre réponse est inutile. Je ne vous demande rien. J’attends tout du destin. C’est lui qui nous réunira.
– Non, dit-elle.
– Si, affirma-t-il, les choses se passeront ainsi.
– Les choses ne se passeront pas ainsi. Elles ne doivent pas se passer ainsi. Vous allez me promettre sur l’honneur de ne plus chercher à me voir ni même à connaître mon nom. J’aurais pu accorder davantage à votre amitié. L’aveu que vous m’avez fait nous éloigne l’un de l’autre. Je ne veux personne dans ma vie... personne.
Elle mit une certaine véhémence dans sa déclaration et, en même temps, elle essayait de dégager son bras de l’étreinte qui la serrait.
Patrice Belval s’y opposa en disant :
– Vous avez tort... Vous n’avez pas le droit de vous exposer ainsi... je vous en prie, réfléchissez...
Elle le repoussa. Et c’est alors qu’il se produisit par hasard un étrange incident. Dans le mouvement qu’elle fit, un petit sac qu’elle avait placé sur la cheminée fut heurté et tomba sur le tapis. Mal fermé, il s’ouvrit. Deux ou trois objets en sortirent, qu’elle ramassa, tandis que Patrice Belval se baissait rapidement.
– Tenez, dit-il, il y a encore ceci.
C’était un étui, un petit étui en paille tressée que le choc avait ouvert également et d’où s’échappaient les grains d’un chapelet.
Debout, ils se turent tous deux. Le capitaine examinait le chapelet. Et il murmura :
– Curieuse coïncidence... ces grains d’améthyste... cette monture ancienne en filigrane d’or...
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